- Roumanie
- Retraite d'Adrian Mutu
Adrian Mutu ou le romantisme à la roumaine
Ce devait être son instant de gloire nationale. Le coup de pied qui enverrait la Roumanie en quarts de finale d’un Championnat d’Europe. Entre le triomphe et le chagrin, un obstacle : Gianluigi Buffon. Tandis qu’Adrian Mutu vient d’annoncer la fin d’une carrière marquée par la singularité et les enroulés du droit, coup de projecteur sur l’action qui le fit définitivement basculer dans la caste des romantiques. En même temps, pouvait-il en être autrement pour un joueur de Florence ?
Quelques pas d’élan. Un dernier regard vers les poteaux blancs séparés de 7 mètres 32. Une ultime respiration. Et l’échec. Ou plutôt le sauvetage impossible du bout de la semelle de Gigi Buffon, qui repousse le penalty d’Adrian Mutu. À la 81e minute de cet Italie-Roumanie (seconde journée du groupe C de l’Euro 2008), le buteur roumain sait qu’il vient de gaspiller l’une des seules chances de son pays d’entrevoir le second tour.
Pour une nation qui ne l’a disputé qu’une seule fois dans toute son histoire – quarts de finale en 2000 -, la désillusion est violente, sèche. Tout l’inverse des pupilles du malheureux qui se remplissent rapidement de souffrance et de culpabilité. Les mains sur les yeux, le regard dévasté, il ne peut qu’observer son bourreau aux cheveux gominés se faire féliciter par ses coéquipiers. À l’heure de se retirer définitivement des terrains, Adrian Mutu sait pertinemment que ces images le hanteront jusqu’à son dernier souffle. « Le football m’a brisé le cœur après ce loupé » , résumait-il récemment.
Avec des si, on refait l’Euro
Paradoxalement, à ce moment-là, l’attaquant prospère à Florence. Dans la forme de sa vie, le Roumain vient de boucler une saison à 23 pions avec la Fiorentina, ponctuée par une demi-finale de Coupe UEFA. Adulé par les tifosi de la formation viola qui le surnomment « Il Fenomeno » , Mutu est loin de ses déboires avec la justice (suite à son contrôle positif à la cocaïne en 2004) et sportifs, avec la Juve notamment. C’est donc avec une confiance optimale qu’il rejoint le tandem suisso-autrichien avec sa sélection pour y disputer l’Euro. Seulement, le tirage au sort ne laisse que très peu d’espoirs aux siens. Dans le groupe des deux finalistes du dernier Mondial et des Pays-Bas, la Roumanie apparaît légitimement comme l’outsider.
9 juin 2008. Pour sa première rencontre, les hommes de Victor Pițurcă accrochent des Bleus sans imagination ni envie, 0-0. Le lendemain, les Oranje marchent sur l’Italie de Roberto Donadoni (3-0). De bon augure pour Cristian Chivu et ses coéquipiers qui affrontent la Nazionale au match suivant. Dans une partie ouverte et engagée, les Roumains posent de sérieux problèmes aux champions du monde. Si bien que Mutu ouvre la marque peu avant l’heure de jeu suite à une grossière erreur de Zambrotta. Le plus dur de fait ? Pas tellement, puisque Christian Panucci égalise dans la foulée. Avant que l’épisode tragique de la 81e minute ne bouleverse tout. De fait, avec ce but qui aurait sans doute permis aux « Tricolorii » de prendre les 3 points, la Roumanie aurait eu 4 points en 2 matchs. Et se serait donc qualifiée pour les quarts de finale de la compète, sauf en cas de large victoire française face aux Néerlandais.
« Mutu a été ange et démon »
« Je suis plus déçu par la manière dont nous avons pris le but que par le penalty raté. J’ai dit à Adrian de frapper en force… Peut-être a-t-il été impressionné par Buffon, l’un des plus grands gardiens au monde. » En tentant d’expliquer l’échec de son attaquant star, le sélectionneur roumain marque un point : Gigi est l’un des tout meilleurs. D’autant que Mutu a pu s’en apercevoir durant son passage à la Juve. Toujours est-il que chez lui, la désillusion a déjà été acceptée. « Mutu a été ange et démon » , titre Evenimentul Zilei, l’un des quotidiens roumains les plus importants. « Je m’excuse pour le penalty manqué et prendrai ma revanche contre les Pays-Bas » , annonce-t-il haut et fort au sortir de sa déconvenue. Contre les Bataves justement, Mutu et sa bande ne font guère le poids. Défaits tranquillement 2-0, ils échouent aux portes du bonheur, tandis que l’Italie, vainqueur 2-0 des Bleus, se qualifie.
Encore aujourd’hui, il n’a pu tourner la page. « Si nous avions gagné ce match, nous aurions eu de bonnes chances de nous sortir de ce groupe de la mort, confessait le néo-retraité à Four Four Two en janvier dernier. C’est comme si j’avais laissé tomber tous mes coéquipiers. Pendant des mois et des mois, j’ai rêvé que je rejouais ce moment. » Fatalement, cette rencontre est à l’image de sa carrière. Faite de hauts et de bas, de scandales et de génie, mais tristement romantique pour celui qui a choisi de finir sa carrière au bled. À défaut d’avoir pu emmener ses copains au second tour, Adrian Mutu peut se targuer d’être co-meilleur buteur de l’histoire de sa patrie, avec la légende Gheorghe Hagi (35 buts). En près de deux fois moins de sélections.
Par Eddy Serres