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Que peut faire un joueur victime de racisme ?
Samedi dernier, Mike Maignan a de nouveau été victime de racisme sur le terrain de l’Udinese. Un cas loin d’être isolé, aussi bien en Italie qu'ailleurs. Une question revient toujours : que peut faire un joueur lorsqu’il subit du racisme ou de la discrimination ? Éléments de réponse.
Samuel Eto’o, Mario Balotelli, Ryad Boudebouz, Dani Alves, Kalidou Koulibaly, Romelu Lukaku, Mouctar Diakhaby, Bukayo Saka, Mike Maignan, pour ne citer qu’eux. Les années passent et, malgré les nombreuses campagnes « No To Racism », les cas de racisme ou de discrimination dans les stades (et sur les réseaux sociaux) sont toujours omniprésents. Face à ce fléau, les victimes se retrouvent souvent désarmées, isolées et dans l’incapacité de réagir. Comment faire pour avancer sur ce sujet ? Quelles solutions pour ne pas faire en sorte que cela devienne une habitude dans les stades ? On a réfléchi à la question avec Momo Sissoko, ancien joueur de la Juventus et du PSG, entre autres, qui souhaite quand même poser qu’« on ne peut pas comprendre tant que l’on n’a pas vécu la chose ».
Avertir une première fois l’arbitre
Le phénomène concerne le foot professionnel comme amateur. Le racisme peut exister sur tous les terrains, il n’y a pas d’exception. Pour la personne qui en est victime, il n’est pas toujours simple de savoir comment réagir, chacun le vit et l’encaisse à sa manière. La première des choses à faire est de « prévenir l’arbitre sans avoir honte et de lui expliquer les faits », estime l’ancien Sissoko, qui concède que cette étape est loin d’être évidente pour un joueur. Il y a la peur d’être perçu comme une victime, la peur de la réaction des coéquipiers ou du public, la peur aussi que la situation empire. Comme le prévoit le règlement de l’UEFA (appliqué dans toutes les fédérations européennes) et plus précisément la Loi du jeu n° 5, lorsqu’un joueur signale à l’arbitre des actes discriminatoires, ce dernier est dans l’obligation d’alerter le délégué de la rencontre. Le speaker doit alors faire une première annonce au micro, dans la langue des deux équipes, pour demander au public de « cesser immédiatement ces comportements racistes ». Si les cris, insultes ou chants persistent, le match doit être interrompu. Le week-end dernier, Mike Maignan a choisi de prendre les choses en mains et de frapper fort en quittant la pelouse, ce qui a provoqué l’interruption de la rencontre.
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Quitter la pelouse…
Outre la portée symbolique du geste, c’est surtout la sécurité du joueur qui est en jeu. Imaginez un instant entendre – quelques mètres derrière vous – une dizaine d’imbéciles dire ou mimer les pires atrocités. Maignan l’a vécu et l’a verbalisé : « Subir du chambrage et des insultes quand tu joues à l’extérieur, c’est normal. Mais lorsqu’on s’en prend directement à ta couleur de peau et ton intégrité, c’est autre chose. » Si, après avoir averti l’arbitre une première fois, rien ne change, alors quitter le terrain apparaît comme inévitable. « À partir du moment où on subit du racisme ou une injustice, il faut prendre des précautions et se protéger dans un premier temps. Il faut sortir sans hésitation du terrain », explique Momo Sissoko.
Le champion de France 2013 ne l’a pourtant pas appliqué durant sa carrière les fois où il a subi du racisme. C’était un autre temps, pense-t-il : « À l’époque où je jouais, il n’y avait pas toute cette prévention ou ces spots publicitaires, alors que maintenant, les gens sont plus sensibilisés sur le sujet. C’est plus facile, je pense, de frapper fort. » Frapper fort, donc. Ils sont plusieurs à avoir eu le courage de dire stop, avant de se retrouver face à des obstacles de taille : la solitude et l’impossibilité d’aller au bout de leur intention.
