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Agents de joueurs : la fin de la foire ?

Par Adrien Candau
6 minutes
Agents de joueurs : la fin de la foire ?

La FIFA a confirmé fin janvier qu'elle planchait sur une série de mesures visant à réguler l'activité des agents, notamment en plafonnant les commissions et en réintroduisant l'obligation d'obtenir une licence pour exercer. Un tournant que certains estiment nécessaire, au regard de la dérégulation croissante du marché des joueurs observée ces dernières années, quand d'autres, et notamment les « super agents » comme Mino Raiola et Jonathan Barnett, dénoncent un interventionnisme abusif.

« Au cours de la dernière année seulement, les agents de football ont gagné 653,9 millions de dollars en honoraires, soit quatre fois plus qu’en 2015. » Le mercredi 22 janvier, la FIFA, par le biais d’un communiqué, constate et propose. À l’en croire, les agents se seraient un tantinet trop gavés sur le dos de l’animal football. De quoi inciter la Fédération internationale à présenter une série de propositions, qui viseraient à réguler l’activité des agents de joueurs.

Mesures de rattrapage

Évidemment, l’ambition est louable, au regard du Far West réglementaire qu’est devenu le marché des transferts ces dernières saisons. Un problème ironiquement exacerbé par la FIFA elle-même, qui décidait en avril 2015 de ne plus imposer de cadre réglementaire aux intermédiaires : incapable d’appliquer ses propres régulations, la Fédération internationale jetait l’éponge, en n’exigeant plus de licence internationale pour exercer le métier d’agent. Elle demandait alors simplement aux intermédiaires de se déclarer auprès des fédérations nationales et laissait ces dernières appliquer un cadre réglementaire minimal. « Retenez bien qu’à ce moment-là, la FIFA constatait l’inefficacité du système de licence, qu’elle n’arrivait plus à contrôler, car certaines fédérations n’ont pas les moyens ou la volonté de le faire, décrypte l’économiste du sport Jean-François Brocard, notamment auteur de Agents sportifs et marchés du travail. Analyses issues du football mondial. Le problème, c’est que tout ça a coïncidé avec une accélération de l’assiette de paiement des agents, due à la financiarisation galopante du foot. On a observé un phénomène très important dans le cadre du marché de la représentation, qui est un phénomène de concentration. C’est-à-dire qu’on peut discuter du nombre d’agents, mais on sait très bien qu’il y a surtout de gros agents hyper influents, qui ont énormément de pouvoir sur le marché. »

De fait, c’est peut-être l’influence et la dimension acquise par ces « super-agents » qui incitent la FIFA à enfin vouloir rebattre les cartes : les 49 millions d’euros de commission que Mino Raiola aurait touché sur le transfert de Paul Pogba à Manchester United ou encore la dimension trouble prise par certains intermédiaires, comme Jorge Mendes à l’AS Monaco ou Mogi Bayat sur le marché belge, sonnaient en effet comme autant de revers pour la Fédération internationale, placardée pour sa passivité.

Agents provocateurs

La suite du schmilblick donc, c’est une série de mesures qui viseraient à discipliner réglementairement les agents, notamment en plafonnant le pourcentage de leurs commissions. Mais aussi en réintroduisant l’obligation d’obtenir une licence pour pratiquer le métier, via un examen et une formation communs à tous. De quoi faire péter une durite aux mastodontes du métier comme Mino Raiola ou Jonathan Barnett, entre autres agents de Gareth Bale. Le premier peste que la FIFA ne peut se substituer au cadre juridique classique ( « Nous vivons dans des pays qui sont très bien réglementés par les lois… Il y a même une loi qui interdit le monopole ou les cartels, que la FIFA ne respecte pas tous les jours. » ) quand le second avance que l’intégralité des agents sont vent debout contre les nouvelles régulations proposées par la Fédération internationale : « Ce que fait la FIFA est néfaste à tous les points de vue. Pour les agents et, plus important encore, pour les joueurs. Il ne s’agit pas seulement des gros agents. Du plus puissant au plus petit, nous sommes tous unis sur ce sujet. »

