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Affaire Mounier : les supporters ont-ils vraiment un droit de veto sur les transferts ?
Ce fut l’un des derniers rebondissements de ce mercato hivernal qui s’est clôturé mardi soir. Anthony Mounier n’ira finalement pas endosser le maillot stéphanois, et il a dû se résoudre à retourner en Italie pour signer à l'Atalanta Bergame. La principale raison tiendrait à l’hostilité franche voire violente – verbalement en tout cas – des supporters de l’ASSE qui ne supporteraient pas que cet enfant de l’OL, qui a si souvent manqué de respect envers les Verts, vienne fouler régulièrement la pelouse de Geoffroy-Guichard. Derrière les outrances de beaucoup et les menaces de certains, cet épisode met en exergue un vieux serpent de mer du petit monde du ballon rond : les supporters ont-il un droit de veto sur le recrutement de leur club ?
La première erreur serait d’imaginer que les supporters, ou les ultras – les Green Angels en l’occurrence dont la banderole sonna le début de la révolte – se seraient constitués en garde vigilante qui surveillerait les portes d’entrée du vestiaire comme un lieu sacré. L’affaire et l’histoire s’avèrent un peu plus complexes que la banale dénonciation de l’intransigeance de quelques agités des gradins qui ne comprendraient rien aux impératifs du professionnalisme (ce qui n’excuse évidemment aucunement les excès, surtout quand ils relèvent du délictueux du point de vue pénal, telles les menaces de mort ou sur les familles). Certains beaux esprits ont même pu établir une comparaison entre ce qui venait de se passer du côté de la Loire et la montée des populismes à travers le monde (Brexit, Trump, etc.). Bref, un peuple furibard n’écoutant que sa colère et prêt pour cela à s’en prendre aux malheureux « outcasts » qui viendraient déranger sa tranquillité protectionniste. Le parallèle est tentant et sexy, mais reste erroné.
Quand Galtier était sur le banc des Gones
D’abord, parce qu’à regarder vraiment dans le rétro, notamment les cas passés aussi bien du côté de Glasgow (entre Rangers et Celtic) ou en Serie A (Juventus versus Napoli), on se rend rapidement compte que l’indignation des fans se révèle très sélective et ciblée, et parfois d’abord assez hypocrite. Car, quelles que soient les rivalités entre deux clubs, il est fréquent que des joueurs chaussent les crampons des frères ennemis avec une décontraction déconcertante. Bien sûr, pour en revenir à ce qui nous intéresse directement, même Christophe Galtier essuya en son temps le banc des Gones en tant qu’assistant d’Alain Perrin. Qu’ajouter qui n’ait déjà été dit du PSG et de l’OM, pas moins incestueux ou ancillaires, selon le point de vue, que les autres pensionnaires de L1. Et au fond, quel habitué du Parc n’a pas rêvé de voire Cantona à Paris ?
Bizarrement, s’il faut chercher un déclencheur de l’ire sacrificielle des supporters, inutile de pister une quelconque envie d’influer sur le onze type. Il s’agit surtout davantage de défendre une singularité. Si les supporters se réveillent parfois, c’est avant tout pour défendre leur particularisme, leur héritage culturel, leur spécificité, plutôt que pour s’immiscer dans les juteux transferts et les négociations de dernière minute. Dans un foot confronté à la valse des proprios, de plus en plus étrangers aux vieilles habitudes notabiliaires de notre foot tricolore, les supporters, stigmatisés, réprimés, dénoncés, conservent malgré tout cette profonde et justifiée conviction d’être les derniers tenants et « pratiquants » de la fidélité éternelle au club et aux couleurs. Pas question de galvauder un tel credo, ou de laisser des pharisiens imiter la vraie foi.
« C’est mon club de cœur… »
Or, ultime paradoxe, Anthony Mounier, et souvent ces prédécesseurs malheureux, paient d’avoir pensé et agi comme les ultras. Le tout nouveau joueur de l’Atalanta Bergame paie le prix de la cohérence, d’avoir si bien mimé cet engagement et donc adopté tous les codes et antagonismes qui vont avec. Certes, rien ne réjouit davantage les supporters que lorsque les joueurs se prennent au jeu des derbys et des Clásicos, y compris dans la valse des provocations et des insultes (qui ne se souvient pas de Joël Bats posant avec une écharpe lyonnaise sur les filets face au kop Sud ?). Cela force l’admiration. Ce qui ne passe pas, c’est ensuite de venir manger dans la gamelle dans laquelle on a si facilement craché. Les pros qui balancent des « je n’irai pas jouer ailleurs en L1 » ou « c’est mon club de cœur » en sont quitte pour « un homme, c’est sa parole » dans la petite valse des lieux communs. Ils sont descendus dans l’arène ou plutôt montés dans les tribunes. Or il est des lieux où la passion est tangible et demande des preuves.
Anthony Mounier se retrouva piégé par un passé qui le marque moins du sceau de l’infamie lyonnaise que du mauvais rôle de Janus. Il avait comblé les supporters lyonnais dans son attitude et ses belles envolées lyriques, parfois un peu sales. Dur ensuite de ne pas laisser la mauvaise impression d’être seulement un opportuniste. Le seul hic reste que les joueurs les plus interchangeables, les moins attachés à leur club formateur ou d’enfance, sont paradoxalement épargnés par cette vindicte, alors qu’au bout du compte, ils incarnent parfaitement ce foot moderne si fréquemment dénoncé dans les banderoles. Le droit de veto n’existe donc justement que parce que les directions, et parfois les joueurs eux-mêmes, reconnaissent qu’il est inutile de froisser cette clientèle singulière, résumé bruyant et indiscipliné de la part de marchés qu’il essaient de cajoler. Les accidents industriels ne sont jamais aussi indolores que lorsqu’ils permettent de satisfaire à peu de frais les indignés de la hotline.
Par Nicolas Kssis-Martov