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Adrien Regattin : « C’est ambiance GTA, avec les cinq étoiles ! »
Joueur de Cincinnati depuis février 2020, Adrien Regattin décrit la violente situation qui sévit dans la ville américaine à la suite de l'épisode de la mort de George Floyd et les manifestations qui l'accompagnent. Ou comment une période de confinement en remplace une autre.
Tu es arrivé à Cincinnati en février dernier, tu vis où exactement ?Dans le centre-ville, dans le downtown. Je suis tout seul, pour l’instant. Ma famille devait me rejoindre, mais avec le Covid… Depuis le début des émeutes, j’entends tout jusqu’à deux ou trois heures du matin. Les hélicoptères, la police… Le premier soir, c’était une marche pacifique. Mais depuis, ça a dégénéré. Avec, par exemple, des magasins fracassés et des banques cassées. Beaucoup de devantures sont barricadées avec des grandes planches en bois, d’ailleurs. Bon, il n’y a pas encore eu de coup de feu, mais c’est un peu chaud.
La situation ne doit pas s’améliorer, notamment avec le drapeau Thin Blue Line (celui des officiers) hissé à l’extérieur d’un bâtiment chargé de l’application des lois à la place de celui desStars and Stripes (drapeau américain avec des couleurs différentes). Tu peux nous en dire plus ? C’est le bordel partout, tout simplement. Hier, on avait un couvre-feu et personne ne devait être dehors après 20h. Parfois c’est 21h, d’autres fois 22h… L’autre soir, quand je suis rentré, j’ai vraiment galéré pour arriver chez moi à cause de l’heure limite. J’ai dû tourner longtemps avec mon véhicule pour trouver un chemin jusqu’à ma résidence, ils ferment toutes les routes. Il y a toutes les forces de l’ordre réquisitionnées, c’est incroyable. Franchement, on dirait Grand Theft Auto ! Tu sais, quand tu as les cinq étoiles et que tu es suivi par tous les flics de la ville avec les hélicos et tout. Impressionnant…
The Cincinnati police pulled down the American flag at the justice center and replaced it with the thin blue line. Infuriating. Picture from a friend. pic.twitter.com/1bM0ovH0T6
— ✌Pokes✌ (@P0kes) May 31, 2020
Après le confinement en raison de la pandémie de coronavirus, tu restes donc enfermé chez toi, mis à part pour les entraînements ?Ah oui, je ne sors pas. On sait qu’environ un Américain sur deux a une arme avec lui ou dans sa voiture, donc on ne va pas se mentir : je ne prends pas de risque, je me mets en sécurité et j’attends que ça passe. Je n’ai pas envie de me retrouver au mauvais endroit au mauvais moment, à avoir peur pour ma vie.
Vous parlez de la mort de Georges Floyd, avec vos partenaires ?Oui, évidemment. Insupportable, ce qu’il lui est arrivé… Paix à son âme. Malheureusement, ce n’est pas la première fois. Ici, il y a vraiment une grande discrimination à l’égard des Blacks. Ce qu’il se passe avec les Afro-Américains représente un débat délicat, on espère tous que cette discrimination s’arrête. Personnellement, je ne l’ai pas ressentie et je n’ai pas été témoin direct d’une mauvaise anecdote. Reste que les Blacks représentent la grande majorité de la communauté de pauvres. Ceux qui font la manche, ce sont les Blacks, et on sent qu’ils sont en partie rejetés par la société. Il y a donc déjà des inégalités à ce niveau-là, et tu peux le voir dès que tu prends ta voiture.
À peine as-tu intégré ton nouveau club que ton entraîneur Ron Jans démissionnait pour un incident raciste… Oui, quelques jours après mon arrivée, pour une histoire de chanson dans les vestiaires. J’ai donc pu directement sentir qu’on ne rigolait pas avec cette question. Par rapport au passé, au temps de l’esclavage et aux discriminations qui ne cessent pas depuis, alors qu’on est en 2020, il faut faire très attention à ce que tu dis ou à ce que tu fais. Avec mon ancien coach, c’est allé très vite. Des enquêteurs sont arrivés très vite sur place, il a été interrogé rapidement… Ils ne laissent rien passer, ce qui est plutôt une bonne chose vu le contexte nord-américain. En Europe, c’est différent. On aime bien se taquiner entre potes sur nos origines, se chambrer, se vanner, déconner, blaguer… On en rigole, ce qui ne veut pas dire qu’on est davantage ouvert sur le racisme. Ici, tu n’as pas le droit.
#FCCincy head coach Ron Jans has resigned: https://t.co/Ok20rOFz8L pic.twitter.com/7E5mFyY6G4
— FC Cincinnati (@fccincinnati) February 18, 2020
Est-ce qu’on évoque les émeutes de Cincinnati de 2001, intervenues après le décès de Timothy Thomas le 7 avril ? Non. J’apprends quelque chose, tu vois ! Je n’étais pas au courant, mais ça ne m’étonne pas qu’il y ait eu une grosse réaction à l’époque.
À titre personnel, comment tu vois les choses ?À l’origine, je suis favorable à cette marche. Le peuple en a marre, et on le voit : tout le monde est ensemble, tout le monde est solidaire. Les rues devant chez moi étaient vraiment pleines à la base avec des milliers et des milliers de personnes, quelles que soient leur couleur de peau ou leur race. Ça, c’est beau. Magnifique, même. Si cela avait lieu en France et que j’étais sur place, je serais le premier à manifester. Là, c’est plus compliqué de participer : je ne connais personne, je ne parle pas couramment anglais, je ne suis pas encore au courant de toutes les coutumes… Mais clairement, en France, je serais sorti avec mes amis pour marcher pacifiquement afin de combattre le racisme.
Propos recueillis par Florian Cadu