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Air Jordan Siebatcheu
Deux ans après sa chute en National, la Berrichonne de Châteauroux a désormais la possibilité si elle ne déconne pas de retrouver la Ligue 2 la saison prochaine. Une perspective encore assez difficile à cerner dans les têtes il y a quelques mois, soit avant l’arrivée d’un attaquant décisif en janvier : Jordan Siebatcheu, auteur de neuf buts en treize matchs. Portrait, entre une blouse et un pari gagnant.
Au moment de lâcher un regard dans le rétro, Jordan Siebatcheu aurait pu abattre cette carte que l’on sort souvent de son jeu comme un réflexe. Instinctivement, il aurait dû reparler de son premier match chez les pros, à Toulouse, un jour de janvier 2015 où Jean-Luc Vasseur lui avait filé un peu plus de vingt minutes pour se dépuceler en Ligue 1 avec le Stade de Reims, le club qui l’a biberonné. Et pourquoi pas le souvenir de son premier but avec les grands, inscrit huit mois plus tard lors d’une victoire à Bordeaux. Ou encore celui contre le PSG claqué quelques semaines plus tard. Mais non, le jeune attaquant franco-américain n’est pas comme ça et lorsqu’il parle de son arrivée dans le premier groupe professionnel de sa carrière, c’est avant tout pour évoquer les difficultés rencontrées : « Lorsque j’étais chez les jeunes, j’empilais les buts, c’était naturel, instinctif, mais quand je suis arrivé avec les pros, ça a été plus compliqué. »
Diagnostic classique : Siebatcheu souffre lorsqu’il ne plante pas. « Quand tu es attaquant, que tu ne marques pas pendant un match, deux matchs, trois matchs, tu as tendance à te compliquer la vie. Moi, je cogitais beaucoup dans mon coin et j’entrais dans une espèce de spirale négative. » Il y a moins d’un an à peine, celui qui était alors encore au Stade de Reims – à qui il appartient encore – était présenté comme l’une des belles promesses du championnat de France. Vingt ans, un profil atypique, 25 apparitions avec l’équipe première pour sa première saison chez les grands et trois buts. Un CV qui avait donc de la gueule au moment de redescendre d’un étage avec les Champenois l’été dernier. Problème, une relégation s’accompagne souvent d’un changement de visage sur le banc, histoire d’ouvrir un nouveau chantier. À Reims, Jean-Pierre Caillot a donc décidé à l’époque que le candidat du renouveau serait Michel Der Zakarian, un homme qui est aujourd’hui passé à côté de sa mission remontée – le club est septième de Ligue 2 à deux journées de la fin et a besoin d’un miracle pour atteindre la place de barragiste. Sans Jordan Siebatcheu.
Le flair de Leroy, les conseils d’Angoula
Pour la première fois de sa vie, le bonhomme a en effet quitté la ville il y a cinq mois. « Pour que le jeune garçon qu’il était devienne un homme » avant tout, comme l’explique son entourage. Direction Châteauroux, pour un prêt de six mois en National, où le directeur sportif Jérôme Leroy a une nouvelle fois cogné à l’instinct. Depuis qu’il a enfilé ce nouveau costume il y a deux ans, l’ancien esthète du championnat de France est devenu un homme de défis, de paris. Dès le premier jour, Michel Denisot, vice-président de la Berrichonne, voulait que Leroy utilise son « côté joueur, dans tous les sens du terme, ce qui n’a pas que des mauvais côtés. Il adore le jeu, il ne parle que de ça, c’est la clé de tout, avant même de parler transfert. » Alors, l’ex du PSG et de l’OM a filé en DH, a avalé les kilomètres, pour sentir les bons coups, ce qu’il détaillait en février dernier dans les colonnes de L’Équipe : « Je ne prends pas un joueur que je n’ai pas vu, j’évite de me faire polluer, je fonctionne au coup de cœur. En un ou deux matchs, je sais, dans son attitude, si le gars sent le foot. Un joueur qui lève les bras au bout de cinq minutes, même s’il est très bon, je ne le prends pas. » L’idée de venir chercher Siebatcheu est arrivée comme ça, aussi, alors que Châteauroux s’était fixé comme objectif vital un retour en Ligue 2 dès la saison prochaine au début du dernier exercice. Il reste aujourd’hui deux journées de championnat, et la Berrichonne pointe en tête aux côtés de l’US Quevilly-Rouen, malgré le récent départ de son entraîneur, Michel Estevan, mis à pied pour avoir parié sur des matchs de Ligue 2, de Bundesliga et de hockey avec ses enfants, mais aussi quelques problèmes en interne. Banco.
