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Ah, c’était bien, le Brésil…

Pierre Boisson et Thomas Pitrel // Photos : Renaud Bouchez
Ah, c’était bien, le Brésil…

Que reste-t-il quand tout est fini ? Quand les litres de cachaça ont été depuis longtemps éclusés par des reins qui sentent encore le citron vert, quand les stades sont vides, quand les images des femmes d'Ipanema se perdent dans les souvenirs ? Six mois après des nuits d'ivresse et des jours de football ensoleillé, que reste-t-il de cette Coupe du monde qu'on annonçait comme la plus belle et qui s'écrit déjà au passé ?

Le mois de juin avait commencé par un mauvais augure. Le povo brésilien, cette classe moyenne émergente et déjà fatiguée par la corruption politique et les défaillances du système social brésilien, ses favelas pacifiées mais toujours pauvres, ne voulait pas de cette Coupe du monde trop chère et devait profiter des regards braqués sur le Brésil pour se faire entendre et mettre à feu le pays. On prédisait des stades pas prêts, des manifestations monstres, un Brésil en guerre ; il n’y a eu que de la fête, des caipirinhas servis dans des verres d’un litre, des stades remplis de Sud-Américains, des chants, des feux d’artifices dans le ciel, des amours nocturnes dans les ruelles du quartier de Lapa. Alors ? Alors oui, il y avait quelques passerelles en bois autour du Maracanã, des entrées du stade de Salvador qui ressemblaient à une tranchée alsacienne et la pelouse de Manaus a été peinte en vert. Oui, l’organisation a parfois égaré les disques des hymnes nationaux et oublié les navettes pour conduire aux stades. Oui, des Argentins et des Chiliens ont forcé des portes pour se payer des matchs gratos, et aucun des problèmes structuraux du Brésil émergent n’a été réglé par cette Coupe du monde. Mais on ne peut pas accuser sans cesse la FIFA d’imposer ses règles aseptisantes et se comporter comme un groupe de retraités français en vacances. C’est peut-être aussi parce que l’Amérique du Sud se structure dans le bordel que les Coupes du monde y sont plus belles qu’ailleurs. Au fait, où sont les prochaines ?

« Eh Puto » et excitations francophones

Avant d’être écrasée par la machine allemande, réglée comme un moteur d’avion, cette Coupe du monde a longtemps été celle de l’Amérique latine. Rappelez-vous : des scores fleuves, des espaces entre les lignes démesurés, des chevauchées fantastiques, les pauses pour s’enfiler de la flotte, des joueurs avec des crampes en milieu de seconde mi-temps, et puis des maillots jaunes dans les tribunes, des « Eh puto » et des « porra » , des Costaricains intenables, des Chiliens flamboyants. Partout dans Rio et dans le reste du pays, les supporters argentins envahissaient le Brésil, venus là pour chanter plus fort que les autres, plantant leurs camping-cars là où les plages leur semblaient les plus belles, ou dans des parkings sans douche, ordonnant dans chaque bar, à chaque seconde au Brésil de dire « que se siente » , ce que ça leur faisait. Ça faisait mal. Comme si les joueurs obéissaient aux chants des supporters, la Coupe du monde brésilienne a aussi été celle des artistes et des gestes fous. Loco, loco : Robin van Persie qui plonge dans un silence estomaqué tout le stade de Salvador d’une tête plongeante comme on n’en avait jamais vu, instiguant du même coup la chute de l’empire espagnol. Luis Suárez qui mord, encore. Leo Messi qui slalome et marque dans le petit filet, encore. Mascherano qui se déchire l’orifice en taclant, et Van Gaal qui change son gardien avant la séance de penalty. Et puis James, ses dribbles, ses frappes, James qui fait du Mondial une salsa.

