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Agent de footballeur, un métier d’hommes ?
Sur les 338 agents de footballeur reconnus par la FFF en 2014, on recense moins de 5% de femmes. Bien loin des idéaux de parité malgré l'essor du football féminin. Dans la caste des agents, les femmes sont les bienvenues, mais qu'elles n'attendent pas de gestes galants : il faut se battre pour gagner sa place.
Début 2014, la proportion de femmes parmi les agents de footballeur reconnus par la FFF est famélique. Oui madame, et c’est normal. « Cela répond à une certaine logique, cela correspond à la société française dans son ensemble, mais c’est plus marqué dans le foot. On parle surtout du football masculin dans les médias, et ce sport reste un milieu masculin à tous les niveaux, y compris en coulisses. » Bertrand Cauly est agent de footballeur et surtout, président du SNAS (Syndicat des agents sportifs), il en connaît donc un rayon. La preuve ? Tout le monde abonde dans son sens, notamment Franck Belhassen, l’un des agents les plus actifs en Ligue 1, qui trouve lui aussi la faible proportion « logique » . Sidney Broutinovski, fondateur de l’EAJF (École des agents de joueurs de football), estime de son côté que « le milieu reste très macho, comme beaucoup d’autres en France où il est compliqué de faire du business quand on est une femme. »
« C’est aux garçons que l’on apprend à se battre et pas aux filles »
Qu’en pensent mesdames ? Globalement la même chose, et sans s’indigner. « Je ne suis ni surprise ni choquée. Ce n’est pas surprenant, car le football est majoritairement un univers masculin, pas seulement au niveau des agents. Les femmes sont peu présentes dans les clubs, sauf pour des postes de communication ou marketing. » Sonia Souid a la licence depuis 2010, et déjà quelques négociations en Ligue 1 à son actif, elle fait donc partie des rares élues. C’est le cas également de Jennifer Mendelewitsch, pour qui la faible proportion de femmes n’est pas surprenante « si l’on se fie au public et aux organigrammes de clubs. » Elle trouve d’ailleurs les chiffres bien optimistes car « sur les 5% de femmes qui ont la licence, combien travaillent vraiment ? » Pas beaucoup…
« Je ne me suis jamais posé la question, donc je ne saurais comment l’expliquer. Les femmes sont peut-être moins intéressées que les hommes par ce monde qui reste très fermé. » Quand on lui demande pourquoi si peu de femmes entrent dans le monde des agents, Eric Castagnino en serait presque à croire que les femmes sont indifférentes aux vertus du football. Mais en prenant le temps de réfléchir, celui qui gère plusieurs jeunes pousses de l’OL trouve quand même une théorie : « L’avantage de certains agents hommes, c’est d’être d’anciens footballeurs, on a donc un vécu commun avec les joueurs, on comprend facilement ce qu’ils ressentent et on sait mieux l’exprimer pour eux. C’est important de pouvoir parler football avec les joueurs, donc si une femme veut réussir dans ce métier, il faut vraiment qu’elle aime le football et le connaisse. » Pour Bertrand Cauly, le métier exige aussi de savoir mettre des coups : « Le football, c’est un perpétuel rapport de force, ni bon ni mauvais, mais la compétition est féroce. Dans un match, le premier quart d’heure est fait d’intimidation, hors du terrain on a la même logique. Une femme peut survivre dans ce type d’atmosphère, mais elle doit avoir appris petite, avoir reçu l’éducation, mais bien souvent, c’est aux garçons que l’on apprend à se battre et pas aux filles. »
Sonia Souid et les OVNI
Le foot est un univers d’hommes, et agent un métier de bonhomme. Pourtant, la plupart des agents hommes se disent favorables à la présence de femmes, comme Franck Belhassen : « Il y a des médecins hommes, des médecins femmes. Pour les agents, cela devrait être pareil. Après, ce sont peut-être les joueurs qui ont des a priori, qui préfèrent parler de leur carrière avec d’autres hommes. » Les joueurs réticents ? Pour Sonia Souid, c’est l’ensemble du milieu : « Il y a quatre ans j’étais vue comme un OVNI. Quand on est une femme, il faut vite marquer des points pour être tolérées. » Jennifer Mendelewitsch, de son côté, refuse de voir un quelconque traitement de défaveur : « Ce n’est pas forcément plus dur pour une femme. Personnellement, je n’ai pas été confrontée à des soucis d’intégration : mon père était agent, je baigne dans le football depuis toute petite… Pour le métier d’agent, c’est comme pour le reste, il faut connaître le milieu, savoir de quoi on parle, être convaincante. » Mais peut-on l’être quand on est une femme ? Pour Eric Castagnino, si « peu de femmes peuvent avoir ce vécu d’anciens joueurs, cela ne veut pas dire qu’elles sont mauvaises négociatrices. Si elles savent négocier, le joueur sera satisfait. » Femme agent, avant de donner votre opinion sur le 4-3-3 ou la défense en zone, faites tomber une grosse prime à la signature, ça passera mieux…
Est-on traitée différemment pendant la négociation si l’on est une femme ? « Il peut y avoir un effet de surprise dans les premières minutes, mais une fois la négociation lancée, si on maîtrise le sujet, tout se passe normalement. C’est valable dans toutes les professions » , décrit Jennifer Mendelewitsch. Pour elle, le sexe de l’agent n’est pas essentiel. « Le plus important, c’est d’être efficace, car les joueurs parlent beaucoup entre eux. Si vous foirez deux négociations d’affilée, c’est terminé. Dans ce milieu, la survie se fait de façon très naturelle et il n’y a pas que les femmes qui sont menacées. » Sonia Souid a un point de vue optimiste : « Paradoxalement, c’est une force d’être une femme durant la négociation. Pour parler seulement en mon nom, je ne cherche pas le rapport de force, seulement un accord qui convienne à tout le monde. Certains dirigeants ont un a priori positif sur moi et s’attendent à une bonne négociation. Mais tout cela dépend de la personnalité et non du sexe. » Et un peu du physique peut-être, un atout secondaire de l’agent.
