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Agents de joueurs et avocats mandataires sportifs, la guerre est déclarée
Le 14 octobre prochain, un jugement sera rendu par la cour d’appel de Paris pour statuer sur les prérogatives des avocats mandataires sportifs, concurrents des agents. Une décision attendue avec impatience par les deux parties, qui se côtoient dans la représentation des joueurs depuis maintenant dix ans, sans pour autant parvenir à s’entendre.
Cela fait plus de dix ans que les poules aux œufs d’or ont commencé à leur glisser des mains. Dix ans que les avocats mandataires sportifs, en vertu de la loi du 28 mars 2011, viennent marcher sur leurs plates-bandes. Eux, ce sont les agents sportifs qui, jusque-là, s’en donnaient à cœur joie pour valoriser des joueurs sur le marché des transferts et toucher de sympathiques commissions. En 2021, la situation n’a pas totalement changé – certains agents continuent de s’en mettre plein les poches -, mais le milieu évolue. Face aux 500 agents sportifs licenciés auprès de la Fédération française de football, se dressent dorénavant plus de 300 avocats mandataires sportifs (AMS, pour simplifier) au niveau national.
Et c’est peu dire que depuis leur reconnaissance, ces professionnels du droit – dont l’activité de mandataire sportif se veut « accessoire » – bousculent les codes. De nombreux joueurs ont d’ailleurs décidé de sauter le pas : Kylian Mbappé, Antoine Griezmann, Adrien Rabiot ou encore Alban Lafont ont recours à des AMS, tout en confiant la gestion de leur carrière à des membres de leur famille. Mais une différence entre AMS et agents sportifs demeure : par définition, les avocats ne s’adressent qu’à leurs clients et ne peuvent être rémunérés que par eux, et non par les clubs. C’est là que le bât blesse. Une nouvelle disposition du règlement intérieur du barreau de Paris a élargi il y a un an les prérogatives de l’avocat mandataire sportif, qui peut désormais « exercer l’activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d’un contrat. » Autrement dit, démarcher un club et jouer le rôle d’agent sportif avec la signature d’un contrat tripartite.
La menace de la famille Adams
La levée de boucliers ne s’est pas fait attendre : la cour d’appel de Paris s’est penchée sur l’affaire et doit rendre sa décision le 14 octobre prochain. C’est autour de ce jugement que se cristallisent désormais les tensions entre mandataires sportifs et agents, qui accumulent depuis dix ans rancœur et rivalité. « La décision ne changera rien, ils démarchent déjà les clubs. Ils travaillent déjà comme nous », soupire un agent dont un des plus gros clients l’a quitté pour se faire représenter par un avocat. Il faut dire que les AMS ont tout pour plaire, avec la capacité de faire le métier des agents en plus d’apporter une expertise juridique. Une sorte d’agent double. « Pour moi, les agents gagnent beaucoup d’argent pour rien », expliquait d’ailleurs Jean-Philippe Mateta en mars 2020 à France Football. Le joueur de Crystal Palace a finalement choisi de se faire représenter par un avocat.
Chez les mandataires sportifs, le nom qui revient le plus est celui de Me Jim Michel-Gabriel. Président et fondateur de l’association des avocats mandataires sportifs (Adams), l’avocat est dans le gamedepuis dix ans. « Il y a un vrai besoin des familles, et on y répond. Un besoin de confidentialité, mais aussi et surtout de déontologie et d’éthique. On n’a pas la même déontologie que les agents, assène Me Michel-Gabriel. Eux se rapprochent plus du courtier qu’autre chose, parce qu’ils essaient de satisfaire l’offre et la demande. Alors que moi, j’aurai toujours le réflexe de privilégier l’intérêt du sportif au détriment de ma commission. »
Risque de radiation contre petits biftons
Des arguments qui sont loin de convaincre Stéphane Canard, président de l’Union des agents sportifs du football (UASF) : « Moi, je connais très bien le football, mais en quoi les avocats connaissent bien ce milieu ? » Lui y baigne depuis trente ans, et aimerait s’en tenir au duo agent-avocat, où le premier s’occupe de la carrière sportive du joueur, tandis que le second gère les questions de contrats. Mais au-delà des rôles attribués à chacun, le président de l’UASF déplore surtout « la différence de traitement entre les agents sportifs et les avocats mandataires sportifs ». « Nous, on est contrôlés tous les ans par une DNCG des agents. Alors que les mandataires sportifs ne subissent aucun contrôle de la FFF, ce qui provoque des dérives. »
S’ils risquent la radiation pour mauvaise conduite de leurs affaires, certains avocats n’hésitent pas à dépasser le cadre légal par appât du gain. Mi-août, la FFF a ainsi déposé une plainte à l’encontre de Me Frédéric Baby, avocat mandataire sportif soupçonné de collaborer avec un intermédiaire non licencié auprès de la fédération. Une pratique bien trop répandue selon les agents sportifs. « Les avocats mandataires sportifs n’existent que pour une seule raison selon moi, c’est quand la famille d’un joueur veut s’en occuper, parce que ça permet de capter des commissions », explique un agent sous couvert d’anonymat. Généralement non licencié auprès de la FFF, les membres de la famille et autres intermédiaires percevraient ainsi des rétro-commissions de la part des avocats, une pratique illégale.
« J’ai même vu un contrat entre un mandataire sportif et un joueur où il est stipulé dans un article qu’ayant conscience de sa méconnaissance du football, il obtient l’autorisation du joueur de sous-mandater un intervenant pour les problématiques liées au sport. Et cet intervenant n’est évidemment pas licencié auprès de la FFF », déplore Stéphane Canard. Président de l’Adams, Me Michel-Gabriel se défend de toutes pratiques illégales chez les mandataires sportifs – « on ne va quand même pas prendre le risque de la radiation pour un petit billet… » – et regrette que l’arrivée de ses pairs dans le milieu n’ait pas été mieux accueillie par les agents sportifs, la FFF et la LFP.
L’écœurement des agents sportifs
Forcément, face à la perte progressive de leur monopole, les agents ressentent une forme de « mal-être, d’écœurement », assure Stéphane Canard, qui reçoit des plaintes de ses confrères. Au milieu de tout ça, la décision du 14 octobre pourrait s’avérer déterminante pour le futur du métier. « Si demain, la licence d’agent est plus un inconvénient qu’un avantage, je me poserai vraiment la question de la garder », indique le président de l’UASF. Un autre agent, pessimiste sur la décision du mois prochain, est persuadé que « certains avocats sont en faveur d’un numerus clausus pour fermer la profession ».
Il ne croit pas si bien dire. Me Michel-Gabriel : « Ils auraient dû faire un numerus clausus pour ne sortir que deux agents au lieu de 200. » Si la cour d’appel de Paris valide en octobre le nouveau règlement et élargit les prérogatives des avocats mandataires sportifs, les agents perdraient encore un peu plus le contrôle d’un milieu qu’ils phagocytaient jusqu’en 2011. Au point de se questionner sur le futur du métier. Alors, pourquoi devenir agent sportif aujourd’hui ? Jusque-là si prompt à répondre aux questions, Me Michel-Gabriel marque une longue pause, avant de conclure : « Je ne saurais pas vous répondre. »
Denis Ménétrier
Tous propos recueillis par DM, sauf mention.