- Justice
- Affaire Benjamin Mendy
« Il n’y a pas d’injustice concernant Benjamin Mendy »
Le 14 juillet dernier, l’ancien défenseur de Manchester City Benjamin Mendy a été déclaré non coupable de viol et tentative de viol par la justice britannique. Il y a cinq mois, il avait aussi été acquitté pour six accusions de viols et une d’agression sexuelle. Un avocat fait le point sur ce verdict.
Avez-vous suivi ce procès et quelle a été votre réaction à l’annonce du verdict ?
Maître Ian Knafou : Non, je n’ai pas vraiment suivi ce dossier. Après, évidemment, ça attise un peu ma curiosité, et je l’ai suivi à travers la presse. Mais toutes les informations relayées par les médias ne vont jamais suffire à connaître parfaitement le dossier, donc j’ai toujours un œil méfiant. On a du dossier ce qu’on en a entendu dans la presse en fait. Et souvent, ça ne correspond pas vraiment à ce que les principaux concernés par ce procès avaient dans les mains. Il n’y a qu’à voir pour Monsieur Mendy. Ce qui était présenté par la presse depuis de nombreuses semaines semblait accablant. Et finalement, il y a eu un jury qui a décidé à l’unanimité de le déclarer non coupable.
On lit qu’il a été acquitté par faute de preuves. Benjamin Mendy est-il aujourd’hui considéré comme innocent ?
Maître IK : Oui bien sûr. Dès le moment où vous êtes déclaré comme non coupable, vous êtes innocent. Et cela, quelles que soient les raisons pour lesquelles vous êtes non coupable. « Faute de preuves » peut être une raison, mais il existe aussi de nombreuses personnes qui sont acquittées « au bénéfice du doute » par exemple. Une fois acquitté, vous n’êtes plus présumé innocent, vous êtes innocent. Dans ce dossier, il appartient à la partie poursuivante de prouver la matérialité et l’existence d’une infraction. Et à partir du moment où cette preuve ne peut être apportée, la personne est innocentée. Être acquitté faute de preuves arrive souvent dans ce type de dossier sur le territoire français.
Existe-t-il une nuance entre acquitté, non coupable et innocenté ?
Maître IK : Non, c’est la même chose. En fait, ce sont des synonymes. Dans ce genre de dossier, « le bénéfice du doute » existe. Bien sûr. La particularité qu’il y a dans le dossier Mendy, c’est qu’il y avait un nombre de plaintes visiblement assez important. Le raisonnement qui va être celui des juges ou d’un jury populaire est celui du faisceau d’indices. C’est-à-dire qu’on va tirer une vérité judiciaire au regard du nombre de plaignants. Les avocats défendent souvent ce genre de procédé dans cette situation et tentent de démontrer une culpabilité par la convergence des plaintes. Dans ce procès, ils ont estimé qu’ils manquaient toutefois de preuves. Prouvant que ce raisonnement est fragile et qu’il n’aboutit pas toujours.
De nombreux footballeurs apportent désormais leur soutien à Benjamin Mendy, estimant qu’il a été victime d’une injustice. Est-ce une réaction typique dans ce genre d’affaires ?
Maître IK : Ce qui est clair, c’est qu’un acquittement, une innocence actée par une juridiction de jugement, ne va pas laver les mois et les années de processus judiciaire et l’idée que les gens peuvent avoir sur sa culpabilité. C’est-à-dire que quand bien même vous êtes innocenté, vous avez traversé une procédure judiciaire qui a comporté une détention, et donc vous ne pouvez pas empêcher l’idée qu’ont certaines personnes « qu’il n’y a pas de fumée sans feu » et que vous êtes un potentiel coupable, à leurs yeux. Son image est salie à l’évidence. Sa carrière a été interrompue. Et ça, ce sont des préjudices pour lui qui sont indiscutables au regard de son innocence.
Benjamin Mendy avait été incarcéré fin août 2021 et avait passé plus de quatre mois en détention provisoire, avant d’être libéré début janvier 2022. Il a aussi été suspendu par Manchester City à la suite de son incarcération, et n’a pas reconduit son contrat qui arrivait à échéance le 30 juin dernier. Mendy a donc perdu son travail, n’a pas été payé depuis longtemps et a fait de la prison : est-ce qu’on peut considérer que Benjamin Mendy a subi un préjudice ? A-t-il été victime d’injustice ?
Maître IK : L’injustice, c’est d’être condamné à tort. Il n’y a pas d’injustice le concernant. Il y a eu une enquête, avec des moyens légaux mis en œuvre. C’est le cours normal de la justice qui a été réalisé, avec ce qu’elle comporte de violence. Mais de violence légale comme là, une détention provisoire injustifiée, ou la suspension de la carrière d’un homme. Toutes ces mesures ne sont pas prises parce que vous êtes coupable, mais parce qu’il y a une procédure en cours. Ce ne sont pas des sanctions qui viennent acter une culpabilité. Elles sont dites de sûreté dans le cadre de l’enquête. Il n’y a aucune atteinte à la présomption d’innocence.
Par quel(s) moyen(s) les non-coupables reprennent le cours de leur vie ?
Maître IK : En France, les personnes qui sont innocentées à la suite d’un long processus judiciaire comme celui-ci sont indemnisées des jours passés en détention provisoire. On vous donne une somme d’argent pour rectifier le fait d’avoir passé X jours, à tort, en détention. Toutefois, ça reste un apport financier qui ne va pas pouvoir rattraper le temps perdu. Pour Benjamin Mendy, le préjudice est très conséquent vu la carrière qu’il avait. Alors comment guérir après ça ? Ça dépend de plein de choses, à commencer par les personnalités. Les trajectoires peuvent être multiples. Certains arrivent à se relever, d’autres ne se relèveront jamais. On peut par exemple tomber dans la délinquance. Difficile de le savoir. Mais il y a plein de trajectoires possibles.
Peut-il y avoir des suites à ce procès ?
Maître IK : Comme dans toute juridiction, il existe un système de recours. Par contre, en France on peut demander à faire réexaminer le dossier comme l’ont fait les premiers juges. C’est tout simplement un nouveau procès. Du côté de la Grande-Bretagne, on peut revoir un dossier en s’attardant sur le droit, pas sur le fond. Le but est de simplement observer s’il y a des irrégularités de procédure. Le concernant, la décision est donc définitive en réalité.
Propos recueillis par Matthieu Darbas
À la demande de la deuxième avocate que nous avions interviewée, son décryptage n'apparaît plus dans cet article.