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Afghanistan, le silence est mort

Par Adrien Candau
6 minutes
Afghanistan, le silence est mort

L'ex-internationale afghane et militante pour les droits des femmes Khalida Popal, l'actuelle capitaine de l'équipe féminine Shabnam Mobarez et l'entraîneur américain de la sélection Kelly Lindsey ont donc enfin brisé l'omerta qui entourait l'équipe nationale afghane. En cause : des agressions et violences sexuelles qui auraient pu aller jusqu'au viol et auraient été encouragées par le laissez-faire de leur Fédération. Retour sur une affaire aux coulisses franchement sordides.

Jusqu’ici, c’était une promesse. Un petit bout d’espoir, de légèreté, pour à peu près n’importe quelle Afghane qui se découvrait une affinité avec le ballon rond. Fin 2010, l’Afghanistan voyait son équipe nationale de football féminine disputer son premier match officiel. Un symbole de modernisation du pays, après la chute des talibans en 2001. Mais un symbole que certains auraient manifestement sali sans considération. Ni pour les joueuses ni pour la sélection. C’est du moins ce qui ressort des témoignages accablants qu’ont eu le courage de livrer au GuardianKhalida Popal, ancienne joueuse internationale et militante pour les droits des femmes désormais basée au Danemark, appuyée par les propos de la capitaine de la sélection, Shabnam Mobarez, et l’entraîneur de l’équipe féminine afghane, Kelly Lindsey.

Loi du silence

Au nœud du problème, des violences sexuelles dont auraient été victimes certaines joueuses afghanes. Notamment lors d’un stage d’entraînement en février dernier, en Jordanie. Popal, qui organise des camps d’entraînement pour l’équipe nationale féminine à l’étranger, a décrypté elle-même le schmilblick : « Ils (les membres de la Fédération de football afghane, N.D.L.R.)ont envoyé deux représentants masculins sous les titres de « Responsable du football féminin » et « Entraîneur adjoint ». Ils intimidaient et harcelaient les filles, en particulier celles d’Afghanistan, car ils savaient qu’elles ne parleraient pas. Je les ai confrontés, leur ai dit qu’ils ne pouvaient pas faire ça… Mais cela a continué. Ces gars appelaient dans les chambres des joueuses et dormaient avec les filles. Les membres du personnel de l’AFF (la Fédération d’Afghanistan de football, N.D.L.R.) disaient aux filles qu’elles pourraient figurer sur la liste de l’équipe et qu’ils les paieraient cent livres par mois si elles disaient oui à tout. Ils poussaient et forçaient les filles. Les contraignaient. »

Popal explique alors avoir demandé au président de la Fédération afghane, Keramuudin Karim, de mettre fin aux exactions de ses collaborateurs : « J’ai téléphoné au président pour lui dire : « Vous devriez arrêter cela. Si vous n’arrêtez pas, je ne peux pas empêcher les filles de parler aux médias pour raconter tout ça… » Il a dit de continuer à jouer au football et de garder le silence jusqu’à ce qu’ils reviennent, puis qu’il punirait les hommes qui avaient été envoyés. » Des paroles en l’air, décrypte Popal. Peu après ce camp d’entraînement en Jordanie, cette dernière rapporte que « neuf de nos meilleurs joueuses ont été expulsées de l’équipe nationale en étant accusées d’être lesbiennes… Parce que certaines d’entre elles allaient parler aux médias. Le président les a étiquetées en privé comme lesbiennes pour les empêcher de parler des abus sexuels en Jordanie et des abus commis par les entraîneurs. Il a aussi battu une des filles avec une queue de billard… »

Violences systémiques

Des violences sexuelles systématisées à en croire Popal, qui n’en a pas fini avec le président de la Fédération, Keramuudin Karim, qu’elle met plus directement en cause. Ce dernier aurait, selon elle, « une pièce à l’intérieur de son bureau qui est une chambre à coucher avec un lit. Les portes de son bureau fonctionnent par reconnaissance d’empreintes digitales. Ainsi, lorsque les joueuses entrent, elles ne peuvent pas sortir sans l’empreinte digitale du président… J’ai parlé avec des filles sexuellement et physiquement abusées si elles refusaient. La Fédération trouvait un prétexte pour se débarrasser de ces joueuses, de sorte que si elles s’exprimaient publiquement, on avait juste l’impression qu’elles étaient frustrées d’avoir été virées de la sélection. Cette enquête m’a pris six mois et il y avait des cas de maltraitance physique, de sévices sexuels, de menaces de mort et de viol. »

Un tableau extrêmement lourd dont se décharge entièrement la Fédération afghane de football, qui a expliqué entre autres que les neuf joueuses récemment suspendues ont été sanctionnées pour avoir refusé de porter le hijab en Jordanie. Le secrétaire général de la Fédération, Sayed Alireza Aqazada, a aussi démenti les faits devant la presse : « L’histoire n’est pas vraie… Aucun harcèlement sexuel n’a été commis contre aucune joueuse de football. Il serait aisé pour nous d’annuler ou de supprimer l’équipe féminine de football du fait de la présence des talibans et des mollahs, mais nous ne voulons pas revenir en arrière. Nous soutenons l’équipe féminine de football. »

Cas d’école

De fait, l’équipe nationale de football féminine n’a jamais fait consensus depuis sa création au sein de l’opinion publique afghane. « Évidemment que la société afghane est divisée sur le sujet, soutient Heather Barr, chercheuse senior auprès de la division Droits des femmes pour Human Rights Watch. Malheureusement, ce qui s’est passé avec l’équipe nationale féminine n’est pas si surprenant. On a déjà eu des problèmes similaires dans d’autres sports. Je pense au cyclisme, notamment. » En 2016, l’entraîneur en chef de l’équipe nationale féminine de cyclisme avait en effet été accusé par le fondateur américain de l’équipe et par un grand nombre de ses membres d’avoir abusé de sa position pour épouser et divorcer à plusieurs reprises de sportives sous sa supervision. Il avait finalement été limogé, mais n’avait jamais fait l’objet de poursuites.

Un dénouement relativement classique en Afghanistan, où les droits de la femme ont grandement progressé sur le papier… Mais beaucoup moins dans les faits. Exemple avec la loi Elimination of Violence Against Women (EVAW), mise en place en 2009, qui définit les crimes de violence à l’égard des femmes et leur assure une meilleure protection juridique. Problème : « C’est une bonne loi qui, la plupart du temps, n’est pas appliquée, regrette Heather Barr. Oui, c’est mieux que de ne pas avoir de loi du tout, mais ça ne règle pas vraiment la question. Aujourd’hui, quand les femmes se plaignent à la police, les cas ne sont que rarement gérés par la justice. On fait simplement appel à un médiateur, pour régler ça dans le giron familial. » De quoi émettre un léger doute face aux déclarations de bonnes intentions du président afghan, Ashraf Ghani, qui a déclaré que ces allégations de violences sexuelles sur les joueuses afghanes sont « choquantes pour tous les Afghans. Toute forme d’inconduite contre des athlètes, hommes ou femmes, est inacceptable » . En attendant que plus d’éléments viennent – ou non – alimenter l’enquête, Keramuudin Karim et quatre membres de la Fédération afghane de football ont au moins été provisoirement suspendus de leurs fonctions.

Dans cet article :
Khalida Popal, capitaine de l’Afghanistan : « Notre crime ? Taper dans un ballon »
Dans cet article :

Par Adrien Candau

Propos de Heather Barr recueillis par AC, ceux de Khalida Popal issus de The Guardian

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