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Affaire Rubiales : les premières leçons d’un scandale hors normes

Par Nicolas Kssis-Martov
5 minutes

Depuis le « baiser volé » - euphémisation de ce que beaucoup commencent à qualifier d’agression sexuelle - de Luis Rubiales sur la joueuse Jenni Hermoso, le feuilleton politique et désormais juridique ne cesse de multiplier les épisodes. Le déroulement de cette affaire s’avère pourtant riche en enseignements concernant le football et le sexisme.

Affaire Rubiales : les premières leçons d’un scandale hors normes

Il existe plusieurs façons d’appréhender cette lamentable séquence. Il est possible de se focaliser sur la descente aux enfers du monarque d’une fédération, comme il en existe un peu partout et notamment en France encore récemment, qui se croit intouchable, se pose en victime d’un « assassinat social », et refuse de partir quoi qu’il en coûte. La grève de la faim de la mère de Luis Rubiales dans une église, qui a abouti à son hospitalisation, participe de ce scénario à la Netflix. Toutefois, au-delà du cas personnel de cet individu, il s’impose d’élargir la réflexion. Les événements qui se succèdent depuis la finale de la Coupe du monde féminine nous en apprennent en effet malheureusement beaucoup sur le football, la façon d’y réduire ou d’y combattre un sexisme structurel, qui certes imprègne l’ensemble de la vie sociale, mais qui y possède des formes et des expressions accentuées.

« Seul un oui est un oui »

La première leçon demeure que sans la mobilisation de la société (médias, personnalités, mouvements féministes, etc.), le foot espagnol aurait continué tranquillement et sans honte son chemin. Les pressions multiples – manifestations, prises de paroles, réseaux sociaux –, jusqu’au sommet de l’État, ont empêché un silence complice de banaliser « l’incident ». La ministre de l’Égalité, Irene Montero, a ainsi dû remettre à sa juste place les enjeux de la polémique : « C’est une forme de violence sexuelle que nous, les femmes, subissons au quotidien et jusqu’à présent invisible, et que nous ne pouvons pas normaliser. (…) Seul un oui est un oui»

Cette agression a d’autant plus résonné que ce Mondial (et ses figures de proue, les Jamaïcaines, l’équipe marocaine ou l’Anglaise Sam Kerr) avait été vécu dans les communautés LGBTQI et les réseaux féministes comme une immense victoire culturelle. Dans un texte publié sur Instagram, Veronica Noseda des Dégommeuses et Laratatatoo expliquaient de la sorte : « La Coupe du monde féminine qui s’est terminée dimanche est de loin l’événement le plus queer, féministe, révolutionnaire, et anti-impérialiste qu’on ait eu la chance de vivre depuis des mois. »

Sans ces réactions massives de tout horizon, le sentiment d’impunité aurait perduré. Luis Rubiales aurait réglé son compte à « la menteuse » sous les applaudissements (après tout, Noël le Graët a quitté la FFF sous une standing ovation). Ce fut impossible cette fois. Ne serait-ce que parce que les joueuses elles-mêmes ont cessé de se taire (après des mois de conflits faut-il le rappeler, dans l’indifférence générale au sujet du management et du comportement de leur sélectionneur). Jenni Hermoso a ainsi « clarifié que comme on le voit sur les images, à aucun moment je n’ai consenti au baiser qu’il m’a donné et à aucun moment je n’ai cherché à enlacer le président ». L’ensemble des 23 championnes du monde s’est ensuite retiré de la sélection jusqu’à la démission de Rubiales.

Ce dernier, toujours à la manœuvre de la fédération malgré un vote de défiance des présidents des Fédérations régionales lui reprochant surtout d’avoir « gravement porté atteinte à l’image du football espagnol », tente par tous les moyens de se maintenir. Après un communiqué de presse calomniateur, la diffusion de vidéos sur les réseaux sociaux, il appelle directement à l’aide son ami Aleksander Čeferin, président de l’UEFA. Argument suprême, le sacrilège d’une ingérence du gouvernement espagnol, en l’occurrence via la vice-présidente du gouvernement, Yolanda Díaz, et le ministre Miquel Iceta, à la tête aussi du président du Conseil supérieur des sports (CSD), qui a déposé une plainte devant le tribunal administratif des sports (TAD). Il espère que ses « camarades » ne le lâcheront pas, dans leur propre intérêt, même si la notion d’indépendance du pouvoir politique se révèle à géométrie variable, selon les circonstances et les rapports de force.

L’extrême lenteur des instances du football

En effet, le second enseignement demeure l’extrême frilosité et la lenteur des instances du football, surtout internationales, dès qu’il s’agit de sanctionner « l’un des leurs ». Le Slovène a essayé de ménager celui qui reste pour le moment son vice-président : « Son cas est dans les mains de l’organe disciplinaire de la Fédération internationale. Tous les commentaires que je pourrais faire auraient des allures de pression. Je dois juste dire que je suis triste qu’un tel événement occulte la victoire de l’équipe nationale espagnole. » La FIFA a finalement suspendu son vice-président espagnol et annoncé l’ouverture d’une procédure contre lui (violation de l’article 13 du Code disciplinaire de la FIFA, entre autres pour « comportements offensants et violation des principes du fair-play »).

Il ne faut pas être naïf. Certaines condamnations de notables ou personnalités du foot qui commencent à arriver sur X s’apparentent parfois à de l’opportunisme tardif ou des règlements de comptes entre « boss ». Javier Tebas, président de La Liga, dont les différends avec Luis Rubiales sont de notoriété publique, n’a pas manqué de tirer sur l’ambulance : « Je dois admettre qu’il a été très difficile d’expliquer ce qui s’est passé avec Luis Rubiales au cours de ces années. J’ai le sentiment que beaucoup de gens, jusqu’à présent, n’ont pas compris ce que doivent vivre les membres des différents milieux du football face à lui en tant que président de la RFEF. » Si ce qu’il dénonce est vrai, il lui reste à en faire autant dans son combat contre le racisme en Liga… Mais peu importe, désormais, les femmes ne jouent pas seulement au foot ; elles le transforment.

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