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Ainsi est né Rudi
Alors qu’il s’apprête dimanche soir à ouvrir une nouvelle page de sa carrière d’entraîneur avec le costume de l’OM au Parc, Rudi Garcia retrouvera surtout le PSG. Un club contre lequel il a commencé sa carrière de coach dans le championnat de France. C’était en janvier 2001, avec Saint-Étienne. Entre un côté José Mourinho et une philosophie déjà dessinée.
Il faut remonter le temps et imaginer le tableau. C’était il y a un peu moins de seize ans. Rarement un mois de janvier n’aura été aussi sombre sur Saint-Étienne. Celui qui ouvre l’année 2001 sera même une bascule vers trois ans dans les affres de la deuxième division. Le froid qui traverse l’Étrat le matin du 3 janvier 2001 est plus particulier encore que ceux qui ont précédé et ceux qui suivront. Debout, sonné, poussé dans les cordes de ses fonctions de président qu’il occupe depuis décembre 1997, Alain Bompard tente de désamorcer la bombe qui traverse le Forez depuis plusieurs semaines. Pour évoquer le cas de John Toshack, le boss des Verts est clair : « Il avait les crampons à Geoffroy-Guichard, mais la tête en Espagne. » La légende galloise, champion d’Espagne avec le Real en 1989 et 1990, double vainqueur de la C1 (1977, 1978) en tant que joueur avec Liverpool sous les ordres de Bob Paisley, a en réalité déjà quitté la ville. À l’heure qu’il est, Toshack est même probablement déjà arrivé à Saint-Sébastien où un contrat l’attend pour reprendre une romance stoppée six ans plus tôt avec la Real Sociedad. Son départ n’est qu’une nouvelle ligne ajoutée au long roman de la saison 2000-2001 de l’AS Saint-Étienne, marquée par plusieurs épisodes terribles.
Tout a commencé par un derby contre l’OL le 6 septembre 2000 où l’on parlera d’abord plus d’une banderole – « Les Gones inventaient le cinéma… quand vos pères crevaient dans les mines » – que des fils tirés par le président Aulas en coulisses pour démêler ses suspicions autour du changement de nationalité de deux joueurs stéphanois pendant l’intersaison. De là a explosé l’histoire des faux passeports, succédant au limogeage de Robert Nouzaret le 24 septembre, puis à une ambiance en interne pourrie. Toshack est donc le deuxième coach grillé en l’espace de quelques mois par la paire Bompard-Soler. L’ASSE est onzième de D1, doit se rendre à Ajaccio pour un seizième de finale de Coupe de la Ligue quelques jours plus tard et se trouve dans l’obligation de bricoler rapidement. Alain Bompard a tranché : « Pour l’heure, Rudi Garcia a pris les choses en main. Il peut s’appuyer sur Jean-Guy Wallemme, qui dirige son groupe avec un grand professionnalisme. »
Life in translation
Qui est alors ce Rudi Garcia ? Un type normal, ancien pro à la carrière honnête, qui a rejoint Saint-Étienne quelques années plus tôt sur demande de Nouzaret, son ancien coach à Caen, et alors que le club se tabasse avec la D2. Adepte du cuir et du col roulé, le trentenaire a été recruté en tant que préparateur physique avant d’évoluer analyste tactique, puis progressivement adjoint de Nouzaret en juillet 2000 et de Toshack ensuite. Sa seule expérience de coach date alors de son passage en DH à Corbeil quelques années plus tôt. Latéral gauche des Verts de 1993 à 2001, Lionel Potillon replace la situation : « Rudi Garcia avait l’avantage d’être bilingue espagnol et pouvait parler cette langue avec Toshack qui avait entraîné en Espagne avant. Il aidait aussi les Brésiliens de l’équipe en tant qu’interprète. Rudi a toujours été très proche des joueurs, ce qui ne l’empêchait pas d’être rigoureux, mais il a toujours eu cet aspect relationnel primordial pour être un bon coach. Le fait qu’il ait été préparateur physique l’a aussi aidé. Je crois que ça lui permet d’être un meilleur entraîneur aujourd’hui, car il a une connaissance profonde de l’aspect physiologique des joueurs et c’est essentiel. » Au-delà de cette double casquette, Potillon voit également découler les envies de Garcia qui « aspirait à devenir numéro un le plus rapidement possible et s’entendait bien avec tout le monde » .
