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Affrontements au Brésil : chronique d’un mort annoncé
Dans un match - pourtant délocalisé - entre l’Atlético Paraná et Vasco de Gama lors de la 38e et dernière journée du championnat brésilien, une bagarre générale d’une rare violence a éclaté entre les deux camps de supporters. Un Jogo pas du tout bonito à 6 mois du Mondial.
Ça sentait la poudre, ils étaient prévenus, ils n’ont rien fait. Chacun pourra rejeter la responsabilité sur les autres, le drame brésilien de ce dimanche soir fleure bon le fait divers qui devrait dégénérer en sujet national, à 6 mois du Mondial brésilien. Et ce serait bien légitime. Rien n’a fonctionné : la sécurité du stade, l’organisation du match, le comportement de la police, la (non) gestion des supporters par les équipes, la loi brésilienne, le règlement du championnat et, en premier lieu, bien sûr, les neurones de ce que les médias brésiliens continuent méthodiquement d’appeler des « supporters » . Tout a lâché. Tour d’horizon des sujets d’inquiétude révélés par un match où il était écrit que ça tournerait mal : 4 blessés (2 côté Vasco, 2 côté A-PR) dont 3 encore en observation. Les images trash sont ici, attention c’est (vraiment) moche.
Les acteurs
L’Atlético Paraná, surnommé l’ouragan, était suspendu de terrain. Après une baston lors du derby contre Coritiba en octobre, l’A-PR a été condamné à jouer à plus de 100 km de son stade. Le club a naturellement choisi Joinville, dans l’état voisin de Santa Catarina, à 130 km de Curitiba (Sud du Brésil). De l’autre côté, les supporters avec l’une des pires réputations du championnat brésilien, les fans de Vasco. On connaît la force de frappe du club de Rio, dans tous les mauvais coups et sanctionné fin août après des affrontements contre les Corinthians (club de São Paulo) à… Brasilia. Ce n’est donc pas la première fois, par ailleurs, que le terrain neutre fait preuve de sa grande inutilité en D1 brésilienne. Vasco a également été puni après des heurts contre Ponte Presta le 30 octobre. Bref, un récidiviste étroitement surveillé.
Pire, le principal groupe d’ultras de l’A-PR avait publié sur son site un avertissement avant la rencontre : « Étant donné le nombre important de factions rivales sur les routes à l’occasion de cette dernière journée de championnat, les risques d’affrontement sont grands et nous ne vendrons aucun billet aux femmes et aux enfants. »
Le décor
Le magnifique stade de Joinville a des infrastructures aussi développées qu’une MJC de son homologue de Seine-et-Marne. Les organisateurs de la rencontre avaient oublié de créer une zone tampon entre groupes de supporters. Ou plutôt si, mais avec… un fil. Que les vandales ont tôt fait de couper pour courir les uns vers les autres et commencer à se cogner. Imaginez un Besikstas-Fenerbahce au Roudourou où l’enjeu pour l’un est la descente en deuxième division, pour l’autre une place en C1, le tout sur le dernier match de l’année. Enlevez les barrières, collez une trentaine de degrés à l’ombre et un stade en pièces détachées. Une boucherie.
Les forces de sécurité
L’Atlético PR avait la responsabilité, selon le contrat de location signé avec le stade de Joinville, d’assurer la sécurité. L’entreprise privée employée à cet effet, totalement dépassée par les événements, a été incapable de séparer qui que ce soit lorsque le match a été interrompu à la 17e minute. Pire, l’A-PR devait, selon l’article trois, prévoir aussi de solliciter les forces de police militaire (PM) nécessaires à la tenue de l’ordre (à ses frais, même si c’est un service public, c’est ainsi au Brésil), ainsi que les services de secours de proximité. Rien, toujours rien. Ce n’est qu’après de longues minutes que la police militaire de l’État de Santa Catarina, qui n’était pas sur place et qui a été immédiatement appelée pour contenir le désastre annoncé, a pu faire son entrée, disperser la foule avec des balles de caoutchouc et évacuer les blessés. Un travail payant à long terme, puisqu’une heure plus tard, de nouveaux heurts ont éclaté, cette fois entre partisans du même camp (Atlético PR), sans faire de blessé grave.
L’arbitre
Après une heure et demie d’interruption (alors que l’A-PR menait 1-0), l’arbitre a eu le bon goût de faire recommencer le match (peut-être ignorait-il jusqu’au décès d’un des supporters) malgré les images insoutenables qu’il avait eu sous les yeux et le fait que les joueurs eux-mêmes aient essayé, à un moment, de raisonner les groupes d’ultras impliqués devant la violence des coups échangés (personnes à terre, inconscientes, recevant des coups de barre de fer cloutées arrachées de la structure du stade). La parodie de match s’est soldée par un 5-1 pathétique, Vasco semblant presque oublier que la défaite les envoyait en seconde division, comme si la bêtise de leurs fans les avait préalablement et davantage marqués.
La loi
Le règlement de la CBF (Confédération brésilienne de football) est régulièrement pointée du doigt par les experts. Paulo Schmitt est procureur général du STJD (Tribunal supérieur de justice sportive). « Je savais que quelqu’un allait mourir et je ne suis pas voyant » , explique-t-il en demandant des mesures draconiennes contre les violences dans les stades. Pour l’heure, l’article 213 du règlement du championnat qui punit les violences dans le stade se résume à 3 alinéas ( « désordre sur le lieu du match » – joli euphémisme, « invasion de la pelouse » et « jet d’objet sur le terrain » , qui vont jusqu’à 10 matchs de suspension et 100 000 BRL (soit environs 30 000 €) pour des actes à même de « troubler le déroulement de la rencontre » ). C’est donc la justice civile pénale qui va rechercher et peut-être punir les auteurs grâce aux images vidéo disponibles, mais la CBF n’a pas les moyens de s’auto-saisir, sauf changement constitutif (recommandé par la FIFA), pour pénaliser plus gravement les clubs responsables. Pour une fois, les Brésiliens seront contents d’adopter une directive de la FIFA.
Résultat, tout le monde est traumatisé. Une famille est en deuil. Les blessés de 19, 24 et 29 ans encore à l’hôpital sont hors de danger, mais salement amochés. Luiz Alberto, défenseur de l’Ouragan du Paraná, décrit la scène : « On essayait de dire aux gars de l’Atlético de dégager de là, on voyait les mecs déjà couchés se faire shooter dedans, se faire tabasser avec des bouts de bois. » Le président de Vasco, Roberto Dinamite, a demandé à l’arbitre de ne pas reprendre le match : « S’il arrive quelque chose de grave, ce sera leur problème. Ils ne respectent pas la vie, première ou seconde division, on s’en fout là, il y a plus grave. » Peine perdue. Le milieu récupérateur de Vasco, Wendel, est également sous le choc : « C’est triste, je n’ai pas les mots, c’est un désastre pour notre football brésilien, à un six mois de la Coupe du monde. Sans déconner, faut faire quelque chose, là. C’est aussi pour ça qu’on milite pour le FC Bon sens » (ndlr : initiative de nombreux joueurs de première division pour un foot plus propre, plus intelligent).
Le foot brésilien est bien amoché. Vasco et Fluminense descendent en seconde division, à l’occasion d’une dernière journée à oublier. Deux semaines après les morts sur le chantier du stade des Corinthians, déjà hors délai, et alors que le coût du Mondial est encore un sujet brûlant au sein de la société brésilienne, l’organisation du Mondial au Brésil est en train de filer plus d’urticaire à Sepp Blatter que le dossier Qatar 2022. C’est dire.
Par David Robert, à Rio de Janeiro