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Akinfewa/Mc Nulty : le choc des titans
Il y a des grands matchs, mais il n'y a qu'un « gros » match. Ce samedi après-midi, Luton Town et Wimbledon s'affrontent à l'occasion de la deuxième journée de League Two, la quatrième division anglaise. Le moment pour les quelque 10 000 chanceux présents à Kenilworth Road de se délecter du duel le plus attendu de l'année entre « Big » Adebayo Akinfewa et Steve « Sumo » McNulty, les deux footballeurs les plus costauds du pays. Portraits croisés et musclés.
« J’ai envie de jouer tous les matchs. Quand je suis sur le banc, je regarde les défenseurs et j’ai envie de les manger. » Se nourrir est une préoccupation importante dans la vie d’Adebayo Akinfewa, 32 ans, 1m80, officiellement 106 kilos et attaquant de Wimbledon. « Mon plat préféré, c’est Nando’s, la chaîne mexicaine qui vend du poulet. J’y vais au moins une fois par semaine. La saison dernière, je vivais à l’hôtel et j’avais instauré avec quelques coéquipiers le« Nando’s Friday », tous les vendredis. C’était très sympa. » Sauf qu’aujourd’hui, c’est samedi et qu’au menu de « Big Bayo » , rien de mexicain, mais un plat typique du Nord de l’Angleterre : Steve McNulty. Dans un autre genre que le joueur d’origine nigériane, un genre en dessous de la centaine de kilos, le défenseur de Luton Town est ce qu’on appelle un grand garçon. Du haut de son mètre 85 et surtout « du large » de ses 88 kilos, fourchette gourmande, mais surtout fourchette basse, le capitaine des promus est l’une des attractions de la League Two anglaise. Ce duel de gaillards, c’est un choc des titans que l’Angleterre du football amateur attend depuis le début de la saison. C’est aussi et surtout une opposition de style entre Adebayo, le tracteur body-buildé, terreur des surfaces, et Steve, l’Anglais enrobé, défenseur technique, qui a passé treize ans de sa vie à Liverpool où il a fait ses gammes et joué avec la réserve.
« Vas-y, Eddie Murphy »
Un physique différent, c’est une propension importante à s’attirer des sobriquets. Quand ce ne sont pas des insultes. Moqués pour leurs physiques, Steve Mc Nulty et Adebayo Akinfewa poussent week-end après week-end leurs détracteurs dans les derniers retranchements de leur créativité. Sans toutefois obtenir beaucoup de résultats. « J’ai l’habitude hein » , tempère McNulty dans les colonnes du DailyMail. « C’est tout le temps pareil. Tantôt « you fat bastard, you ate all the pies »,tantôt d’autres trucs. Mais ce qui est drôle, c’est que parfois c’est une femme, parfois c’est un gosse de cinq ans qui hurle avec son père. Franchement, ça ne me touche pas. » La susceptibilité, un mot que les deux zigotos ont éradiqué de leur vocabulaire. D’ailleurs, pour Adebayo, ce physique est plutôt une fierté. « À chaque match à l’extérieur, le public m’insulte :« T’es trop gros ! Vas-y, Eddie Murphy ! » Mais moi, j’adore ça, sincèrement. Je suis naturellement costaud. J’ai deux frères et on est tous pareils, j’ai de bon gènes. Plus fort que moi ? Ma mère. Dans le foot, personne n’est plus fort que moi, mais j’ai eu à livrer de belles batailles et j’ai adoré ça. Malheureusement, je n’ai jamais pu jouer contre Desailly, Vidić ou Sol Campbell, les gros durs de Premier League » , regrette Akinfewa. Au lieu de ça, il jouera contre le « Sumo » McNulty, un surnom que lui ont donné ses propres fans. Des gens qui l’adorent, mais qui, comme d’autres avant, sont interloqués par le physique de leur défenseur central aux cheveux grisonnants et au visage peu accueillant, qui fait plus penser à celui d’un videur de nightclub sinistre qu’à celui d’un footballeur. « Je suis comme ça depuis quinze ans et j’ai les cheveux gris depuis dix-neuf. Les gens me regardent comme si j’étais un vieux » , déplore Steve, du haut de sa trentaine toute fraîche. S’il a désormais opté pour l’option sans poil sur le caillou, Adebayo Akinfewa est également différent depuis l’enfance. « Je dirais que j’étais un gamin cool. Vu que j’étais costaud, je ne me suis jamais fait emmerder et je n’aime pas trop qu’on emmerde les autres. Donc j’étais dans cette position assez chouette où j’étais trop gros pour qu’on s’en prenne à moi et assez fort pour protéger certains des emmerdes. J’avais beaucoup d’amis. » Marmot, Adebayo, fils d’immigrés nigérians tapait déjà dans le ballon. « De 9h du matin à 9h du soir, avec des pauses glaces. » Mais pendant que Big Bayo quittait l’école et « faisait plus peur à sa mère qu’à la police » , Steve, lui, embrasse le parcours classique de celui qui réussit dans le football. C’est là la différence notable entre les deux Golgoths : la formation.
