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Adlan Shishkanov, l’ombre de Ventspils
Aux manettes du FK Ventspils depuis moins d'un an, Adlan Shishkanov est devenu en peu de temps une figure du football letton. Business opaque, liens étroits avec des repris de justice et indésirable en Moldavie pour des soupçons de matchs truqués, l’homme d’affaires russe de 44 ans est loin, très loin de coller à l'image du président de club modèle. Voilà à qui se frotte les Girondins de Bordeaux pour leur entrée en Europa League (16h45).
Il y a une semaine jour pour jour, le FK Ventspils, actuel second du championnat letton, décrochait officiellement son ticket pour affronter les Girondins de Bordeaux lors du deuxième tour de la Ligue Europa. Sur le papier, la qualification face aux Albanais du Luftëtari Gjirokastër ne souffre d’aucune contestation possible : une facile victoire 5-0 à domicile lors de la première manche, suivie d’un nul 3-3 en Albanie histoire de terminer le travail. Jusqu’ici, tout va bien. Tout se serait même goupillé normalement si, lors de cette deuxième manche à l’Elsaban Arena, l’égalisation du FKV dans les toutes dernières secondes du match n’avait pas soulevé de par sa facilité, de nouveaux soupçons de matchs truqués concernant des formations albanaises ou lettones. Cette année, le club albanais de Skënderbeu a été exclu dix ans de toutes compétitions européennes par l’UEFA pour avoir truqué une cinquantaine de matches. Cinq ans plus tôt, l’instance européenne avait ouvert une enquête autour d’un match du club letton de Daugava, qui avait réussi l’exploit d’encaisser sept buts en une mi-temps face aux Suédois d’Elfsborg en tour préliminaire de Ligue des Champions. Des antécédents exacerbés dans le cas de Ventspils par la présence de l’homme qui en est à sa tête : Adlan Shishkanov.
This is Ventspils equalizer in the 92nd minute. Just take a look how easily Luftetari players are giving the ball away… What a shame! pic.twitter.com/9et4mTejoT
— Mario (@XhavaraM) 19 juillet 2018
Bâtiment, pétrole et fourrure
Né en 1978 en Ingouchie, dans l’une des Républiques du Caucase du Nord, Shishkanov a fait fortune en rachetant des entreprises chimiques au Kazakhstan au milieu des années 2000 tout en étant co-propriétaire de nombreuses entreprises du bâtiment mais dans le secteur pétrolier, de la pub’ et même de la fourrure d’après le journaliste allemand Jürgen Roth. En 2006, il est à la tête d’une société enregistrée à Chypre qui possède le même numéro de téléphone qu’une banque russe gérée alors par un certain Michael Osmanovich… Shishkanov. Interrogé à l’époque par le journal russe Novaya Gazeta sur cette étonnante corrélation, aucun commentaire n’avait été fait par les dirigeants de la banque, même chose du côté de Shishkanov. En parallèle de ses activités, le businessman commence à pénétrer le milieu du football en Moldavie au Dacia Chisinau. Si sur le rectangle vert, son club remporte le titre de champion en 2011 et passe une tête de temps à autre lors des joutes européennes, Shishkanov continue de prospecter pour acquérir des parts dans d’autres clubs du Vieux Continent.
Dès 2007, il échoue dans son entreprise avec le club allemand du Carl Zeiss Iéna en partie à cause de son engagement avec le Dacia Chisinau, la législation allemande voulant éviter d’éventuels transferts de fonds entre les deux entités. S’il trouve enfin la perle rare onze ans plus tard avec le FK Ventspils, sa découverte tombe à pic alors que la pression autour de lui se fait de plus en plus pressante : « Il avait des problèmes en Moldavie. Il n’y était plus le bienvenu. C’est pourquoi il s’est mis à chercher un nouveau club. Comme la Moldavie et la Lettonie ont en commun une histoire postsoviétique et des liens avec les hommes d’affaires russes, ce n’est pas une grande surprise de le voir travailler au FK Ventspils » , résume le journaliste letton Ilja Polakovs au site Footballski.
Preuve que Shishkanov avait senti le coup, lui qui se fait alors de plus en plus rare en Moldavie, la police anti-corruption fait irruption dans les vestiaires de son club en 2015 en marge d’une rencontre entre le Dacia Chisinau et le Dinamo-Auto Tiraspol. Douze joueurs sont alors arrêtés, les autorités moldaves soupçonnant Shishkanov d’avoir des intérêts au Dinamo à qui il prêtait régulièrement des joueurs en provenance du Dacia Chisinau. Premier avertissement.
Le football selon Shishkanov
Deux ans plus tard, Shishkanov annonce son départ officiel du Dacia Chisinau. L’homme aux cheveux grisonnants déclare alors : « Je remercie tous ceux qui ont été avec moi pendant toutes ces années. Ma décision de quitter l’équipe signifie que je refuse de participer à toutes les choses douteuses qui sont normales pour le football moldave. J’ai souvent dû faire face à de nombreuses injustices. J’ai décidé d’arrêter ici. Je suis fatigué de dépenser de l’argent, des nerfs et du temps. » Des actes douteux, pourtant, Adlan Shishkanov a décidé d’en reproduire dès son arrivée en Lettonie. Dix joueurs du club de Ventspils sont libérés, tandis que d’autres « quittent le club de peur de ternir leur réputation, et de voir le club devenir un outil pour truquer des matchs » poursuit Polakovs.
Dans ses valises, Shishkanov décide d’emmener quatre joueurs de Chisinau et même de nommer un entraîneur des gardiens condamné par le passé pour matchs truqués. Si toutes ces indications ne donnent pas une belle image du monsieur, ses choix sportifs ne sont pas pour autant dénués de sens, loin de là. À la tête de sa formation, il a décidé d’y propulser l’ancien joueur éphémère du FC Séville Dejan Vukićević qui, à l’heure actuelle, a placé le FKV à la seconde place du championnat. La forme est là : Ventspils est invaincu depuis cinq rencontres toutes compétitions confondues et tourne à plus trois buts par match en moyenne sur cette période. De quoi donner une vraie bonne raison à Bordeaux de se méfier de son club, plus que de lui-même.
Par Andrea Chazy