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La Salésienne : un club dans l'œil du cyclone
Un club peut-il maintenir en poste deux cadres mis en cause par une ancienne éducatrice pour des faits de harcèlement moral ? À La Salésienne de Paris, la réponse est oui, malgré une décision de la commission supérieure d'appel de la FFF, le temps que le CNOSF se prononce sur une conciliation.
Ce soir du mercredi 9 novembre 2022, Camille, 20 ans, part remplir sa gourde avant l’entraînement avec les seniors féminines. Comme d’habitude. Et comme trop souvent, en passant derrière elle, Morad lui lance une énième pique. Morad, directeur des opérations de La Salésienne de Paris, est son aîné de 20 ans et son supérieur hiérarchique, puisqu’elle est aussi éducatrice au club, en charge des U11 féminines. Comment imaginer qu’après s’être d’abord écarté en riant, Morad serait revenu à la charge pour la traîner dans les douches avant de l’enfermer plus de 40 minutes dans le local du club résident du stade de la porte d’Asnières ?
L’entraînement commence, et la mauvaise blague s’éternise. Morad campe en travers de la porte verrouillée, tandis que des coéquipières témoins du comportement de Morad s’en inquiètent auprès de J.*, leur coach. À la fin de la séance, ce dernier aurait trouvé Camille prostrée et en larmes dans son bureau, lumière éteinte. Pour tout réconfort, il l’aurait invitée à en « dégager » vite fait. « Rien à foutre », aurait ensuite répondu J. à une joueuse indignée par le traitement infligé à sa coéquipière. Une version démentie par son club, qui affirme également que le sujet a été traité par J. « dès le lendemain », Morad ayant été prié de formuler des excuses. Si celui-ci n’a pas donné suite à nos sollicitations, le président de La Salésienne reconnaît lui tout juste un comportement « inapproprié » de son encadrant.
Minimisation, mise à pied de trois jours et sentiment d’acharnement
« Inapproprié », c’est le terme que reprend le conciliateur du CNOSF dans le rapport rendu il y a quelques jours, que nous avons pu consulter. L’instance suprême du sport français avait en effet été saisie par le club après une décision de la commission disciplinaire de la FFF communiquée le 12 octobre 2023. « Un euphémisme », avait pourtant estimé la commission supérieure d’appel de la fédération en confirmant la suspension de deux ans infligée à Morad pour des faits de brutalité et un comportement intimidant, tout en ramenant à six mois, dont trois avec sursis, celle de J., ne reconnaissant pas de complicité de sa part. À noter que le terme de harcèlement n’est pas retenu dans cette affaire du 9 novembre. Mais à La Salésienne, tout ne serait pas aussi limpide. Le président du club omnisports, Aymeric de Tilly, conteste le fait que Camille a été contrainte de rester dans ce local. Elle aurait été « initialement amusée » par la situation, comme le retient le rapport du CNOSF.
Ce que raconte aussi Camille, c’est que son agresseur lui aurait expliqué les jours suivants s’être « contenu », car « cela aurait pu être pire ». Ce dernier, contacté, ne nous a pas répondu. On aurait aussi fait comprendre à Camille qu’il serait préférable pour elle « d’oublier et d’arrêter d’en parler ». Devant l’insistance de la jeune femme pour rencontrer le directeur de l’association forte de 4000 adhérents, J., qui était au moment des faits directeur du football, fait finalement remonter l’information six jours après les faits. Aymeric de Tilly se fend même d’un coup de téléphone à ses parents, selon Camille, « en minimisant les faits ». « J’avais l’impression d’être folle, comme si rien ne s’était passé », nous confie-t-elle. Une enquête interne est ouverte le 18 novembre après la rencontre entre Camille et le directeur de l’association. Elle débouche sur une mise à pied de trois jours des deux fautifs. L’atmosphère devient étrangement pesante au sein du club, comme l’indique un témoin à la FFF : « C’était les bénévoles témoignant de l’incident contre les salariés du bureau. »
Début janvier 2023, l’ensemble du staff participe ensuite à une réunion pour remettre tout à plat et « repartir sur des bases saines ». Fin de l’affaire ? Non, car la réunion est pilotée par Morad et J., qui annoncent la mise en place de nouvelles règles leur permettant « de sanctionner et exclure les éducateurs non dociles », selon l’interprétation de Camille, qui a le sentiment d’être plus que jamais leur cible. « Ils ont essayé de me pousser à bout en ne donnant pas de terrain pour mes petites, et le président passait tous les jours au stade pour monter les éducateurs contre moi. Il leur disait que j’étais une menteuse, qu’il fallait me pousser à partir, et que la porte était grande ouverte pour tous ceux qui se positionneraient en ma faveur. »
Clara, une ancienne éducatrice, avait partagé dès le mois de mai 2022 ses inquiétudes à l’égard du comportement des deux compères. Clara assiste aussi à la rentrée de septembre à la mise en place du « jeu de qui fera pleurer Camille en premier » et amènera J. à proposer à la jeune femme, qu’il sait sous traitement médicamenteux, « une corde quand elle avait un coup de blues » tout en mimant une pendaison. Si le duo dément, il reconnaît en revanche, d’après un procès-verbal de la FFF daté de juillet 2023, que Morad s’est retrouvé un jour « à califourchon » sur la jeune femme, l’immobilisant au sol, sous les rires de son entraîneur. « Une chamaillerie comme une autre […] sortie de son contexte » d’après Morad, et à laquelle J. dira plus tard n’avoir jamais assisté.
Affaire(s) à suivre
La Salésienne dénonce aujourd’hui « une cabale » à son encontre. Peut-être parce qu’à la suite des révélations du Parisien en août dernier – qui ont valu au quotidien une plainte pour diffamation –, la mairie de Paris a ouvert une enquête sur la gestion du club et décidé d’appliquer l’article 40 du code de procédure pénale obligeant « toute autorité constituée » à saisir sans délai la justice quand est portée à sa connaissance des faits délictueux. Aymeric de Tilly affirme avoir immédiatement fait part de la situation à la municipalité du 17e arrondissement, qui dit n’avoir eu connaissance du harcèlement dont Camille dit avoir été victime qu’en janvier 2023, lorsque celle-ci s’est plainte directement à la mairie. Curieusement, une semaine après avoir été reçue le 8 février 2023 par l’adjointe en charge du sport, Athénaïs de La Morandière, Camille est exclue de l’équipe bénévole par la voix d’Aymeric de Till.
De son côté, à la suite de l’avis consultatif du conciliateur, le CNOSF a proposé d’abandonner les charges concernant les faits du 9 novembre à l’encontre de J., se fiant à sa version expliquant avoir promptement remonté l’information. C’est pourtant pour la raison inverse que son club l’avait mis à pied trois jours au terme de son enquête interne. Deux enquêtes du SDJES (Service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports), organisme de contrôle de la vie administrative du ministère, doivent être rendues prochainement. Aujourd’hui, le club se targue de former depuis plusieurs années ses formateurs avec l’association Colosse aux pieds d’argile. Le site internet de l’association renvoie vers une cellule d’écoute et toute victime de violences ou de harcèlement peut y cliquer sur un bouton déclenchant un mail d’alerte. Reste à savoir ce que la direction de La Salésienne décidera d’en faire.
Par Baptiste Brenot
Par Baptiste Brenot
Tous propos recueillis par BB, sauf mentions.
* Le prénom a été masqué, à la demande de son avocate qui nous a précisé : « Mon client conteste fermement les accusations de harcèlement ou d'agressions, d'une quelconque complicité de ces actes, de négligence, ou même qu’il serait poursuivi à ce titre. »