Et puis il y eut cet autre Mondial, celui des excitations francophones. Algérie, Belgique, France, autant de revanches prises par des équipes autrefois considérées, à raison, comme les plus chiantes du circuit. Purge de 2010 et des dernières CAN, les Fennecs ont desserré le frein à main, marché sur la Corée du Sud, puis bien failli faire tomber l’Allemagne, avec dans les buts un mur au nom de chef mythologique : Raïs M’Bolhi. Une aventure de quatre petits matchs qui suffit à faire de l’Algérie, passée des mains de Vahid à celles de Christian Gourcuff, le grand favori de la Coupe d’Afrique qui approche. Un petit tour en plus et puis s’en vont, les Belges ont fait le job, ni plus ni moins. On les attendait punks, ils ont en fait joué sagement leur partition, Marc Wilmots en chef d’orchestre, Eden Hazard en premier violon qui ne score pas. En dehors des supporters belges, qui attendaient ça depuis les années 80, personne ne gardera un souvenir ému de l’éclosion de cette usine à virtuoses, faite de victoires maigrichonnes. Mais une chose est sûre : en 2016, ils feront partie des favoris, au même titre que le pays organisateur. La France de Deschamps, de Valbuena, de Pogba, de Benzema, du style de nipster avant l’heure, de Griezmann, de la montée en température des Brésiliennes à l’évocation de Giroud, des supporters qui font enfin du bruit, des huit buts marqués lors des deux premiers matchs, puis de l’ennui équatorien, et du coup de flip nigérian. En moins de temps qu’il ne faut pour mettre un but à la Suisse, avec une origine de la transformation que l’on situera un certain soir de novembre 2013 au Stade de France, les racailles irrespectueuses sont devenues des mecs sympas et humbles, qu’on voyait presque aller au bout. Mais Varane était encore un peu jeune, et Hummels a mis sa tête, et Neuer a mis son poing. Encore un rêve brisé par les Allemands. Pas le dernier.

Montagnes russes brésiliennes

Il pleuvait sans cesse sur Rio ce jour-là. Personne ne souriait, personne n’était épanoui. Le sentiment général était un mélange de gêne, de honte, d’incompréhension et, finalement, d’un soupçon d’indifférence. À quelques kilomètres de là, ce 8 juillet, c’était le Mineiraço, la nouvelle grande tragédie du football brésilien. Les larmes de David Luiz, plié comme ses coéquipiers, privés de Neymar, sous le poids des attentes d’un peuple qui n’imaginait rien d’autre que la victoire à domicile. Un peuple qui n’a pas vu ces larmes. Il était parti à la mi-temps, sans espoir. Au fond, il s’y attendait. Après une phase de poules en trompe-l’œil, l’immense frayeur chilienne, cette frappe sur la barre que Mauricio Pinilla se fera graver sur la peau, offraient mille raisons de ne plus y croire. Les chauffeurs de taxi ou de bus, les serveurs de bières fraîches sur table en plastique, les joueurs de beachvolley et tous les autres personnages croisés faisaient tous entendre leurs doutes : on ne gagne pas une Copa avec Fred en seul avant-centre. « Malheureusement » pour eux, le Brésil a maîtrisé son quart de finale. Dans un Castelao de Fortaleza littéralement brûlant, la Seleção a étouffé la Colombie et a fait croire à un public en transe que la ferveur populaire pouvait l’emmener au bout malgré la faiblesse du jeu. Double ironie du sort : non seulement cette ferveur va finir par la faire exploser contre l’Allemagne, mais ce match qui lui a redonné espoir est aussi celui qui va la conduire à la plus grande humiliation de son histoire en lui faisant perdre Neymar et Thiago Silva.

Éliminé sur le terrain, le Brésil a pourtant disputé la finale dans les tribunes. Comme elles ont déjà tué l’ambiance du championnat national, les places trop chères et la télé avaient rendu bien timides les encouragements brésiliens dans les stades au début de la compétition. Comme s’ils avaient eu besoin d’un électrochoc, les Cariocas se sont réveillés le 13 juillet, prenant le relais de la petite poignée de fans allemands présente et offrant au Maracanã la finale Brésil-Argentine dont il avait rêvé. Dans les travées du plus beau stade du monde, les « Mil gols só Pelé, Maradona Cheirador » ( « mille buts, il n’y a que Pelé, Maradona n’est qu’un coké » ) répondaient enfin aux provocations argentines, et quelques poings finissaient dans quelques mâchoires suite à la défaite de l’Albiceleste. Comme si le pays de l’ordre et du progrès, après avoir voulu montrer qu’il refusait d’être résumé au football, à la samba et aux étrangetés politiques, était redevenu sud-américain. À moins que ce ne soit que le chant du cygne d’une société en train de se diviser entre les pauvres et la classe moyenne, entre le Sud et le Nord. Trois mois plus tard, malgré les menaces de manifestations, les sifflets et les « Vai tomar no cu » (va te faire enculer) à chaque apparition en tribune, Dilma Roussef a été réélue à la présidence de la République. Et le Brésil, qui a gagné ses six matchs joués depuis la fin de la Coupe du monde, n’a toujours pas d’avant-centre.

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