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Ainsi suivirent trente ans de violence autour de l’équipe d’Angleterre

Par Grégory Sokol
7 minutes
Ainsi suivirent trente ans de violence autour de l’équipe d’Angleterre

Pendant près de trente ans, une frange violente de supporters suivant l’équipe d’Angleterre de football terrorisait l’Europe et parfois au-delà. Tout commence à l’approche de l’été 1977, à Wembley.

Pour le commun des amateurs de football, la Tartan Army, à savoir l’ensemble des supporters écossais parcourant des milliers de kilomètres pour voir jouer leur piètre équipe nationale, est une bande de sympathiques braillards portés sur la boisson et adeptes du kilt pour mieux se trimbaler le sifflet à l’air selon l’état d’ébriété. Les Anglais ayant vécu de près ou de loin le match opposant les deux rivaux en 1977 auront probablement un tout autre avis. Un match comptant pour les championnats de Grande-Bretagne opposant chaque fin de saison et sur une semaine les quatre nations britanniques, le calendrier permettant alors encore ce genre de traditions. Tournoi qui aura duré cent ans tout pile, de 1884 à 1984, et dont la confrontation entre les Auld Ennemies était le pinacle, à Wembley ou Hampden Park une année sur deux.

La pelouse de Wembley dans le jardin des Strachan

Cette année 1977, la rencontre est attendue avec plus d’impatience côté écossais que côté anglais, l’équipe d’Écosse possédant une équipe armée pour gagner à Wembley pour la première fois depuis dix ans. Flairant la déception, les Anglais sont largement en sous-nombre dans leur propre écrin, envahis par d’innombrables Écossais éméchés déterminés à faire honneur à leur pays. Jusqu’à 70 000 selon plusieurs sources, malgré le nombre de places officiellement limitées pour les visiteurs. « C’était devenu un challenge de se procurer une place n’importe où dans le stade. En regardant le match aujourd’hui, on peut s’apercevoir qu’il y a eu beaucoup plus de bruit quand nous avons marqué que lorsque ce fut l’Angleterre » , rembobine Andy Mitchell, historien du sport et grand supporter de l’Écosse.

Sans surprise, l’Angleterre est défaite sur le score de 2-1. Des dizaines de milliers d’Écossais, ivres en partie de joie, se ruent sur le terrain en kilt ou en pattes d’eph, pour les plus à la mode, avant d’arracher tout ce qu’il est possible d’arracher.

Il y avait un symbole de défiance. C’était une opportunité de montrer que les Écossais étaient supérieurs aux Anglais.

La barre transversale ne met pas bien longtemps avant de céder sous le poids de fans assis à califourchon. Les moins équilibristes se contentent de déraciner des carrés de pelouse entiers qui seront replantés un peu partout au nord du mur d’Hadrien, en souvenir. L’un de ces apprentis jardiniers n’est autre que Gordon Strachan, l’actuel sélectionneur de l’Écosse pas encore devenu international. Pour Andy Mitchell, « il y avait un symbole de défiance. C’était une opportunité de montrer que les Écossais étaient supérieurs aux Anglais. Nous n’avions pas gagné en Angleterre depuis longtemps et avions pris 5-1 lors de notre dernière visite. Le soulagement d’avoir gagné était immense et beaucoup de facteurs expliquent le comportement de la foule. »

Pipi et crachat

En effet, dans une société britannique en pleine crise, le chômage, la précarité et le sentiment de marginalisation sont prédominants dans le Nord de l’Angleterre et chez le voisin écossais. « Londres nous traitait comme des citoyens de seconde zone et cela a certainement joué » , explique Harry d’Edimbourg pour l’occasion, sans pour autant justifier. À titre d’exemple, Londres n’hésite pas à relocaliser Crawford’s, une célèbre fabrique de biscuits basée à Edimbourg, les gens se retrouvant sur la paille étant le cadet de leurs soucis. De quoi attiser un peu plus la haine et le dégoût. Le rejet du joug anglais et les prémices d’une volonté d’indépendance se traduisent en 1979 par un premier référendum organisé pour, dans un premier temps, obtenir son parlement. Le oui l’emporte inutilement de par le trop faible nombre de votants.

Malgré les faits relatés à chaud, les incidents ne se sont pas seulement déroulés à l’intérieur du stade.

Le train en partance de Manchester était plein d’Écossais bourrés déversant leur haine de l’Angleterre. Ils se baladaient la quiche à l’air devant ma femme et je me suis fait cracher dessus quand je leur ai demandé d’arrêter.