Comment Jordan Siebatcheu s’est-il retrouvé au milieu de cette aventure ? Au bout d’une première partie de saison vissé sur le banc déjà – malgré un triplé en Coupe de France avec le Stade de Reims à Villeneuve-d’Ascq (7-0) en décembre – et donc d’un coup de fil de quelques minutes de Jérôme Leroy. Il raconte : « Reims m’avait donné un bon de sortie pour l’hiver. L’opportunité de Châteauroux est arrivée et j’en ai parlé avec Hassane Kamara et Alexi Peuget, qui sont tous les deux passés par la Berrichonne. Je voulais jouer, reprendre du plaisir, mais j’avais aussi besoin de découvrir autre chose. J’ai toujours vécu avec mes frères, mes sœurs, mes parents. D’entrée, Jérôme Leroy m’a dit de ne pas me mettre la pression, m’a parlé de son passé de joueur et tout est allé très vite. » Soit neuf buts en treize rencontres de National à la barre d’une attaque en panne sèche à l’hiver. Venir cavaler en National, à 21 ans, quand quelques mois plus tôt on court avec un statut d’espoir en Ligue 1, il fallait oser. « Je sais que ça va me servir. Le National est un championnat compliqué, mais hyper intéressant. C’est physique, il y a beaucoup de duels, il faut savoir jouer avec sa tête et avec son corps et c’est surtout là-dessus que j’ai pas mal appris, détaille Siebatcheu. J’ai compris que j’allais être bien dans ce groupe dès le premier jour. La veille, j’avais mangé au restaurant avec mon agent, le coach adjoint (Olivier Saragaglia, qui a depuis repris le rôle d’entraîneur principal, ndlr) et Jérôme Leroy qui était venu me chercher le lendemain matin pour m’emmener à l’entraînement. Dès que je suis entré dans le vestiaire, Aldo Angoula, le capitaine, m’a présenté à tout le monde, m’a intégré au groupe. » Intégration qui s’est poursuivie sur le terrain entre les taquets et les conseils d’Angoula, au moins aussi précieux que ceux filés par Oumare Tounkara et Razak Boukari.
Jordan, le scientifique
En arrivant à Châteauroux, la mission de Jordan Siebatcheu était simple : retrouver du temps de jeu et empiler les buts, le tout dans un cadre de vie moins confortable. « La ville est plus calme que Reims, c’est sûr, mais au moins je peux me concentrer uniquement sur mon football. C’est bien, ça me canalise » , avoue celui qui avait intégré le Stade de Reims à l’âge de six ans après avoir lâché ses premiers dribbles dans le quartier Croix-Rouge de la ville. C’est là où il a tout appris, là où il a alterné entre la discipline et l’enseignement tactique, là aussi où il a remporté le championnat de France U19 en juin 2015 un peu plus d’un an après une finale de Gambardella perdue contre l’AJ Auxerre (0-2). Une période où l’attaquant a également rencontré un certain Romain, supporter du Stade de Reims qui est devenu un confident d’après-match et un meneur de page Facebook sur le joueur. « Ça me fait plus plaisir que bizarre. On discute souvent, c’est devenu un ami. » Un ami qui a continué à le suivre à Châteauroux, mais aussi lors de déplacements à Belfort ou Sedan. La montée de la Berrichonne n’est aujourd’hui qu’à quelques mètres et Jordan, un prénom inspiré « du fleuve Jourdain où a été baptisé Jésus » , retournera ensuite à Reims, pour s’offrir un retour par le haut. « Je vais également en profiter pour reprendre mes études. Je suis arrivé de Washington avec mes parents quand j’étais bébé, ils étaient venus en France pour étudier. Moi, j’ai eu un bac scientifique et je veux continuer là-dedans. Je m’étais renseigné auprès de l’UNFP, je devais reprendre en janvier, mais avec ce prêt, ça a décalé les choses. Normalement, ça sera pour juillet, en kiné ou en pharmacie, je veux voir jusqu’où je peux aller » , complète-t-il. Rafraîchissant on disait.
Par Maxime Brigand
Tous propos recueillis par MB sauf ceux de Jérôme Leroy, tirés de L’Équipe.