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Ajaccio-Bastia, duel fratricide en tribune ?

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Ajaccio-Bastia, duel fratricide en tribune ?

Pauvre sur le terrain, le derby de Corse s’est surtout déroulé en tribunes. Retour sur une opposition à armes pas forcément égales.

Les deux équipes ont beau être « sous la même bannière » , comme l’avait rappelé quelques jours avant la rencontre Alain Orsoni, le président de l’ACA, en référence à la tête de Maure, la lutte pour la suprématie régionale était de mise le week-end dernier dans la cité impériale. Moins sur le terrain que dans les travées du stade Timizzolu et dans les rues de la ville. Car Bastia qui se déplace à Ajaccio, c’est un peu le grand frère populaire qui vient rendre visite à son cadet qu’il n’a pas vu depuis longtemps. Le petit frère qui a grandi dans son ombre et veut le faire savoir. « Il y a comme l’impression chez les supporters bastiais que l’ACA pourrait devenir ce qu’était Bastia dans les années 70 » , considère Didier Rey, historien, maître de conférences à l’Université de Corse et auteur du livre La Corse et son football (éditions Albiana).

« Il y a de l’excitation, le grillage de notre tribune est gentiment pris d’assaut »

Aussi, lorsque les têtes de Johan Cavalli et de Gaël Angoula s’accrochent à quelques minutes de la fin du match, les deux joueurs allument une mèche qui les dépasse. Comme lors de pareilles situations à Furiani, les Turchini, surnom des supporters bastiais, s’enflamment : « De suite, il y a de l’excitation, le grillage de notre tribune est gentiment pris d’assaut pour haranguer les joueurs. Du grand classique chez nous » , indique Olivier du groupe de supporters Bastia 1905. Un fumigène finit pourtant sa course sur le terrain, non loin du banc acéiste. Ne voulant pas s’en laisser conter chez eux, les supporters ajacciens de l’Orsi Ribelli s’excitent eux aussi, et rejoignent le grillage les séparant de la tribune d’honneur (où sont placés de nombreux Bastiais), qu’ils tentent alors de faire céder. « On voit des gars de la tribune de l’Orsi Ribelli qui commencent à descendre et à venir près de notre coin du stade. Ils se sentent pousser des ailes en ce moment » , ironise Olivier.

Échanges de lattes et d’objets en tout genre rythment alors quelques minutes de flottement, durant lesquelles des supporters indifféremment acéistes et bastiais, mélangés dans la tribune d’honneur, assistent, médusés, à l’explication des ultras des deux bords. Les Bastiais viennent alors sévèrement et dangereusement calmer leur « petit frère » : une torche est d’abord lancée dans la tribune de l’Orsi Ribelli, puis immédiatement après une bombe agricole explose et disperse les Rouge et Blanc. « Je ne vais pas dire qu’il y a ce genre d’incidents tous les week-ends » , reconnaît Olivier, qui ajoute néanmoins : « Les mecs de l’Orsi Ribelli sont jeunes et ont été élevés à l’Internet… Mais quand tu veux jouer la carte de la provoc’, il faut assumer derrière. » Contactés par So Foot, les responsables de l’Orsi Ribelli n’ont pas souhaité donner suite. Pour Didier Rey, « à Ajaccio, il y a certains jeunes qui rêvent de jouer au supporter corse en suivant l’image que leur renvoient les médias, et d’être d’une certaine manière plus corses que les Bastiais. C’est le signe d’une recherche de repères. »

« Bastia, bienvenue en enfer. L’Orsi Ribelli »

Il faut dire que le terrain avait été préparé en amont. Sur le bord de la route nationale 193 séparant Bastia d’Ajaccio, on pouvait lire, « A Corsica, ghjé sola bianch’é turchina » (comprendre « La Corse n’est que blanche et bleue » ), ponctué d’un « ACA gaulois » , car avec la couleur rouge des acéistes, on obtient un drapeau français. Il fallait y penser… De leur côté, les supporters ajacciens se fendaient d’un communiqué une semaine avant le derby, dénonçant « la polémique lancée par certaines structures de supporters bastiais » concernant la billetterie du match et l’occupation des tribunes*, et accueillaient les visiteurs avec un tag sur un mur, « Bastia, bienvenue en enfer. L’Orsi Ribelli » , en français dans le texte cette fois. Enfin, la veille du match, des échauffourées mettaient aux prises une quarantaine de supporters bastiais et plusieurs jeunes d’Ajaccio à proximité d’un bar, puis les supporters bastiais aux forces de l’ordre, avant que ces dernières ne repoussent les Turchini vers le front de mer, à grands renforts de bombes lacrymogènes, si l’on en croit Corse Matin.

