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Ahmad Ahmad, président déchu de la CAF ou la fausse éthique de la FIFA
Le président de la CAF, le Malgache Ahmad Ahmad, a été suspendu pour cinq ans et condamné à 185 000 euros d’amende. Cette décision semble logique, pour qui connaît le dossier et le personnage. Toutefois, au-delà de l’évidence de la sanction, l'affaire s’avère finalement plus instructive et attristante que ce qu'elle laisse paraître. Aussi bien sur les habitudes du football mondial, que pour la justice très particulière de la FIFA.
La commission d’éthique de la FIFA a donc suspendu pour cinq ans le président de la confédération africaine de football en poste depuis 2017, Ahmad Ahmad. En lui infligeant, de surcroît, une lourde amende. La liste des infractions est plutôt longue, et loin d’être anecdotique : le dirigeant africain aurait notamment enfreint les articles 15 (devoir de loyauté), 20 (acceptation et distribution de cadeaux ou autres avantages) et 25 (abus de pouvoir) de l’édition 2020 du code d’éthique de la FIFA. Ainsi, évidemment, que l’article 28 (détournement de fonds) de son édition 2018. Pour une fois, l’instance est allée jusqu’au bout et cite des entorses précises, du financement d’un pèlerinage à La Mecque à sa proximité avec l’entreprise Tactical Steel.
Le bonhomme savait qu’il était sur la sellette, il n’avait d’ailleurs pas des soucis qu’avec l’instance suprême du ballon rond. Il avait par exemple été placé en garde à vue en 2019 à Paris, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte par la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille. Les accusations étaient déjà gratinées : association de malfaiteurs, corruption, abus de confiance et faux et usage de faux. Une lettre, adressée peu de temps avant à la FIFA par un de ses anciens camarades de la CAF, lui en avait rajouté une belle quantité sur les épaules – paiements de pots-de-vin, usage personnel de fonds de la confédération et même harcèlement sexuel à l’encontre de plusieurs salariées. Ainsi, quelqu’un s’est visiblement souvenu d’ouvrir cette missive au moment opportun.
Opération main propre ?
Attention, personne ne pleurera sur Ahmad Ahmad. Seulement, ce qui s’avère en réalité le plus triste n’est pas ce qu’il a fait. Non, c’est plutôt que cette soudaine sévérité relève sûrement davantage du besoin de dégoter un bouc émissaire (pour le remplacer par quelqu’un de plus docile) que d’une réelle opération mains propres. Laquelle risquerait, par ailleurs, de transformer les bureaux du côté de Zurich en château hanté. Lors de l’ouverture du 70e congrès de la FIFA, le président de l’institution Gianni Infantino avait clairement expliqué le sens de cette nouvelle campagne de communication.
« Plus jamais nous n’aurons de corruption dans le football, nous l’avons exclue et nous ne la laisserons pas revenir », avait indiqué, face aux médias, l’individu au crâne luisant. Et comme les profils types en la matière ne manquent pas au sein de la vénérable institution, le couperet est tombé aussi rapidement que brutalement sur Ahmad Ahmad. Plutôt vers le Sud que vers le Nord, donc. On se presse étrangement moins pour embêter l’UEFA, ou pour rechercher ce qui a pu se passer lors de l’attribution de la Coupe du monde au Qatar. Coupable idéal (nul doute qu’il n’ait rien d’un innocent), exemplaire car président et donc exposé, il permet aussi de cibler l’immixtion de la politique – il fut secrétaire d’État au Sport et ministre de la pêche, à Madagascar – et de l’économie dans le football en Afrique. Bref, le scénario et le coupable parfaits.
Tout va bien…
Tout peut donc rentrer dans l’ordre, la FIFA ayant fait le ménage. Sûrement à raison, au risque de se répéter. Le problème reste de mesurer où commence et où s’arrête l’intransigeance de la commission d’éthique. Car au même moment, son président Gianni Infantino doit par exemple se démener avec la justice suisse dans une sombre affaire avec l’ex-procureur suisse Michael Lauber. Le nouveau procureur extraordinaire de la confédération helvétique Stefan Keller a au passage signifié qu’il excluait, « jusqu’à nouvel avis », la FIFA et ses avocats mandatés de l’enquête pénale en cours. Pourquoi ? Parce qu’elle ne « remplit aucune » des « conditions » juridiques pour se voir reconnaître « le statut de participant dans la procédure susmentionnée ». Une ONG helvète a même écrit au CIO pour qu’elle en soit exclu.
Face à la manière pour le moins discrétionnaire dont s’appliquent les règlements et l’éthique à la FIFA, le champagne attendra pour célébrer l’assainissement du football mondial. Cette commission d’éthique donne surtout l’impression d’être un instrument pour se débarrasser d’un rival, de quelqu’un qui aurait pu priver Infantino des précieuses voix de la CAF pour sa future réélection. Ou un moyen de faire place nette, comme avec Platini et Blatter (pas des perdreaux de l’année eux non plus, certes). Cette décision est probablement juste, mais est-elle équitable ? Tout le monde est-il vraiment logé à la même enseigne, désire-t-on nettoyer certaines pratiques ou fournir un tuto auprès des seniors de la grande multinationale du ballon rond sur la nouvelle manière de procéder ? En tout cas, tout va bien : le favori de Gianni Infantino pour prendre les rênes de la CAF s’appelle Patrice Motsepe, milliardaire sud-africain et anglophone de 58 ans qui a fait fortune dans les mines. Un homme emblématique d’un nouveau capitalisme, qui saura dorénavant y mettre les formes à défaut du fond. L’éthique version FIFA, en soi.
Par Nicolas Kssis-Martov