… Et ne pas revenir
C’est certainement l’étape la plus importante. Très souvent, pour ne pas écrire tout le temps, la pause n’est que temporaire, et la victime finit par revenir sur le terrain accompagnée des autres acteurs de la partie. « Si on respecte seulement le protocole et que finalement, après plusieurs minutes d’interruption, le joueur revient sur le terrain, on donne raison à ces idiots », regrette Sissoko. Maignan est revenu, admettant plus tard que ce n’était pas ce qu’il voulait. Le déclic doit aussi venir des autres, ses coéquipiers, ses adversaires, qui peuvent avoir une influence sur cette décision. « Lorsqu’un joueur décide de quitter le terrain, mais qu’il est seul, ça ne sert tout simplement à rien, souffle l’international malien. Lui n’a rien à se reprocher, mais les autres sont finalement complices en choisissant de rester. L’ensemble des acteurs doivent quitter le terrain, sans hésitation. Le match doit être arrêté. Et là, vous verrez que les choses changeront. »
Outre l’absence de solidarité totale, qui peut s’expliquer par « un manque d’importance accordée au sujet par certains joueurs ou entraîneurs », souligne Sissoko, le règlement de l’UEFA s’impose également comme une limite. Si on s’en tient au texte, l’arbitre doit définitivement stopper la rencontre seulement si les actes se poursuivent (et surtout sont constatés) après une troisième annonce du speaker. Une latence que condamne l’ancien Turinois : « On doit sévir et sanctionner dès la première fois. C’est beaucoup trop long. Ça fait combien d’années qu’on utilise ce genre de protocole. Est-ce que les choses changent ? Non. »
Dénoncer, encore et encore
« Ce n’est pas le joueur qui a été attaqué. C’est l’homme. C’est le père de famille. Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive. Et je ne suis pas le premier à qui ça arrive. On a fait des communiqués, des campagnes de publicité, des protocoles et rien n’a changé. » Sur ses réseaux sociaux, Mike Maignan s’est exprimé sur les événements dont il a été victime à Udine. Le monde du football est venu à son soutien, de Kylian Mbappé à Vinícius Júnior en passant par Gianni Infantino, qui a même promis de sévères sanctions. Des paroles en l’air ?
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La communication semble impérative pour un joueur victime, surtout pour quelqu’un qui possède le statut de Maignan, gardien de l’AC Milan et de l’équipe de France. Ce n’est pas rien et ça offre de la visibilité. « Beaucoup de joueurs subissent du racisme et certains cas ne font pas autant de bruit », rappelle Sissoko. En décembre dernier, Antoine Makoumbou a subi des chants racistes venant de certains tifosi du Hellas, mais l’affaire est rapidement tombée aux oubliettes, par exemple. Si les communiqués permettent de dénoncer, à leur manière, ces actes odieux et minables, l’histoire se répétera si d’importantes mesures ne sont pas prises par les fédérations. « Les grandes institutions ne font pas leur travail, constate Sissoko. Pourquoi, en 2024, nous sommes encore en train de parler de ça ? Il faut sévir et sanctionner dès le premier acte. Ces grandes phrases ne servent absolument à rien. Tant que les têtes pensantes ne feront pas leur travail, on n’avancera pas. »
Porter plainte
Concrètement, que peut faire de plus un joueur victime de racisme ? Se rendre sur le terrain juridique ? Dans la majorité des cas, ce sont les clubs qui se constituent partie civile. Une action permettant au joueur victime d’injures racistes de ne pas se prendre la tête avec les soucis d’ordre juridique. Néanmoins, souvent mis en marge de la société, le footballeur reste tout de même avant tout un citoyen, disposant de droits et de devoirs.
Souvent négligé par les joueurs victimes de racisme, le terrain juridique peut se présenter comme une possibilité légitime et peut conduire à la condamnation des coupables identifiés. Les insultes racistes ne sont pas moins graves quand elles sont prononcées dans un stade et dans un contexte sportif et sont tout autant condamnables. D’un point de vue juridique, c’est un délit. Autrement dit, en décidant de porter plainte, les sanctions prononcées peuvent (et surtout doivent) ne plus seulement être sportives (bannissement d’un stade à vie), mais également juridiques. Pour rappel, en France, toute injure raciste est passible de six mois d’emprisonnement et de 22 500 euros d’amende.
Par Tristan Pubert
Propos de Momo Sissoko recueillis par TP.