« Si on se réfère à l’ambiance délétère dans les jours qui ont précédé le match, on aurait pu craindre des débordements plus inquiétants » , estime Didier Rey en fin connaisseur des rivalités corses. « Bien sûr, le lancer d’une bombe agricole n’est pas anodin, mais les incidents n’ont duré que trois minutes et ,surtout, ça s’est calmé aussitôt, il n’y a pas eu d’affrontements en dehors du stade à la fin du match » , ajoute-t-il. En tout cas, les images de l’échauffourée en tribune – assez spectaculaires – ont été reprises par le Zapping de Canal+. Mais après la rencontre, Alain Orsoni en relativisait fortement la portée : « Il faut minimiser ce qui s’est passé, même si on peut le déplorer. Les supporters ajacciens et bastiais ont donné une belle image pendant cette rencontre. (…) Je ne vois pas en quoi mon club serait responsable de quoi que ce soit lors de cette rencontre. Nous avions fait en sorte, au niveau de la sécurité, que tout se passe bien. Il serait dommageable de réduire ce derby à ces cinq minutes quand, en amont, depuis le matin, et bien après la fin du match, tout s’est bien passé… » Olivier, de Bastia 1905, renchérit : « J’ai fait tous les derbys à Ajaccio et, hormis les cinq dernières minutes, d’une certaine intensité, c’était le derby le plus calme que j’ai pu voir. Ce serait bien que les journaux s’en rappellent et écrivent proportionnellement à ce qui s’est passé. » De son côté, la préfecture de Corse, contactée par So Foot, n’a pas souhaité réagir.

Alain Orsoni, supporter du SC Bastia

En réalité, il n’y a pas vraiment, selon Didier Rey, de rivalité sportive au niveau professionnel entre Ajaccio et Bastia, car les deux clubs ont rarement évolué au même niveau ensemble. « La rivalité était plus avec le Gazelec, le vrai club d’Ajaccio » , soutient Olivier, lorsque les deux formations se côtoyaient en deuxième division entre 1986 et 1994, mais pas avec l’ACA qui a disparu des écrans du football professionnel entre 1975 et 1998. Soit au moment où Bastia s’installait au sommet du football corse. La preuve, Alain Orsoni ne se cache pas d’avoir été un fervent supporter de Bastia dans les années 70, allant jusqu’à faire les déplacements en Coupe d’Europe.

En fait, « il s’est créé une opposition de type ultra en dehors des relations entre clubs » , analyse Didier Rey. La défunte Testa Mora, groupe de supporters créé en 1992 et auto-dissous en 2004, présentait Bastia comme le club du « peuple corse » , une antienne reprise par l’ensemble des groupes de supporters bastiais aujourd’hui et même par le club. Il n’y a qu’à voir cette vidéo moqueuse à l’égard des supporters ajacciens, réalisée par le site Internet du SC Bastia. Mais le déclin des Turchini au milieu des années 2000 a coïncidé avec une certaine stabilité au haut niveau de son voisin du sud. Sauf qu’un gouffre sépare encore supporters bastiais et ajacciens, comme le résume Didier Rey : « Il y a des supporters de Bastia à Ajaccio, le contraire n’existe pas. »

Par Anthony Cerveaux, avec Antoine Aubry

*900 places étaient au départ réservées aux Bastiais avant qu’Alain Orsoni ne déclare que, « en plus de ces 900 places, nous n’interdisons pas aux supporters Bastiais qui le désirent de venir directement sur Ajaccio pour acheter des billets » .

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