De son côté, Fousseni Diawara, débarqué quelques mois plus tôt du Red Star, se souvient d’un numéro 2 qui « prenait beaucoup d’initiatives. Il n’hésitait pas à prendre les devants, à donner de la voix, il jouait parfois avec nous aussi. Rudi a cette faculté d’enlever la pression, notamment avec les jeunes joueurs à qui il pardonnait les premières erreurs. C’était un vrai passionné qui pouvait rester tard à l’entraînement et être l’un des derniers à quitter le stade. » L’histoire de Rudi Garcia est celle d’un amoureux du détail, un pointilleux et dont la principale force se situe dans l’analyse de son adversaire : « Il a toujours eu cette faculté à décrypter les forces et les faiblesses tout en trouvant la façon de s’en servir ensuite. » Voilà comment, au début de l’année 2001, Garcia s’est retrouvé aux commandes de l’équipe première de l’ASSE en tandem avec Jean-Guy Wallemme, alors capitaine des Verts. Tout en n’oubliant pas d’assurer les traductions quand il faut. « Un jour, Toshack est revenu sur Saint-Étienne pour me superviser. Il voulait m’emmener avec lui en Espagne. On était allés manger sur Lyon avec le président de la Real Sociedad et Rudi était venu avec nous pour faire le traducteur. Après le repas, il m’a glissé : « En revanche, s’ils te prennent, tu me prends dans tes valises hein ? » » , se rappelle Diawara. Sauf que Garcia a déjà une première mission à assurer.
La confiance sans l’arrogance
Cinq mois pour prouver qu’il a la gueule de l’emploi. Il y aura d’abord un premier déplacement en Corse, à Ajaccio, en Coupe de la Ligue, plutôt bien négocié avec une victoire après prolongation (2-1). Puis le premier rendez-vous, le premier soir. Samedi 13 janvier 2001, Geoffroy-Guichard. Janot, Potillon, Carteron, Kvarme, Diawara, Wallemme, Guel, Pedron, Huard, Sablé, Sánchez, Boudarène, Olesen, Chavériat. Ce dernier se souvient : « Il fallait rebondir. Jean-Guy et Rudi nous ont livré un gros discours pour nous remettre du baume au cœur. Rudi était confiant sans être arrogant, il voulait déjà nous inculquer sa philosophie tout en sachant qu’il n’aurait pas forcément le temps de l’instaurer. Il voulait gagner, en jouant, sans fermer le jeu, en allant toujours de l’avant. Et finalement, ce jour-là, on gagne. » 1-0, grâce à un penalty de Christophe Sánchez après la pause. Fousseni Diawara se souvient particulièrement de cette rencontre : « C’était ma première chez les pros. J’étais au marquage d’Anelka. Quelques jours avant le match, Rudi m’avait jeté une chasuble à l’entraînement en me disant : « Ne joue pas le match dans ta tête avant. » C’est comme ça que j’ai compris que j’allais être titulaire et j’ai souri. » Rudi Garcia aussi, beaucoup, après le premier succès de son histoire dans l’élite du championnat de France.
Reste que la suite sera plus compliquée avec une seule victoire supplémentaire en championnat – contre Bastia (2-1) en mars – et six revers en douze journées. De plus, les Verts sont sanctionnés de sept points de retrait début mars suite à l’affaire des faux passeports. L’issue sonne comme une immense baffe avec une relégation en D2 après un nul à domicile contre Guingamp (2-2) lors de la dernière journée. Wallemme décide de quitter le club, Garcia sera viré quelques semaines plus tard après la prise de fonctions d’Alain Michel, avant de rebondir au printemps 2002 à Dijon pour la suite que l’on connaît. « Avec le recul, je ne pense pas que ça a été la meilleure des solutions, juge Potillon. La situation a été compliquée. L’un comme l’autre voulaient être numéro un et, finalement, l’un comme l’autre ont été frustrés de ne pas l’être complètement. » Sauf que l’un n’a jamais vraiment réussi à décoller, là où l’autre s’apprête à ouvrir son mandat avec l’OM face au même PSG. Le cuir est tombé, la moustache de Christophe Sánchez aussi. Restent les idées d’un traducteur né pour mettre en place sa philosophie. Loin et avec les choses en main. Seul.
Par Maxime Brigand
Tous propos recueillis par MB et SB.