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Ajax Amsterdam : sur les traces de Matthijs de Ligt

Douglas de Graaf, à Abcoude et Amsterdam
8 minutes
Ajax Amsterdam : sur les traces de Matthijs de Ligt

L’Ajax 2018-2019 est sans conteste l’équipe sensation de la saison. Un condensé de jeunesse, d’insolence et de liberté chapeauté d’une main de maître par un capitaine à peine sorti de l’adolescence. À 19 piges, Matthijs de Ligt a mis toute la troupe sous ses ordres. Pourtant, c'était loin d'être prévisible au regard du parcours du blondinet. Celui d'un gamin taiseux révélé dans le tranquille village d’Abcoude, avant de faire toutes ses classes à l’Ajax. Un club qu’il a rejoint à l’âge de 9 ans, encore bourré de défauts et taquiné sur son embonpoint...

À seulement 15 kilomètres au sud d’Amsterdam et à 10 minutes en transport de la célèbre Johan Cruijff ArenA, rien à Abcoude ne laisse deviner la proximité d’une capitale de la culture, du tourisme et du football. Tout ici, dans cette paisible bourgade de 8000 âmes, n’est que calme, verdure et douceur de vivre. Sur l’un des innombrables, mais apaisants canaux serpentant autour du village, le Black Pearl Abcoude trône fièrement aux côtés d’autres bateaux de plaisance, sans faire de bruit. Seul un héron majestueux vient rompre délicatement la quiétude ambiante en traversant une berge nez-à-nez avec deux retraités, à peine interloqués. À deux pas, une traditionnelle église protestante et un immense étang peuplé de canards qui incitent plus à la pratique de la prière ou de la pêche à la ligne qu’à celle du foot. Un sport qui a pourtant la part belle à Abcoude, où les 800 licenciés du club peuvent profiter à loisir des quatre terrains (deux synthétiques, deux en gazon) brillamment entretenus. Un sport qu’a choisi 13 ans auparavant Matthijs de Ligt, gamin sans histoire devenu capitaine de l’équipe la plus sexy de la saison 2018-2019.

Les premiers terrains de de Ligt à Abcoude

La toile de Matthijs

« Tranquille » . S’il existe un mot pour décrire Abcoude, il suffit aussi à résumer toute la personnalité du jeune défenseur central, véritable reflet de son environnement d’origine. Quand Emile Zola affirmait au XIXe siècle qu’un individu est le produit de son hérédité et de son milieu, il aurait rêvé avoir un cobaye nommé Matthijs pour justifier sa théorie. « Ses parents sont des gens normaux. Tranquilles et gentils » , pose Winand Paulissen, président du FC Abcoude. « Ils se sont toujours souciés de donner aussi de l’attention au frère et la sœur de Matthijs qui sont aujourd’hui des footballeurs de bon niveau. » Ainsi, Wouter joue dans l’équipe U19 du club amstellodamois AFC, alors que Fleur évolue dans l’équivalent de la deuxième division féminine. Une voie balisée par leur aîné, pourtant loin d’être programmé pour devenir footballeur de haut niveau. Impossible, cependant, d’échapper à la case sport avec un père tennisman et une mère hockeyeuse (sur gazon, bien sûr). Jusqu’à l’âge de 6 ans, De Ligt s’essaye aux deux. Et le ballon rond dans tout ça ? Inintéressant. « Sa maîtresse à l’école primaire me racontait que tous ses camarades de classe jouaient au foot, mais que Matthijs ne voulait pas en être » , expliquait son père Frank dans une interview à Ajax Showtime.

Ce n’est pas mon problème s’il y avait un attaquant à l’endroit du ballon.

Hasard géographique, les terrains de hockey sur gazon et de foot sont côte à côte à Abcoude. Voyant un jour ses amis tâter du cuir alors qu’il se rend à un entraînement de hockey, Matthijs troque sa crosse pour des crampons qu’il ne quittera plus. À moins que ce ne soit le foot qui se refuse à le lâcher ? « À 6 ans, il était déjà beaucoup plus grand et fort que les autres. Ajoutez à ça un excellent toucher de balle et un super sens du placement » , se remémore son premier entraîneur Robert van der Hoef, qui revoit encore son ancien poulain « se placer naturellement vers l’arrière » . En trois ans, Matthijs gravit tous les échelons des catégories jeunes. Avant de profiter d’un petit coup de pouce du destin. « L’Ajax devait jouer une de nos équipes jeunes, mais il y avait plusieurs absents. Il a donc été appelé, et il a fait sensation, dans une équipe qu’il ne connaissait pas. C’est vous dire sa capacité d’adaptation. C’est ce jour-là qu’il a été repéré par l’Ajax et il a rejoint le club un an plus tard » , se souvient Winand Paulissen.

Un soir normal où l’Ajax élimine la Juventus

L’éléphant et la fricadelle

Un an plus tard ? Oui, car entre-temps, l’Ajax a longtemps hésité. En cause : un léger embonpoint et une certaine lourdeur. « C’est l’étiquette qu’on colle aux enfants grands et forts » , défend Robert van der Hoef. Sauf que les surnoms qui lui furent attribués n’étaient pas des plus flatteurs. À Abcoude, c’était « Bolle » (rondouillard en français), encore utilisé affectueusement par des amis. « Je prenais toujours une petite fricadelle après un match » , reconnaissait le joueur lui-même dans une interview à NRC. Puis, à l’Ajax, c’était « Dikkie » (grassouillet) pour certains. « Quand j’ai débarqué là-bas, on m’a directement emmené chez la diététicienne » , avouait-il à NRC.

