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Aguilar de la montagne
Devenu un élément incontournable de l’effectif monégasque, Ruben Aguilar a passé son enfance dans la région grenobloise avant d’intégrer les catégories de jeunes du GF38. Un parcours fait de beaucoup de hauts et quelques bas, à l’image des Alpes que l’international français (1 sélection) connaît bien. À l'heure de retrouver son club formateur en Coupe de France, un portrait s'impose.
« Si je peux remonter le temps, je reviens au début du collège parce que j’ai l’impression d’avoir complètement délaissé ce côté-là. Si j’avais pu percer dans un autre métier, j’aurais aimé faire kiné. Ou pompier, un métier où il faut avoir des couilles. » Dans un entretien accordé à SO FOOT en novembre 2018, Ruben Aguilar, à l’époque à Montpellier, s’imaginait en soldat du feu. Un peu plus de deux années plus tard, le voilà sous la tunique de l’AS Monaco avec, cerise sur le gâteau, une cape internationale récoltée contre la Finlande en novembre dernier. Non, le gaillard de 27 ans ne sauve pas de vies au péril de la sienne. Cela dit, l’arrière droit démontre que ses bijoux de famille sont assez solides pour supporter la pression du haut niveau et s’imposer comme une alternative de choix chez les Bleus en vue du prochain Euro. Ce mercredi soir, Aguilar revient à Grenoble, son lieu de naissance, pour affronter le GF38 en 32es de finale de Coupe de France. Un club isérois qu’Aguilar n’avait plus affronté depuis la catégorie des benjamins.
La légende des U11 du Football Côte Saint-André
En 2003, Ruben Aguilar a 10 ans. Cela fait déjà cinq ans que la famille Aguilar a quitté le centre-ville de Grenoble pour Saint-Siméon-de-Bressieux, village situé à une cinquantaine de kilomètres de la préfecture iséroise. Le garçon, dont le père a transmis sa passion pour le foot, s’est déjà construit une réputation dans le coin. À tel point que l’équipe des U11 du Football Côte Saint-André (FCSA) fait tomber chacun de ses adversaires comme des mouches. « Une équipe comme celle-ci, on s’en souviendra sans doute encore dans cent ans, rembobine Sébastien Argoud, entraîneur d’Aguilar à l’époque. Je continue d’exercer aujourd’hui et je n’ai jamais revu une équipe de jeunes avec autant de qualité, c’était exceptionnel. Pour tout avouer, je n’ai pas le souvenir d’avoir perdu un match de championnat en deux ans. » Et pour cause : Aguilar possède de talentueux coéquipiers comme David Douline (aujourd’hui à Rodez en Ligue 2), Florian Michel (GF38), Vincent Di Stefano (GFA Rumilly-Vallières, en CFA) ou encore Léonard Letare et Clément Durieu, passés respectivement par les centres de formation de Grenoble et Saint-Étienne. « Ruben était le milieu central, affirme Di Stefano. Il avait le brassard de capitaine, les Puma King et toujours la tête haute. C’était notre leader naturel, un peu à la Didier Deschamps, une teigne, mais avec une facilité impressionnante balle au pied, il se faisait déjà remarquer. » Le Football Côte Saint-André détruit tout sur son passage et devient même championne d’Isère devant le GF38.
L’équipe du FCSA, avec Argoud, Douline, Di Stéfano, Michel et Aguilar, capitaine.
Dans un club trop peu connu pour la qualité de sa préformation, Aguilar et sa bande détonnent. « La Côte Saint-André, c’est la campagne à la fois tranquille et travailleuse, résume Vincent Di Stefano. Beaucoup d’habitants font de la route tôt le matin pour aller bosser sur Grenoble ou Lyon. Le père de Ruben travaillait sur Beaurepaire, mais l’accompagnait aux entraînements et aux matchs pour lui permettre de profiter au maximum de sa passion. » Un amour pour le football que Florian Michel, son ami depuis l’école primaire à Sillans, partage avec Aguilar. « Avec nos grands frères respectifs, on se retrouvait au city stade pendant le week-end ou les vacances pour jouer au foot avec des plus âgés que nous, se souvient l’actuel milieu offensif du GF38. Ensuite, on est passé au collège Rose Valland à Saint-Étienne de Saint-Geoirs. Même si on aimait bien rigoler derrière le dos des professeurs, Ruben était un élève sans histoire. Nous avions une bande de copains bien soudée, mais on savait aussi faire la part des choses au moment de travailler. Il n’y avait pas que le foot dans nos têtes, il fallait tenir la route en cours. » Cependant, cette vague de succès titille les recruteurs du GF38 qui recrutent Michel d’abord, puis Aguilar un an plus tard.
Gel dans les cheveux, bêtises d’ado et dépôt de bilan
À Grenoble, Aguilar connaît un temps d’adaptation, mais retrouve progressivement ses racines avec les arrivées de Di Stefano et Letare les années suivantes. En U14, il participe à la coupe nationale organisée à Clairefontaine avec la sélection Rhône-Alpes. Plus les années passent et plus ses éducateurs se disent que l’utiliser sur un côté peut s’avérer intéressant. « À ses 16 ou 17 ans, nous avions décidé collégialement de le faire reculer en tant que latéral droit, détaille Patrick Córdoba, ancien formateur au GF38 entre 2004 et 2011. Son travail, sa générosité dans l’effort et sa très bonne faculté de centre étaient des facteurs qui nous séduisaient beaucoup. » Di Stéfano abonde dans ce sens : « À Grenoble, il était le joueur de l’équipe avec la meilleure VMA, mais il n’était pas là pour se la raconter, il aimait juste performer. Il arrivait avec sa coupe de cheveux fixée au gel dans un style sobre et efficace. C’était le petit blondinet mignon, la belle frimousse ! Après, ça ne l’empêchait pas d’avoir du caractère et d’être râleur quand les choses n’allaient pas. » Passé la colère, le beau gosse sait aussi rire. « Tu vas toujours le voir avec la banane, confirme Di Stefano. Il est assez chambreur et jamais à court d’idée pour une petite connerie de temps en temps. Par exemple, je me souviens qu’à l’époque où on passait le code de la route, il s’installait dans le fond de la salle pour faire des bruitages dans l’obscurité. Bref, il faisait le con ! »
Avec Léonard Letare et Vincent Di Stéfano.
