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Adrien Rabiot, libre et ego
L’annonce fait grand bruit en ce milieu de semaine : Adrien Rabiot, non sélectionné dans le groupe des 23 de l’équipe de France, ne veut pas être suppléant. Et s’il est tentant de le taxer d’enfant gâté capricieux, c’est surtout un peu facile.
Adrien Rabiot a donc répliqué à la Rabiot. À sa non-sélection dans le groupe des 23 de l’équipe de France pour la Coupe du monde 2018 en Russie, le milieu de terrain du PSG a répondu par un refus de figurer dans la liste des suppléants entre le gardien de but de Bordeaux ou le stoppeur de Crystal Palace. Voilà qui ne va pas arranger son cas dans les médias et auprès du public, lui qui passe déjà pour l’enfant capricieux, parfois nonchalant, le bon fi-fils à sa maman, qu’on surnomme « Le Duc » , qui menacerait de quitter le PSG si on ne lui offrait pas assez de considération, etc.
Qu’on la comprenne ou pas, qu’on soit d’accord ou non, son éviction des 23 par Didier Deschamps s’entend. Elle s’explique assez simplement, même. Elle résulte aussi bien de ses réticences à jouer parfois à un autre poste qu’à celui qu’il considère être le sien, qu’à ses atermoiements malvenus sur le climat ou les conditions de jeu après un match compliqué en Bulgarie. Rabiot est avant tout victime de ses propres prestations, décevantes donc, avec le onze de l’équipe de France les rares fois où il a pu s’exprimer, quand, dans le même temps, Corentin Tolisso s’imposait avec fracas et que Steven Nzonzi s’intégrait au groupe sans faire de vague. Comme l’immense majorité des joueurs, Adrien Rabiot rêve probablement – ce n’est pas une obligation, après tout – de disputer une Coupe du monde avec son pays. Mais pas à n’importe quelle condition, visiblement. Au moins, il a le mérite de le dire. De le dire clairement : lui, Adrien Rabiot, titulaire dans le meilleur club français du moment, qui aurait certainement déjà eu du mal à être remplaçant pendant un mois, ne veut pas être le plan B du remplaçant. Il pense mériter mieux. Comme s’il n’avait pas pris la décision de Deschamps comme une invitation à se remettre en question, mais commme une provocation. Voilà pourquoi sa réaction n’est pas un caprice ; c’est un coup d’ego.
Et l’ego est à double tranchant. Il peut être le moteur des footballeurs, les sublimer. Il peut aussi les plomber, en faire des joueurs surcotés. L’ego rendrait ainsi géniaux certains joueurs, et d’autres détestables. Souvent, le palmarès et les performances suffisent à justifier l’ego. Mieux, on trouve même quelque chose de beau dans le fameux ego surdimensionné des joueurs néerlandais, quel que soit leur niveau… À l’inverse, l’histoire récente de l’équipe de France prouve, quant à elle, que les crises d’ego n’ont pas toujours dessiné les meilleures trajectoires – Cantona, Anelka, Nasri… Parce qu’on préfère toujours qu’un Bleu prenne son mal en patience, qu’il accepte sa situation, qu’il dise qu’il serait prêt à venir même pour mettre la salade dans les sandwichs, quitte à mentir et à ronger son frein sur le banc plutôt que de remettre en cause un choix, une autorité.
Depuis le début de sa carrière, Rabiot a prouvé plus d’une fois qu’il ne fallait pas trop compter sur lui pour taire ce qu’il pensait : de ses exigences, des choix de ses entraîneurs, des performances de ses coéquipiers au sortir d’un match, des traitements de faveur de Zlatan ou Neymar… On ne peut pas reprocher aux joueurs de faire de la langue de bois si c’est pour juger de façon aussi radicale ceux qui montrent du caractère et assument d’autres positions, les leurs. En refusant son statut de suppléant, il prend ainsi ses responsabilités à ses risques et périls. En connaissance de cause. Déjà, en matière d’image, il s’apprête à traverser une période délicate. Ensuite, les règlements de la FIFA auraient autorisé la FFF à sanctionner son joueur. Enfin, et surtout, Adrien Rabiot sait très bien qu’il ne reverra pas Clairefontaine tant que Didier Deschamps sera en place. Ça peut vouloir dire dans trois mois comme dans deux ans. Preuve qu’il a mesuré la portée de son acte avant d’envoyer sa petite doléance à la Fédération.
À 23 ans, avec son talent, son profil et sa progression constante, le Parisien aura encore le temps et les occasions de convaincre des sélectionneurs qu’il peut a minima faire partie d’une liste de 23. Il aura aussi le temps et les occasions de mettre peut-être un peu d’eau dans son vin, de faire des concessions sur son positionnement, de mûrir, de s’assagir, voire de se forcer à être moins borné s’il le souhaite… En attendant, les planètes commencent à s’aligner pour que s’accomplisse la prophétie : Moussa Sissoko n’est plus qu’à un forfait d’une nouvelle participation en Coupe du monde avec l’équipe de France.
Par Pierre Maturana