L’unité glorifiée par Barnett semble pourtant illusoire : « Barnett ? Les agents français ne sont pas solidaires de ses déclarations, même si je comprends son discours, explique Christophe Hutteau, entre autres agent de Gaëtan Laborde. Il défend sa boutique, mais, en France, depuis 2004, on doit obligatoirement travailler avec une licence et on est devenu l’une des professions les plus surveillées dans l’Hexagone. On n’est pas contre les contraintes, mais il faut qu’elles soient les mêmes pour tout le monde et c’est vers quoi tendent les nouvelles règles présentées par la FIFA » « L’agent français type peut se satisfaire de cette réforme de la FIFA, acquiesce Jean-Francois Brocard. Ils en ont marre parce que, face à eux, il y a des gens qui ne sont pas du tout soumis aux même contraintes, et ce, même parmi les agents licenciés : dans certains pays, pour avoir sa licence, il suffit de payer, dans d’autres, on vous la donne si vous la demandez… Là, avec les nouvelles réformes, ça va réduire la concurrence, la rendre plus égalitaire. Ça va aussi jeter moins de discrédit sur leur profession, parce que tous les agents ne sont pas des voyous. »

La grosse commission

Contrairement à nombre de leurs homologues européens, les agents français sont également soumis à un taux de commissionnement plafonné à 10% par la FFF, un pourcentage limite sur les indemnités de transfert que la FIFA souhaiterait globaliser à tous les agents. « Mais beaucoup d’agents sont énervés en ce moment, parce qu’ils n’ont pas été sollicités par la FIFA pour travailler conjointement sur ces nouvelles régulations, nuance Jean-Francois Brocard.

Brocard, toujours : « Par exemple, sur le plafonnement, on a l’impression que la FIFA a fait le truc à moitié. J’ai démontré dans ma thèse que la rémunération des agents sportifs n’a pas de lien entre la commission et le travail fourni, ou du moins pas assez : là où les agents de sportifs ont le plus besoin de fournir de travail, c’est sur les indemnités de transfert les plus faibles. Sur les gros transferts, l’agent n’a pas besoin de faire beaucoup de boulot : si vous voulez refourguer Mbappé, vous appelez 4,5 gros clubs qui peuvent l’acheter, vous regardez les salaires et vous pouvez négocier. Mais si l’agent doit vendre un obscur milieu défensif de Sochaux en manque de temps de jeu, il va devoir cravacher pour lui trouver un club. Voilà pourquoi on aurait pu proposer une notion de dégressivité sur les commissions des agents. Par exemple, sur un transfert à 150 millions, ça semblerait plus juste qu’un agent ne touche que 2%, sur les 50 derniers millions négociés. En gros, plus le transfert est important, moins la commission de l’agent serait proportionnellement élevée. »

Autre mesure majeure proposée par la FIFA, la création d’une chambre de compensation, gérée par une banque, qui serait chargée de collecter puis de reverser les commissions aux agents. « C’est pour moi le projet le plus intéressant qui a été esquissé par la FIFA, estime Christophe Hutteau. Ça obligerait l’ensemble des commissions payées à transiter par cette chambre et donc par l’organisme FIFA, qui reverserait ensuite aux agents le montant négocié avec les clubs. Ça va éviter que beaucoup d’argent puisse disparaître dans la nature et permettrait plus de transparence financière. » « En gros, l’argent ne transiterait pas d’un club A à un club B, mais passerait d’abord par un intermédiaire qui rassemble les informations, les vérifie, poursuit Jean-Francois Brocard. C’est très bien, mais, pour que ça marche, il faut travailler main dans la main avec des banquiers, ça va coûter énormément d’argent et demander des infrastructures puissantes. » De fait, si les nouvelles régulations présentées par la FIFA ressemblent à un garde-fou prometteur, c’est avant tout la capacité de la Fédération internationale à les mettre efficacement en place qui pose question et sera minutieusement scrutée dans les années à venir.

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Par Adrien Candau

Propos de Jean-Francois Brocard et Christophe Hutteau recueillis par AC.

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