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Aïssa Laïdouni, tombé loin du nid
Aïssa Laïdouni a crevé l'écran au Mondial 2022 sous le maillot de la Tunisie, il jouera l'an prochain en Ligue des champions avec l'Union Berlin. Il est temps d'en savoir un peu plus sur ce garçon de Montfermeil recalé par Angers et snobé par l'Algérie.
Samedi 27 mai dernier se tenait la 34e et dernière journée de Bundesliga. Un épilogue crucial pour le titre, mais aussi pour la course à la qualification en Ligue des champions. L’Union Berlin, tube de la saison en Allemagne, devait gagner contre le Werder pour y participer. Et les hommes d’Urs Fischer ont parfaitement rempli leur mission, en décrochant le pompon face au Werder Brême (1-0), dans un Stadion An der Alten Försterei chauffé à blanc. Une dernière mission à laquelle un courageux soldat nommé Aïssa Laïdouni a pris part. Titulaire au coup d’envoi du match le plus important de la saison de l’Union Berlin, l’Algéro-Franco-Tunisien est devenu une pièce centrale du club de Berlin-Est. Mais avant de connaître ces émotions à Köpenick, le rugueux milieu de terrain en a connu d’autres, plus contrastées.
Bloqué à Angers
L’histoire d’Aïssa Laïdouni, c’est avant tout celle d’un gamin né à Livry-Gargan, qui a grandi à Montfermeil, ville de banlieue parisienne, et plus exactement dans les cages du club de foot local. « Au début, Aïssa jouait au goal. C’était un très bon gardien quand on était petit », se souvient Belgacem Louhichi, son ami de toujours. Puis, Aïssa monte de plusieurs crans sur le terrain, jusqu’à se retrouver ailier. « Il se prenait pour Ribéry, à l’époque », continue Belgacem. Les deux potes sont prometteurs, même si Aïssa Laïdouni reste petit en taille. « Mais il compensait en étant très combatif. Il était déjà comme aujourd’hui », détaille son ami d’enfance. Ensemble sur le terrain comme à l’école, Aïssa et Belgacem sont finalement séparés quand le second rejoint le centre de formation de Troyes, puis celui d’Angers. Aïssa ne se laissera pas distancer comme ça, puisqu’il le rejoindra en U19 dans le Maine-et-Loire. Et évidemment, Louhichi n’y est pas pour rien : « On a beaucoup discuté avant sa signature. À l’époque, ils venaient d’ouvrir le centre de formation, et je m’y sentais bien. » Pour Aïssa, ce sentiment de confiance arrivera un peu plus tard, lors d’une opposition entre les jeunes et l’équipe pro. « Un déclic », appuie Belgacem. « Ce jour-là, il a mis tout le monde d’accord. Personnellement, je savais de quoi il était capable, mais là il a montré qu’il pouvait rivaliser avec des joueurs de Ligue 1. Il avait fait une très grosse prestation. » Malgré cette prouesse, Aïssa Laïdouni ne disputera qu’un match avec l’équipe fanion du SCO, au poste de latéral droit, en avril 2016. C’est peu, et après des tractations avec la direction, la solution du prêt est dégainée.
Comme souvent, les déceptions des uns font l’opportunité des autres. « Angers ne croyait pas en lui. C’était pour nous une opportunité de se le faire prêter, se souvient Frédéric Reculeau, coach des Herbiers alors en National. Il avait tout à fait le profil que j’aime. » Aïssa Laïdouni n’a que 19 ans, mais son coach le considère déjà comme un grand : « C’est quelqu’un qui n’était pas loin d’être un produit fini. Il fallait juste développer un peu la tactique, mais il y avait beaucoup de choses acquises chez lui. Il avait les qualités pour jouer au très haut niveau. » En Vendée, Laïdouni réalise sa première saison pleine et jouit (enfin) de la confiance de son coach. « C’est un garçon qui n’est pas facile à gérer, parce qu’il a du caractère. Mais à partir du moment où il se sent respecté et complètement investi dans un projet, il s’y retrouve », poursuit Reculeau. En parlant de projet, le suivant sera celui de Chambly, où au bout d’une saison plus contrastée, il retrouvera Angers.
