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Ajax-Juve, sommet identitaire
Au sein d'un football européen graduellement mondialisé, l'Ajax et la Juve ont préservé leurs traditionnels contingents nationaux de joueurs bataves et italiens. Et ont pour point commun de miser sur un encadrement sportif made in Holland pour l'un et 100% transalpin pour l'autre. La marque de deux vieilles gloires du foot continental, qui incarnent parfaitement le subtil mélange de tradition et de modernité, d'identité locale comme de stratégie de développement mondial, qui anime tout grand club professionnel.
C’est un problème vieux comme l’arrêt Bosman. Alors que les footballeurs européens sont depuis plus de vingt ans libres de jouer où ils le veulent, certaines grosses écuries ont cogité pour tenter de préserver une part précieuse de leur identité locale. Au Real Madrid, alors que Florentino Pérez construisait à coups de dizaines de millions son équipe de Galactiques au début des années 2000, il instaurait également une stratégie surnommée « Zidanes y Pavones » . Un label donné en référence au défenseur espagnol Francisco Pavón, produit de la Cantera du Real et dont les nombreuses titularisations en équipe A attestaient de la politique du club, qui voulait allier le recrutement des plus grandes stars mondiales à la formation de jeunes joueurs locaux. Une décennie et des poussières plus tard, à l’heure de se retrouver en quarts de finale de la C1 2019, l’Ajax et la Juventus incarnent à leur tour, chacun à leur façon, la réussite d’une stratégie sportive et économique où l’ancrage local reste un enjeu majeur.
Modèles à part
Pour s’en convaincre, il suffit de zieuter les effectifs des deux formations. Quand la Juventus dénombre dix Italiens dans son groupe professionnel, l’Ajax aligne onze Néerlandais en équipe A. Par comparaison, le Barça, souvent décrit comme l’une des références identitaires du football européen, n’aligne que quatre Espagnols dans son effectif, quand Porto compte sept Portugais, et que Manchester City, Liverpool, Manchester United et Tottenham dénombrent respectivement 5, 8, 9 et 7 joueurs anglais dans leur groupe professionnel. Au-delà des chiffres, il faut également tenir compte des noms qui ont la chance de réellement tâter de la pelouse. Lors du triomphe de la Juventus face à l’Atlético en huitièmes de finale retour de C1, Allegri titularisait quatre joueurs italiens (Chiellini, Bonucci, Spinazzola, Bernardeschi) avant d’en faire entrer un autre en cours de match (Moise Kean).
L’Ajax avait, pour sa part, démembré le Real (1-4) le 5 mars dernier avec quatre Néerlandais dans son onze type, avant qu’Erik ten Hag ne lance dans l’arène deux autres locaux, à savoir Joël Veltman et Dani de Wit, tous deux formés au club. Autre particularité relative aux deux formations : leur direction, aussi bien sportive qu’opérationnelle, garde une saveur locale. Le staff de la Juventus, piloté par Massimiliano Allegri, est intégralement italien, quand celui de l’Ajax, à l’exception du Danois Christian Poulsen, est 100% néerlandais. Encore plus révélateur, la Juve, toujours détenue par la famille Agnelli, reste sous propriété italienne, quand le directeur exécutif de l’Ajax n’est autre qu’Edwin van der Sar, vainqueur avec les Ajacides de la C1 en 1995. Pas tout à fait anodin, alors que des clubs aussi emblématiques que Liverpool et Manchester United sont eux passés sous pavillon américain. C’est aussi révélateur d’un fonctionnement légèrement en décalage des standards habituels que l’on prête aux plus grosses écuries du continent.
Van der Sar : « On peut être le deuxième club préféré de tout le monde »
Dans le cas de l’Ajax, l’explication est simple : le club néerlandais n’a simplement plus les armes économiques pour se mesurer aux gros calibres du football européen. Pour exister à l’échelle continentale, il a renouvelé son logiciel de formation et de post formation et se prépare déjà à vendre d’ici quelques mois ses nouveaux prodiges – Frenkie de Jong, Matthijs de Ligt et Hakim Ziyech pour ne citer qu’eux – aux plus grandes formations du continent. Dans un football de plus en plus mondialisé et déraciné, l’Ajax a fait le pari de polir ses produits locaux et de chouchouter son vivier hollandais. Une stratégie qui a également de la valeur à l’export et à l’international, comme le résumait récemment Van der Sar : « Je veux que l’Ajx brille et soit défini par quelque chose. Nous ne sommes pas le plus grand club, ni le meilleur, mais les gens nous connaissent et nous apprécient. Cruyff est allé au Barça, Sneijder au Real et à l’Inter, Eriksen à Tottenham et Zlatan à la Juve… On peut être le deuxième club préféré de tout le monde. »
Ou comment résumer en quelques mots la marque Ajax et l’unicité de sa stratégie. Pour se démarquer, le club d’Amsterdam doit s’affirmer comme la formation tremplin la plus frisson et sympathique du monde. Et donc comme une équipe un peu à part, qui se doit d’effectuer par-ci par-là des coups de Trafalgar en Europe, comme en atteste la récente victoire du club sur le Real en C1, tout comme la finale de C3 atteinte par les Lanciers en 2017 et perdue face à Manchester United.
Agnelli : « Il est fondamental de disposer d’une base italienne »
De son coté, la Juve assume le fonctionnement plus traditionnel d’un club dont le chiffre d’affaires est désormais dans le top 10 mondial. Mais la direction piémontaise ne s’est jamais départie de sa volonté de préserver l’identité italienne de la Vieille Dame. Une politique assumée et théorisée jusque dans les plus hautes sphères du club par son président, Andrea Agnelli : « Je n’ai jamais imaginé une Juventus sans une base de 7 à 8 joueurs italiens. Car au-delà de l’identité de l’équipe, ce sont eux qui comprennent mieux la réaction des tifosi. Je l’ai dit et je le redis : il est fondamental de disposer d’une base italienne. »
Pas des paroles en l’air. Si le centre de formation de la Juventus n’est pas aussi prolifique que celui de l’Ajax, la Vieille Dame continue de miser parfois gros sur des joueurs transalpins, quand elle aurait tout aussi bien pu choisir de prospecter en priorité à l’étranger. Exemple avec Federico Bernardeschi, acheté 40 millions d’euros à la Fiorentina en juin 2017, qui, après un premier exercice en demi-teinte, s’affirme comme un élément central de l’effectif bianconero cette saison. L’éclosion de Moise Kean, parti se faire les os en prêt au Hellas Vérone la saison dernière et désormais régulièrement utilisé par Allegri comme joker de luxe, répond à un raisonnement identique. À savoir celui de préserver un cachet local, une part inimitable d’identité, qui tient autant à cœur aux Ajacides qu’aux Juventini.
Par Adrien Candau
Tous propos issus d'El Pais et la Gazzetta dello Sport.