Et comme le corps et l’esprit sont souvent liés, des doutes subsistaient aussi sur la capacité de ce garçon « on ne peut plus normal » , dixit Robert van der Hoef, à s’adapter à la mentalité Ajax, ce mélange de liberté et d’arrogance positive, de confiance en soi expressive et d’audace. « Il ne parlait pas beaucoup, il était discret, il voulait juste faire son truc » , confirme Wim Jonk, l’ancien directeur de la formation de l’Ajax. Mais le jeune Matthijs s’adapte, bien aidé par le mélange des saveurs alors en vigueur à Abcoude. « À l’entraînement, on voyait tout de suite les garçons originaires du village et ceux qui venaient d’Amsterdam-Sud » , affirme Winand Paulissen, le quartier de la capitale étant situé à un jet de pierre des infrastructures du club. « Les premiers sont calmes, ils écoutent les consignes, ils font ce qu’on leur dit. Les seconds sont plus turbulents, montrent qu’ils ont confiance en eux. »

Il courait comme un éléphant, il n’était pas dynamique, il ne savait pas se retourner vers le jeu.

Vient un autre problème : le jeu. Car en dehors de son physique pas encore apollonien, le petit Matthijs passe du statut de taulier local à une jeune promesse lambda chez le grand Ajax. Et la voie vers le haut niveau est encore loin d’être tracée pour celui qui traîne certains défauts comme un boulet. « Matthijs n’était pas un talent naturel » , tranche Ruben Jongkind, l’autre boss de la formation des Lanciers à l’époque. « Il courait comme un éléphant, il n’était pas dynamique, il ne savait pas se retourner vers le jeu. Heureusement pour lui qu’il est arrivé très tôt à De Toekomst. » Principe clé de la formation des jeunes Ajacides, le développement individuel s’applique alors sur De Ligt pour lui faire subir le lifting qui fait aujourd’hui son succès. « On l’a confié à un entraîneur-mentor et à un entraîneur physique, l’ancien champion d’Europe du 800m Bram Som. D’un côté, il a appris à adopter un mode de vie professionnel. De l’autre, il a travaillé spécifiquement sa vitesse, son explosivité via des exercices de course » , poursuit Ruben Jongkind. À l’âge de 14 ans, De Ligt ne possède toujours pas les qualités requises pour évoluer milieu, mais c’est pourtant à ce poste que les formateurs persistent à le faire jouer… chez les U17 ! « Les entraîneurs venaient nous voir en disant que ce n’était pas dans l’intérêt de l’équipe. Et effectivement, l’équipe perdait. Mais grâce à ça, Matthijs a grandement amélioré sa technique, sa qualité de passe et sa vision du jeu. »

Un Doliprane, peut-être ?

Rat de bibliothèque

Test positif du laboratoire Ajax, Matthijs de Ligt a donc passé toutes les étapes de labellisation avec succès. Grâce, aussi, à ses propres atouts. « Toujours concentré, toujours sérieux et toujours focalisé sur sa performance. Une maturité étonnante pour un ado » , souligne Wim Jonk. Mais qui pouvait imaginer cet échantillon on ne peut plus représentatif du panel devenir un prototype né pour gouverner ses semblables ? Sûrement pas Winand Paulissen et Robert van der Hoef. Tête bien faite (il est diplômé avec succès d’un établissement d’enseignement pré-universitaire), De Ligt confie lui-même n’avoir quasiment jamais mis les pieds en boîte de nuit et préfère rester allongé sur une banquette à dévorer des livres sur l’histoire de l’Ajax. « Il ne correspond pas à l’idée qu’on se fait d’un capitaine. C’est davantage une personne qui écoute plutôt que quelqu’un qui donne des ordres » , clament les deux hommes d’Abcoude, qui ont noté avec surprise l’épaisseur que le jeune homme a prise au cours des saisons. « Il y a deux ans, on l’a vu mener les chants de l’Ajax devant ses supporters en Ligue Europa contre Lyon et Manchester United. On ne le connaissait pas comme ça. Il est devenu plus extraverti à l’Ajax. »

« C’est un leader naturel » , affirme de son côté Wim Jonk. « On peut le voir à sa stature, la façon dont il se tient droit. C’est aussi quelqu’un qui s’exprime bien en interview, qui vous regarde dans les yeux. » Décrit comme « modeste » , « intelligent » , comme un « garçon qui réfléchit beaucoup » , De Ligt est avant tout un garant de l’institution Ajax, qui a fini par modeler son équipe à sa façon. Sur le terrain, où il montre l’exemple aux moments clés (en témoigne sa tête contre la Juventus en quarts de finale retour), où sa mentalité de vainqueur suinte de tous ses pores et où son côté dur et besogneux au duel suscite un mélange de crainte et de respect. « Ce n’est pas mon problème s’il y avait un attaquant à l’endroit du ballon » , déclarait-il après avoir blessé un joueur de Benfica en phase de groupes de la Ligue des champions 2018-2019. Mais aussi en dehors, où jamais un Rouge et Blanc n’a de mot plus haut que l’autre envers ses adversaires. S’il émanait une atmosphère de respect pour le roi déchu contre le Real Madrid et la Juventus, c’est aussi parce qu’un gamin de 19 piges ne profitait pas de l’occasion pour s’en vanter. « Je ne me vois pas comme un Golden Boy, je suis un garçon normal » , déclarait-il simplement après avoir remporté cette distinction de Golden Boy en 2018. « C’est un garçon de village pour qui tout est allé très vite » , souffle Robert van der Hoef. Et qui va aujourd’hui de plus en plus vite. À la vitesse de De Ligt, la vitesse de la lumière…

Avec son trophée de Golden Boy 2018

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Tous propos recueillis par DDG, sauf mention.

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