Les solutions se lèvent à l’Est
Dans la ville qui s’est attribué Raymond Kopa, Laïdouni n’est toujours pas en odeur de sainteté. Le moment choisi pour changer de braquet et tenter un pari : la suite s’écrira loin de l’Hexagone, et notamment au FC Voluntari, en D1 roumaine. C’est Abdelhak Belahmeur qui lui a donné le filon, Aïssa n’étant au départ pas forcément volontaire pour rejoindre le Voluntari. « Il était hésitant, et le club m’avait fait part du fait qu’il le voulait vraiment. Donc j’ai essayé d’insister, je lui ai écrit un peu tous les jours, raconte cet ancien adversaire en National. Je lui disais que s’il restait en France, il allait stagner. La Roumanie pouvait lui servir de tremplin. » L’argument finit par faire mouche et est le point de départ d’une série d’épisodes dignes d’une mauvaise série française sur Netflix. « Les premiers jours, on avait une visite médicale au centre de Bucarest. On venait d’arriver, on n’avait pas de voiture. Sur l’aller, un joueur nous dépose, mais on pensait qu’il allait nous attendre. Finalement, on sort du cabinet et il n’y a plus personne, se souvient l’actuel joueur du SR Colmar. On se retrouve en plein milieu de Bucarest sans argent. On ne sait pas comment rentrer. On devait rester deux heures, on est restés toute la journée bloqués. On s’est dit qu’ils voulaient nous mettre des bâtons dans les roues. » Malgré cela, Aïssa Laïdouni tire son épingle du jeu au pays des vampires. « Le niveau est très bon en Roumanie, mais Aïssa était au-dessus des autres », assure son compère. Après une saison à 32 matchs, 6 buts et 3 passes décisives, Aïssa Laïdouni est déjà courtisé par le plus grand club de Roumanie, le Steaua Bucarest. Sauf qu’il préfère apporter un peu de continuité dans une carrière déjà mouvementée : le milieu reste une année supplémentaire à Voluntari, afin de franchir une nouvelle étape. À raison.
En 2020, direction la Hongrie et le club phare de Ferencváros. Dans son nouveau club, Aïssa Laïdouni explose, gagne le championnat en 2021 et réalise le doublé championnat-coupe en 2022. Sur la scène européenne, il découvre la Ligue des champions et croise le fer avec le FC Barcelone de Lionel Messi et la Juventus de Crisitano Ronaldo. Élu meilleur joueur du championnat hongrois sur ses deux seules saisons complètes dans le pays de Puskás, Laïdouni crève l’écran. Au point d’étonner ceux qui l’ont connu plus bas, dont Frédéric Reculeau : « Il est passé par un chemin plus compliqué, mais son émergence est à la hauteur de ses qualités. Il fallait juste qu’il y ait un club qui lui donne un peu plus de visibilité pour montrer son talent. » Son bonheur, et surtout sa légitimité, il est allé les chercher dans des pays où il n’avait aucun repère. Cette prise de risque lui permettra de se rapprocher de ses racines.
Passeport vers le haut niveau
Aïssa possède trois passeports : un français, un algérien et un tunisien. Lui s’est longtemps senti plus proche des Fennecs : il a joué la CAN des quartiers sous le maillot vert, il était pressenti pour jouer les JO 2016, et a refusé un premier appel des Aigles de Carthage pour garder ses chances auprès de Djamel Belmadi. Mais en mars 2021, c’est la Tunisie qu’il décide de représenter. Pour le plus grand bonheur de son ami de toujours, Belgacem Louhichi, lui-même ex-international U20 : « Le voir en équipe A est ma plus grosse fierté. Il réalise mon rêve. » Résultat : fin 2022, Aïssa Laïdouni s’envole pour le Qatar, afin d’y disputer la Coupe du monde. Pour le premier match du groupe D, face au Danemark, Aïssa termine tout bonnement homme du match. Mérité, avec notamment deux tacles réussis, 83% de duels remportés et huit ballons récupérés. Laïdouni joue la mâchoire serrée, impressionne par son volume, son engagement et sa manière de haranguer la foule. « Ce n’est peut-être pas le plus malin de nos joueurs, mais c’est assurément le meilleur », confie un supporter installé dans les gradins du stade Al-Janoub, pendant le match contre l’Australie. Lors de la victoire face à la France, le numéro 14 réalise encore un excellent match. Insuffisant cependant pour se sortir d’un groupe D relevé. « Aïssa Laïdouni a été une énorme révélation. C’est le gladiateur de cette équipe, il a donné beaucoup de solidité à l’entrejeu, se souvient Rafik El Herguem, journaliste à La Presse de Tunisie. En plus, il sait communiquer avec le public. Avec sa forte personnalité sur le terrain, il a tapé dans l’œil de tout le monde. »
Les dirigeants de l’Union Berlin ne sont pas aveugles. Deuxième de Bundesliga à la pause hivernale, le club allemand n’hésite pas à débourser 2,6 millions d’euros sur la révélation du Mondial, fraîchement nommée joueur tunisien de l’année. Une étape taillée sur mesure pour le milieu de terrain. « Il a atterri dans un championnat qui récompense la présence physique et la régularité. Je sais qu’il va réussir, car il s’adapte très vite, il n’a pas peur, se donne à fond. Il ne triche pas », pronostiquait Rafik El Herguem. Au lendemain de l’épilogue de la Bundesliga, difficile de donner tort au journaliste tunisien. Aïssa Laïdouni a disputé, depuis son arrivée, 21 matchs sur 23 possibles. Sur les trois derniers matchs de championnat, l’enfant de Montfermeil a même inscrit deux buts en sortie de banc. Étape par étape, Aïssa a fait son chemin, Union Berlin aussi : ils joueront la Ligue des champions l’an prochain.
Par Thomas Freiburghaus, à Berlin
Tous propos recueillis par TF.