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Kenzo, la goutte de trop
L’agression d’un jeune supporter marseillais de 8 ans, souffrant d’un cancer du cerveau, et de sa famille, dans les loges du stade d’Ajaccio, a soulevé une légitime vague d’indignation, qui est remontée jusqu’au sommet de l’État. Avec l’impression qu’une ligne rouge a été franchie.
Un retentissement jusqu’au sommet de l’État. « Cela montre une espèce de dérive, et on a raison de ne pas s’y habituer », s’inquiétait lundi le président de la République au sujet de l’agression subie par le jeune Kenzo, ainsi que de sa famille, dans les loges du stade René-Coty à l’occasion du match entre Ajaccio et Marseille. Le jeune garçon y avait été convié officiellement par le Rotary Club d’Ajaccio ainsi qu’Air Corsica. Emmanuel Macron a également réclamé les « sanctions les plus claires » contre les fautifs. Il est dans son rôle, et cela doit même conforter de manière opportune son discours actuel sur la « décivilisation ». Au moment où nous écrivons ces lignes, aucune arrestation n’a été effectuée, ni personne ne s’est rendu auprès des forces de l’ordre, après l’ouverture d’une enquête pour violences en réunion.
Agression de Kenzo lors d'Ajaccio-Marseille: "C'est totalement inacceptable", affirme Emmanuel Macron
➡ Kenzo, jeune supporter de Marseille atteint d'un cancer, a été pris à partie avec sa famille par des supporters de l'AC Ajaccio, en marge du match face à l'OM pic.twitter.com/9ixIF5rLGv
— BFMTV (@BFMTV) June 5, 2023
Les condamnations sont évidemment unanimes. À commencer en Corse, où semble prédominer le sentiment que non seulement le club a été sali, mais plus largement « le pays ». L’ACA n’a pas mâché ses mots contre ses propres supporters, ceux impliqués évidemment. « Le rêve s’est rapidement transformé en cauchemar lorsque Kenzo et ses parents, venus aux couleurs de l’Olympique de Marseille, ont été honteusement violentés par des individus qui se sont introduits dans leur loge. » Le club s’est engagé aussi à porter plainte contre les auteurs, dès qu’ils auront été identifiés. Son président, Alain Orsini, a parlé de « folie absolue » avant de présenter « au nom du club toutes mes excuses au papa et à la maman et au petit garçon. (…) Nous prendrons des sanctions à notre niveau. (…) Les hooligans qui se sont livrés à cette agression seront interdits de stade à vie. » Le maire de la ville, qui depuis la veille devait gérer en outre les affrontements entre supporters phocéens et leurs homologues du cru, pour ce match sous tension, a dénoncé avec fermeté cette « agression gratuite et scandaleuse ». Son vis-à-vis marseillais, Benoît Payan, a réagi sur Twitter : « Pas de mot pour décrire cette scandaleuse agression. Force à toi Kenzo ainsi qu’à ta famille. » Ce mardi, la LFP a embrayé le pas en déposant plainte également.
Les ultras ajacciens se dédouanent
La seule note dissonante vient des premiers incriminés, les ultras ajacciens, qui ont rejeté la responsabilité des violences aux « provocations » de cette famille marseillaise, tout en reconnaissant l’intrusion et les coups portés, sauf envers l’enfant. Dans Corse-Matin, le leader des Orsi Ribelli racontait de la sorte que « c’est le père qui portait le maillot de l’OM et qui narguait les supporters en dessous. Alors effectivement, quelques personnes assises en tribune Faedda sont montées, ont porté deux coups de poing au père pour lui faire enlever le maillot avant de redescendre avec la tenue. Cent personnes en tribune sont capables de témoigner en ce sens. Le groupe des Orsi Ribelli compte bien clarifier la situation. » Un discours quelque peu déconnecté du réel, et qui vise à introniser les supporters corses en véritables victimes de cette affaire. Pour des faits sans commune mesure à Bordeaux, l’intrusion sur le terrain d’un des leurs qui avait poussé un joueur de Rodez, les Ultras Marines avaient assumé dans un communiqué leur « faillite » et s’étaient excusés. Pour mémoire, la mère de Kenzo avait livré une tout autre version sur France Bleu Provence notamment. « Ils ont crié : “Le fils de pute, il a le maillot de l’OM, il faut qu’on le nique.” Je leur ai dit : “C’est de mon fils que vous parlez comme ça ? Vous rigolez, c’est un enfant de 8 ans, il a un cancer !” (…) Ils ont mis deux coups de poing dans le visage de mon mari. Ils ont poussé mon fils, donc il est tombé et il a tapé tout le visage sur la barre en fer du siège. » Sur les photos juste après, quand il a notamment pu rencontrer l’équipe de l’OM dans les vestiaires, Kenzo porte effectivement des traces de ce choc sur le visage.
Quelles seront les suites de cette lamentable séquence ? Au-delà évidemment des habituels amalgames sur le mouvement ultra ou les appels à davantage de sécuritaire ? Le monde des tribunes, les codes ultras et même parmi les plus enclins à la violence avaient toujours posé une règle implicite – par ailleurs assez usuelle, rappelons-le, dans le reste de la société – de ne jamais s’en prendre aux enfants. Cette ligne rouge a été franchie. La saison avait été plutôt calme, les séquelles de la pandémie semblaient s’estomper, dans les têtes et les humeurs (même si parallèlement, on observe la montée en puissance d’un hooliganisme d’extrême droite partout dans l’Hexagone, guère surprenant vu le climat d’ensemble en France). À l’instar de la réaction du RC Lens au sujet du harcèlement ou des agressions sexuelles subies par ses supportrices à Bollaert, l’attitude de l’ACA montre au moins la voie, dans la mesure où elle ne cherche ni à minimiser ni à fuir son rôle d’institution, social ou juridique. D’ailleurs, sur BFM TV, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra avait salué pour sa part « la réaction du club d’Ajaccio (…) pour dénoncer l’horreur de ce geste : ce petit garçon qui perd la vue et qui voulait voir un beau spectacle ». Il importe donc encore et toujours que l’ensemble des acteurs du football et dans les stades se mobilisent pour éviter que ce type de graves incidents ne se reproduisent.
Par Nicolas Kssis-Martov