Au sein du club grenoblois, l’affaire roule parfaitement pour Aguilar. Finaliste du championnat de France face au Paris Saint-Germain avec les U19 nationaux en 2011, le défenseur est même appelé à disputer quelques rencontres avec l’équipe réserve du pensionnaire de Ligue 2. Cependant, la chute d’Index Corporation oblige le GF38, en situation de faillite financière, à déposer le bilan. Résultat : tous les joueurs issus du centre de formation doivent trouver un point de chute pour la saison suivante. « Je m’étais mis en relation avec Abdel Bouhazama (aujourd’hui à Angers, NDLR) afin de le placer à Saint-Étienne, explique Patrick Córdoba, actuellement en recherche d’un nouveau projet. C’était une équipe que nous avions battue, au même titre que Lyon ou Monaco cette année-là. Abdel avait été séduit, Saint-Étienne l’avait pris, mais après deux ans de formation, le club a décidé de ne pas le conserver. » Une étape forcément dure à vivre car à 20 ans, Aguilar se retrouve sans le moindre contrat professionnel et cherche à s’engager dans un club professionnel, sans succès. « Je ne sais pas si Ruben a gambergé parce que ça ne correspond pas à son état d’esprit naturel, confie Di Stefano. M’envoyer un message pour me dire qu’il est au bord du gouffre, ce n’est pas lui. C’est quelqu’un de pudique à ce niveau-là, même si dans le fond, il est émotif et sentimental. Il fallait le voir à son mariage entouré de sa famille très solidaire et aimante, c’était très beau à voir. »
Saint-Étienne, chômage et contrat amateur
Reste qu’à cette époque, Aguilar vit de son droit à toucher le chômage après deux années de formation à l’ASSE. Le joueur pousse la porte du bureau d’Olivier Saragaglia, l’entraîneur du GF38 en CFA. Le but ? S’entraîner avec l’équipe première afin de renouer avec son club formateur. « J’étais évidemment d’accord sur le principe, mais je lui ai expliqué qu’on ne pouvait pas lui proposer de contrat étant donné la situation du club, rembobine Saragaglia. Quand vous dites à un joueur qu’il ne peut signer qu’une licence amateur, car il n’y a pas de moyens financiers pour faire mieux, qu’il décide quand même de s’engager et qu’il s’arrache à l’entraînement pour gagner sa place, vous prenez conscience de l’état d’esprit de l’individu. Ce n’était pas un désir de revanche, mais il avait encore les crocs. Ruben a toujours eu ce côté chien de la casse. » De son côté, Florian Michel retrouve un Aguilar différent sur le terrain. « Il est revenu avec de grosses intentions à Grenoble, confie le numéro 10 du GF38. Il avait encore progressé dans sa vision de jeu et il s’était bien étoffé physiquement. Quand il prenait son couloir, tu sentais qu’il était très complet. Le fait de passer par Saint-Étienne lui a donné de la confiance dans ses qualités, et au moment de revenir à Grenoble, il avait déjà un bagage solide pour s’imposer dans le groupe et dans un club où il connaissait déjà tout le monde. »
Résultat : Aguilar termine la saison 2013-2014 en tant que titulaire indéboulonnable sur le flanc droit et son avenir s’écrit déjà en dehors de l’Isère. « Le déclic est venu après un Grenoble-Martigues en CFA, où l’entraîneur Jean-Luc Vannuchi était en face, raconte Saragaglia. Pendant la saison, Vannuchi a quitté Martigues pour signer à l’AJ Auxerre. Là, il m’appelle et me dit qu’il suit Ruben et se demande s’il serait capable d’évoluer en Ligue 2. Je lui ai répondu : « Mais tous les jours ! N’hésite pas une seconde de plus. Tu vas le prendre comme joueur de complément au départ et tu vas tellement l’apprécier qu’il va devenir une évidence pour toi. » C’est exactement ce qu’il s’est passé. » Depuis ce temps-là, Aguilar a connu la Ligue 2 avec Auxerre, la Ligue 1 avec Montpellier et Monaco et même l’équipe de France. S’il procure une « immense fierté » pour chacun de ses anciens partenaires rencontrés au fur et à mesure de son parcours, le porte-étendard du FCSA s’apprête à affronter Florian Michel au Stade des Alpes ce mercredi, tout en sachant que son ami d’enfance voudra lui barrer la route. « J’imagine qu’on va se voir un peu avant le match et surtout après pour prendre le temps de bien discuter, conclut Michel. Il y aura quelques sourires au moment de se croiser sur la pelouse, car ce sera la première fois de notre vie qu’on sera adversaires. Après s’être souhaité bonne chance, on va aller au combat chacun de notre côté. » Et l’heure sera venue de sortir ses couilles. Ou son costume de pompier.
Par Antoine Donnarieix
Tous propos recueillis par AD