Si elles sont aussi compétentes et efficaces que les hommes, pourquoi n’a-t-on pas plus de femmes agents de footballeur ? En raison d’un manque d’implication selon Bertrand Cauly, qui s’étonne que la seule femme du SNAS soit issue du handball, alors que 85% des syndiqués (55 personnes), sont agents de footballeurs. Le président du syndicat y voit « un manque de solidarité entre les femmes sportives » et estime que « les femmes vont moins facilement contre l’ordre établi » . Un son de cloche auquel Franck Belhassen fait involontairement écho : « Je n’ai rien contre les femmes agents, je n’en ai rencontré qu’une seule lors d’une réunion. » Mais pour lui, les femmes ont également le handicap d’être de potentielles mères, or, le haut degré de compétition n’est pas forcément compatible : « Ok, on est plus de 350 licenciés, mais on n’est que 20 à 25 à faire le marché. Il faut se battre, la profession n’est pas facile, surtout pour une vie de famille. Personnellement, ma femme est admirable, car je suis souvent en déplacement. Si on veut vraiment s’imposer comme agent, il faut le faire à plein temps. » Difficile donc d’emmener le petit dernier à sa leçon de piano…
Dans ce dur milieu des agents de joueurs, les femmes peuvent également avoir des cartes différentes : « Cela peut être un atout d’être une femme en termes de communication. La féminité peut plaire à l’extérieur, dans les médias » , estime Sidney Broutinovski. Mais pour le fondateur de l’EAJF, le plus grand intérêt à prendre une femme pour agent se voit sur le long terme, « dans la gestion de la carrière, car une femme, c’est un regard différent, et dans le cas d’un joueur homme, c’est aussi un équilibre entre le point de vue masculin, le joueur, et le point de vue féminin, celui de l’agent. » Mais au-delà de cette spécificité, la clé du problème d’un agent femme est la même que pour un homme : le réseau et les recommandations. Sonia Souid appuie cette vision : « Chacun débute avec ses propres armes. Avoir un réseau, c’est le plus important dans le football, et également un matelas financier pour assumer les premières dépenses. Après, si on a un grand frère qui est ou a été un des meilleurs joueurs du monde… » Et ne dites pas à Jennifer Mendelewitsch que les femmes agents peuvent surfer sur l’essor du foot féminin : « En quoi un homme serait-il plus compétent pour gérer les intérêts d’un joueur et une femme pour gérer les intérêts d’une joueuse ? Si vous êtes compétente pour gérer la carrière d’une femme footballeur, vous l’êtes aussi pour un homme footballeur. »
À quand les 10% de femmes agents de footballeur ?
Et demain ? Quand la proportion de femmes atteindra les 10 ou 15% ? Sonia Souid pense que la dynamique est enclenchée : « Il y a 20 ans, c’était pire. Il n’y avait pas de femme agent de joueur. Dans 10 ans, on sera peut-être le double d’aujourd’hui… » Un optimisme que ne partage pas Bertrand Cauly, pour qui « les signaux ne sont pas forcément positifs. L’évolution, si elle existe, ne sera pas spectaculaire. » D’ailleurs, les quelques aspirantes comme Sharon Fonteau, étudiante à l’EAJF, ont conscience de la difficulté pour percer : « On m’a fait comprendre que tout sera plus dur que pour un homme. » Mais la jeune femme ne perd pas espoir, elle estime qu’être une femme, « c’est à double tranchant dans le sens positif du terme. On est moins nombreuses, donc on est différentes. »
Pour Sidney Broutinovski, dont l’école battra son record l’an prochain avec cinq étudiantes, la situation actuelle « fait écho aux problèmes des femmes dans la société pour accéder à des postes à grande responsabilité. Ce n’est pas exclusif au football. » Pour lui, il faut suivre les meilleurs exemples comme « Angela Merkel en Allemagne, qui montre qu’une femme peut faire aussi bien, voire mieux que beaucoup d’hommes. » Pour le fondateur de l’EAJF le mot de la fin : « Les femmes ont leur place dans le foot, pas seulement dans le foot féminin. La parité, on en est encore loin, mais d’ici 4-5 ans on sera peut-être monté à 10-15% de femmes agents de joueurs, ce sera déjà pas mal. » Les paris sont lancés.
Par Nicolas Jucha