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Ajax : dans les peurs d’Amsterdam

Par Margaux Solinas, à Amsterdam

Ajax vit sa pire saison depuis 1964. Mais aux tristes résultats sportifs et remous dans l'organigramme est venu se greffer le retour des hooligans, énervés comme rarement.

Ajax : dans les peurs d’Amsterdam

« Nous avons enfin un vrai coach digne d’Ajax ! » s’exclame Jan*, la voix tremblante d’émotion. « John van ‘t Schip va remonter la barre ! La victoire de ce week-end (3-2 contre Go Ahead Eagles, NDLR) le montre bien. » Fan du club depuis son plus jeune âge, ce trentenaire ne rate pas une miette de l’actualité autour de son club, et commençait à s’inquiéter de la perte de vitesse de son club favori. Le 21 décembre 2023, l’équipe d’Amsterdam, le grand Ajax, se fait battre par l’USV Hercules (3-2). Une ode à la mythologie grecque, mais surtout un mythe qui s’effrite : cette élimination de la Coupe des Pays-Bas par un club de quatrième division est aussi la première défaite ever des Lanciers face à un club amateur. L’Ajax touche donc le fond dans ce qui est alors son pire début de saison depuis 1964. Le 10 janvier 2024, la sentence tombe : le directeur sportif Maurits Hendriks ne terminera pas son contrat et quittera son poste le 1er mars. Il suit Sven Mislintat, directeur technique, licencié en septembre dernier. « Alex Kroes va arriver en mars en tant que directeur, et de nouveaux joueurs vont être achetés, c’est un nouveau départ », espère Jan. Et l’arrivée de Jordan Henderson lui donne déjà en partie raison.

Pourtant, cette chute vertigineuse n’a pas débuté à l’été dernier. La prise d’élan date de février 2022. Jusqu’alors, l’Ajax contemporain, cette écurie historique qui avait atteint les demi-finales de la Ligue des champions en 2019 avec un certain panache, reposait sur trois piliers. Chacun d’entre eux s’est effondré, l’un après l’autre, et a laissé place au chaos actuel. Le premier, Marc Overmans, se voit obligé de démissionner de son poste de directeur du football le 7 février 2022, après un scandale impliquant « des messages inappropriés » à ses collègues féminines. En avril de la même année, le manager Erik ten Hag, second pilier donc, annonce son départ pour Manchester United après cinq ans de travail. Edwin van der Sar, dernier pilier et directeur général du club, quittera, lui, le navire le 30 mai 2023 après plus d’une décennie au sein de la direction, jugeant la « période incroyablement difficile ». Ce dernier sera victime d’une hémorragie cérébrale l’été suivant, mais si l’illustre ancien portier est aujourd’hui hors de danger, l’Ajax, lui, est toujours en soins intensifs. S’enchaînent ensuite les déconvenues lors de la saison 2022-2023. Après avoir raté la finale de Coupe nationale aux tirs au but, l’Ajax finit troisième d’Eredevisie et, pour la première fois depuis 2009, ne se qualifie pas pour la Ligue des champions. Le début de la saison suivante, le parachute lâche : les Amstellodamois enchaînent 10 matchs sans victoire en trois mois, période ponctuée par un terrible 5-2 sur le terrain du rival du PSV. Mais comme si les déboires sportifs ne suffisaient pas, un autre problème a resurgi dans la capitale néerlandaise, alors qu’on pensait qu’il était réglé depuis plus de dix ans : les hooligans ont fait leur come-back.

Hooligans : le retour de la force obscure

Café De Zon, centre-ville d’Amsterdam. Un verre traverse le bar pour se briser en petits morceaux sur le sol. À sa chute, un cri. De Zon est un repère de hooligans. S’ils ne sont pas au stade, une partie se rassemble là. Tatoué des emblèmes de l’Ajax, un homme hurle, se tient la tête, et court au bar commander une nouvelle bière. Il ne tient pas en place, et explose : « Comment peuvent-ils tout perdre bon sang, je vais tout casser ! » Interrogé sur son club, il refuse de répondre, marmonnant qu’il « n’aime pas parler à la presse ». La serveuse ne ramasse pas les débris de verre sur le sol, trop occupée à débiter des assiettes de bitterballen (spécialité frite néerlandaise) à la pelle. « Et encore, vous devriez voir les soirs de matchs contre Feyenoord », soupire-t-elle. En tant qu’ultra et sans la fréquenter directement, Jan connaît bien cette frange bien plus violente. « Cela fait partie de l’identité du football des Pays-Bas, rappelle-t-il. C’est comme en Angleterre, ils font vivre le club. Ils sont le cœur des supporters. Et en ce moment, ils sont en colère à cause de résultats médiocres. » Certains font même plus que grogner, ils ont pu avoir voix au chapitre auprès du club. Une source proche du club confie qu’« un des hooligans les plus connus avait une très bonne relation avec l’ancien directeur d’Ajax, ils communiquaient ensemble et se rencontraient souvent. C’était de la communication informelle et ça fonctionnait. D’ailleurs, les actions de colère des hooligans ont forcé le club à se démener pour faire bouger les lignes. Les changements ont été opérés parce que les hooligans ont agi. Ce n’est peut-être pas démocratique, mais ça fonctionne ».