Steven Gerrard et la mer Baltique
Quoique fan d’Everton, McNulty, nés sur les bords de la Mersey, à Liverpool, intègre l’académie de jeunes des Reds. Nous sommes en 1990, l’Anglais a sept ans et il ne sait pas qu’il va finir par faire partie des meubles. Gamin doué, Steve fait ses gammes tranquillement, jusqu’à l’équipe réserve, où il dispute 60 matchs avec, notamment, un certain Steven Gerrard. Pendant ce temps, Akinfewa tape le foot en bas de son immeuble HLM, à Islington, où « il n’a jamais eu de Nike ou de Reebook, mais où il a reçu beaucoup d’amour » . Ce n’est que quand NcNulty plafonne et est invité à quitter les Reds après 13 ans de bons et loyaux services qu’Adebayo se lance vraiment dans le ballon rond. Après un essai de neuf mois du côté de Watford sur fond de valse des coachs, l’attaquant, pas conservé, file faire un essai en Lituanie, pays d’origine de la femme de son agent. Une folie payante puisqu’après quelques jours d’essai, le déménageur londonien se voit proposer un contrat de trois ans. Le début d’une aventure dingue dans la ville portuaire de Klaipèda, au bord de la mer Baltique. « À chaque fois que je faisais un essai en Angleterre, c’était la même rengaine :« Trop gros. » Alors même si je n’étais pas chaud, j’ai fini par retourner en Lituanie. J’étais le seul joueur noir du championnat et un des seuls de la ville. » La saison est bercée par des chants racistes, mais comme souvent dans la vie du très positif Akinfewa, l’histoire se termine par un happy-end. « Durant la saison, les chants racistes ont progressivement stoppé et on s’est qualifiés pour la finale de la coupe qu’on a remporté 1-0. Et c’est moi qui plante le but de la gagne. Ces mecs n’avaient jamais vu un noir dans leur équipe, mais puisqu’on avait gagné la coupe, j’étais devenu un héros. » Après un succès célébré entre des types torse poil, tatouages nazis apparents, Adebayo délaisse les cyber-cafés, MSN et la Lituanie et met le cap sur Doncaster. Le début d’un périple qui verra le joueur connaître treize clubs entre 2003 et aujourd’hui. Le Xavier Gravelaine londonien.
« Récemment, j’ai découvert que j’étais pas mal de la tête »
Une instabilité que McNulty ne connaît pas. Viré de Liverpool, il embrasse une carrière de joueur amateur qui lui va aussi bien que son maillot XXL. Burscough, Vauxhall, Barrow et Fleetwood Town où, entre 2009 et 2013, il se fait remarquer pour le décalage entre son physique de bucheron et ses pieds de soie. Bien loin de son éphémère carrière de chauffeur de van, McNulty se retrouve à Luton Town en 2013 avec pour objectif la montée en League Two. « Sincèrement, ce qu’on dit n’est pas très grave. Si je fais le boulot sur le pré, c’est tout ce qui compte. Je sais que je suis capable de réussir en League Two. » Sûr de ses capacités, le défenseur central réalise un exercice 2013-2014 de haut vol avec, en principal fait d’armes, une volée extraordinaire face à Southport. Avec 101 points ramassés en fin de saison, Luton Town monte. La deuxième montée de McNulty en deux ans après celle avec Fleetwood. « Quand on est remontés avec Fleetwood, le mec qui habite au-dessus de chez moi a frappé à ma porte, en larmes, il n’a cessé de me remercier. » Décrit par ses partenaires comme un leader charismatique, McNulty est, comme Akinfewa, un homme qui aime voir le positif malgré quelques coups durs. Honnête défenseur à la relance de bonne facture, McNulty sait qu’il est passé à côté de quelque chose. « Il y a eu des moments où des clubs venaient me voir jouer, mais 99% du temps, ils repartaient juste à cause de ce dont j’avais l’air » , déplore celui qui a donné du fil à retordre à Benteke en match amical face à Aston Villa. Pour Adebayo non plus, les contrats ne pleuvent pas. Pas du genre à abandonner, le sculptural attaquant s’invente une philosophie, le beast mode, quelque part entre la pub nike et la positive attitude de Lorie : personne ne peut décider de ton destin à ta place. Et quand Adebayo est en beast mode, il peut se farcir n’importe qui. « Je me compare à Drogba, car il a des attributs physiques similaires aux miens. Ma force est mon atout principal. En conservant le ballon et en jouant en pivot, je permets aux autres de briller. L’an dernier, mon coéquipier d’attaque a mis 25 buts. Je suis très bon pour faire jouer les autres. Et plus récemment, j’ai découvert que j’étais pas mal de la tête. » Suffisant pour planter dix buts ou plus sur ses sept dernières saisons. Pas suffisant pour rassasier sa soif de sport. Amoureux du football, Adebayo est également un fou de musculation. « Si on n’a pas de match le mercredi, j’y vais au moins quatre fois par semaine. Le lundi, je m’occupe de mon torse et de mes épaules, le mardi, je me concentre sur mes bras. Le mercredi, c’est ma session la plus lourde normalement, avec mon frère, qui est aussi mon coach, on fait des développés-couchés. Le jeudi, c’est plutôt léger normalement, car il faut pas trop abuser pendant les matchs. Je fais beaucoup de cardio aussi, je peux pas seulement faire de la musculation, sinon je deviendrai trop baraqué ! » Cette activité, il l’a découverte avec l’équipe de rugby des Ospreys. « Avant, je n’en faisais pas du tout. J’avais l’habitude de les regarder et je me disais :« Moi aussi, je peux le faire. »J’ai fait une session avec eux, Ryan Jones m’a montré ce qu’ils soulevaient et j’ai compris ma douleur. Et depuis ce moment, je me suis promis de m’entraîner et d’aller à la gym. Depuis, j’ai bien progressé. Si un rugbyman veut me défier, aujourd’hui, je suis prêt, je l’attends de pied ferme. » En attendant, c’est Steve Mc Nulty qui attend Adebayo de pied ferme. Avec peut-être, un tour chez Nando’s à la clé. Entre titans.
Par Swann Borsellino, tous propos d'Adebayo Akinfewa recueillis par Christophe Gleizes et Antoine Mestres