Mick, de Bolton, se souvient d’un week-end romantique plutôt raté. « J’avais cru bon de réserver un week-end à Londres pour notre premier anniversaire de mariage. Le train en partance de Manchester était plein d’Écossais bourrés déversant leur haine de l’Angleterre. Ils se baladaient la quiche à l’air devant ma femme et je me suis fait cracher dessus quand je leur ai demandé d’arrêter. Ensuite, l’un d’eux s’est mis à pisser derrière nos sièges. » L’ambiance ne se détend pas franchement une fois arrivés dans le centre de Londres. Pelotages sauvages, vols et agressions de camelots vendant notamment écharpes et programmes, toute la gamme du parfait couillon grisé par les effets de masse et d’alcool y passe. Enfin à l’hôtel, Mick, lui, se pense tiré d’affaire. C’était sans compter sur l’ingéniosité des fans écossais en matière de blagues : « Ils ont piqué mon bagage dans le train, mais celui de ma femme était indemne, ce qui était le principal. Je l’ai entendue hurler dans la chambre lorsqu’elle l’a ouvert. Il y avait une merde au milieu de sa nuisette » .

Les fans anglais désormais victimes de la réputation de leurs aînés

Il suffisait de payer à l’entrée, ce qui pouvait occasionner de très grosses affluences. Il était possible de rentrer avec ses bouteilles d’alcool personnelles.

Jusqu’à ce jour de juin 1977, si le football britannique de clubs connaît une nette baisse d’affluence moyenne dans ses stades et une violence chronique, les équipes nationales sont cependant épargnées. Fidèle d’Easter Road, l’antre d’Hibernian à Edimbourg, Andy Mitchell décrit une journée de l’époque au stade : « Pour commencer, nous pouvions rester debout et il n’y avait pas besoin de ticket pour entrer. Il suffisait de payer à l’entrée, ce qui pouvait occasionner de très grosses affluences. Il était possible de rentrer avec ses bouteilles d’alcool personnelles, et je me souviens avoir vu des groupes de fans qui s’en servaient comme projectiles les uns contre les autres. Les matchs donnaient régulièrement lieu à des bagarres, mais le plus souvent entre gens voulant en découdre. Il était facilement possible de les éviter. » Ce que ne souhaiteront d’ailleurs plus les firms anglaises. Majoritairement celles des petits clubs non habitués aux joutes européennes.

Humiliés à la maison par leurs plus historiques rivaux, les hooligans anglais vivent les incidents sur et hors du terrain comme un affront. Suivre l’équipe d’Angleterre devient une occasion en or de voyager, piller des magasins pour se constituer un style vestimentaire inédit dans un monde encore non totalement globalisé, chose primordiale dans le mouvement casual, et se battre. Quelques centaines d’individus deviennent rapidement des milliers, et la réputation se forge à la force du poing. Une réputation entretenue trois décennies durant, qui jouera un bien mauvais tour à beaucoup de fans anglais pacifiques à Marseille pendant l’Euro, lors des événements que l’on connaît. Car si la plupart des durs anglais voient maintenant leur passeport confisqué à l’approche des grandes compétitions internationales, les hooligans d’autres pays cherchent toujours à se frotter à la légende dans l’espoir de la détrôner. Malheureusement, certains associent Anglais ventripotents et tatoués à hooligans et arrosent n’importe qui. Si tel était le cas, la moitié des hommes entre vingt et cinquante ans en perfide Albion le seraient.

À partir des années 80, le mot d’ordre est de ne pas se battre. Nous voulions montrer que nous étions différents des Anglais.

Comme toujours, les Écossais mettront un point d’honneur à emprunter un chemin différent. Jusqu’à être élus « fans les plus sympas » du Mondial 98 en France. « À partir des années 80, le mot d’ordre est de ne pas se battre. Nous voulions montrer que nous étions différents des Anglais. Il n’y a eu aucun problème avec nous en Espagne en 82 ni au Mexique en 86. En revanche, nous entendions toutes les histoires des problèmes avec les Anglais » , se targue Andy Mitchell. Dans un nouveau stade qui n’a de Wembley que l’appellation, l’animosité sera bien moindre. Si d’aventure, l’Écosse réalisait un miracle, personne ne récupérera cette fois une plaque de gazon pour mieux la replanter une fois rentré à la maison. Sauf peut-être Gordon Strachan.

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Par Grégory Sokol

Tous propos recueillis par GS, sauf ceux de Mick et Harry, tirés de 30 Years of Hurt, Ed. Pennant Books

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