Le 6 avril 2023, alors qu’un briquet avait été lancé sur Davy Klaassen en demi-finales de la Coupe des Pays-Bas contre Feyenoord, la ministre de la Justice Dilan Yeslijoz se désolait auprès de la presse néerlandaise : « Si ça continue comme ça, on va se retrouver à interdire les supporters à domicile. » Quelques mois plus tard, le 24 septembre 2023, le match de championnat Ajax-Feyenoord est interrompu alors que les Rotterdamois mènent 3-0. Une horde de hooligans en colère a lancé fumigènes et feux d’artifice sur la pelouse de la Johan-Cruyff Arena. « Ce n’est vraiment pas nouveau, ces techniques de fumigènes, explique Rein Everard, un ancien avocat d’Ajax sur les questions de sécurité. Les hooligans font passer des feux d’artifice depuis des décennies cachés dans leurs sous-vêtements. Il est même quasi impossible de les trouver. Ils demandent aussi à leurs copines d’en prendre. Et les femmes se font moins fouiller. » Et si les Néerlandais ne s’étonnent pas de ces excès d’émotions, de sombres souvenirs remontent à la surface. Ici, personne ne peut oublier la bataille de Beverwijk de 1997, entre hooligans de l’Ajax et de Feyenoord, où le pro-ajacide Carlo Picornie a trouvé la mort. Elle reste l’émeute la plus violente que les Pays-Bas aient connue en un siècle. « La chose à savoir, c’est que le hooliganisme n’est pas une question de classe ou de milieu aux Pays-Bas, contrairement à l’Angleterre. Certains sont architectes, d’autres plombiers, d’autres professeurs… Ce qui les rassemble, c’est leur amour de leur club et du jeu », décrit Me Everard.

Du football total au bordel total, il n’y a qu’un pas

Dans un pays qui a fait de Johan Cruyff son plus grand représentant et qui a adopté le totaalvoetbal de Rinus Michels comme une philosophie de vie, le football a forcément pris des accents identitaires. « Les hooligans vivent pour leur club, ils ont des tatouages Ajax, leurs maisons sont aux couleurs du club, et leur temps libre est consacré au football », continue Jan. Selon la fédération néerlandaise, « un fan de football dépense chaque semaine en moyenne 11 heures de son temps pour des activités liées au football professionnel, sur les 42 heures de temps libre hebdomadaires dont dispose en moyenne un Néerlandais. 26 %, c’est donc considérable ». Difficile de lutter contre un tel fanatisme. D’autant que les liens entretenus par les hooligans avec les directeurs des clubs et le libéralisme du pays ne poussent pas forcément les pouvoirs publics à intervenir. « Il n’y a pas de loi claire contre de telles actions au stade. Nous sommes un pays libéral et nous ne voulons pas demander aux supporters de se signaler à la police avant des matchs, c’est à l’encontre de notre mentalité, continue Rein Everard. Des discussions sont en cours pour appliquer des sanctions, mais il n’y avait pas eu de remue-ménage ces dernières décennies. Il faudra suivre la fin de saison pour voir si les hooligans se tiendront à carreau au stade, et si des mesures pourraient être prises. » Peut-être que le plus simple pour calmer les supporters les plus véhéments d’Amsterdam serait de voir l’Ajax, aujourd’hui cinquième d’Eredivisie et à cinq points de l’Europe, se refaire une santé.

Dans cet article :
L’adieu à Neeskens, l’autre Johan des Oranje
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Par Margaux Solinas, à Amsterdam

Tous propos recueillis par MS, sauf mentions.

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