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Ada Hegerberg : « La femme sportive n’est pas encore bien comprise dans la société actuelle »

Propos recueillis par Bruno Ahoyo
6 minutes

Ada Hegerberg est de retour. Encore. Après une énième blessure, la fabuleuse Norvégienne a profité de sa titularisation chez le Paris FC ce week-end pour fêter son retour à la compétition par un doublé et une victoire. La star de l'OL revient sur la Coupe du monde ratée de la Norvège, le harcèlement en ligne, le harcèlement tout court. Bref, elle parle.

Ada Hegerberg : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>La femme sportive n’est pas encore bien comprise dans la société actuelle »

Comment te sens-tu après cette belle victoire dimanche et ton doublé au stade Charléty contre le Paris FC (1-6) ?

Je me sens bien ! Bien personnellement, bien dans l’équipe, et notre collectif tourne bien aussi. La joie des filles est révélatrice : on voulait venir faire un bon match à Paris, on l’a fait, et je pense qu’on ne peut que s’améliorer. C’est un peu chiant de le dire après une victoire avec un tel score, mais on doit être exigeantes avec nous-mêmes. Oui, on a encore des points d’amélioration.

Comment vis-tu ton début de saison et comment retrouves-tu tes sensations ?

Je me sens de mieux en mieux. Ça m’a fait du bien d’être à nouveau titulaire ce dimanche soir, ça me donne plus de rythme. J’ai été patiente pour retrouver le onze de départ, je ne vois que du positif pour la suite.

Ta dernière saison n’a pas été simple. Comment l’as-tu vécue ?

Je dirais même que ce sont carrément les dernières années qui n’ont pas été simples pour moi. Mais je me suis battue, j’ai trouvé les solutions pour guérir. Ça a été particulièrement compliqué parce que quand tu es une femme sportive de haut niveau et que tu as des problèmes de santé, il n’y a pour le moment pas beaucoup d’expertise. Mais nous sommes vraiment allés au bout du problème. À chaque souci physique, je me suis battue et je suis revenue à un bon niveau. Je pense que ça y est, ma saison est lancée avec cette première titularisation.

La Coupe du monde 2023 a été pénible pour la Norvège, qui a perdu contre la Nouvelle-Zélande dans le match d’ouverture, avant de se faire éliminer en huitièmes de finale par le Japon. Et pour toi en particulier, puisque tu t’es blessée juste avant le deuxième match face à la Suisse…

Elle n’a été bonne ni pour l’équipe ni pour moi. Nous sommes dans une période difficile avec la sélection, on ne va pas s’en cacher. Il faut qu’on soit honnêtes avec nous-mêmes. C’est aussi à la fédération de prendre des décisions pour avoir une vision claire de la suite. Il y a beaucoup de travail à faire dans le groupe, mais aussi du côté de la fédération.

Pourquoi ça n’a pas fonctionné avec Hege Riise, l’ancienne sélectionneuse ?

Déjà, il y a trop de choses du vestiaire qui sont sorties dans la presse. Ce n’est pas une excuse, qu’on se comprenne bien. Mais quand tu es dans un groupe, la moindre des choses que tu attends, c’est que les problèmes, les dissensions restent dans le vestiaire. Il va donc falloir travailler à mettre en place une vraie culture du groupe. Quel que soit le sélectionneur. Après, c’est encore une fois un travail collectif : là, c’est Hege Riise qui en a fait les frais, car les résultats ont été mauvais. Maintenant, il va falloir se poser les bonnes questions pour savoir où on veut aller. Les décisions qui vont être prises à l’avenir par la fédération vont être cruciales pour les prochaines années.

Quel est ton regard sur ce qu’ont vécu les championnes du monde espagnoles, dont le titre a été éclipsé par le baiser forcé du président de la fédé Luis Rubiales à Jenni Hermoso ?

Malheureusement, c’est partout pareil. Il y a vraiment toute une culture à changer. Chaque groupe de joueuses rencontre ce genre de difficultés. Tu peux demander à n’importe quelle joueuse internationale, on partage les mêmes expériences. Hélas.

Tu as été harcelée sur les réseaux sociaux à la sortie d’EA SPORTS FC 24 (le successeur de FIFA), qui a décidé de mêler les filles et les garçons, à cause d’un bug sur ton avatar. Comment as-tu vécu cette période ?

Pfff… C’est juste de la bêtise. J’ai vu un message d’insultes assez violent, j’en ai parlé à mes agents, ils se sont occupés du reste, je n’y ai vraiment pas trop fait attention, à part ce message que j’ai affiché sur mon compte tellement je le trouvais ridicule. Ça m’a juste un peu étonnée qu’EA Sports mette autant de temps à régler le problème.

Les réseaux sociaux étaient censés permettre de rapprocher les athlètes de leur public, et on finit par toutes et tous se faire violemment insulter pour des jeux vidéo ou parce que l’on a loupé un but.

Ada Hegerberg

Ce harcèlement était bien sûr inapproprié, mais finalement, n’est-il pas là pour rappeler la place médiatique que prend désormais le football pratiqué par les femmes ?

En fait, ce harcèlement est inapproprié pour tout le monde, dans le foot masculin, les autres sports… Bien sûr, c’est accentué par le fait que nous sommes plus médiatisées et donc il nous arrive ce qui arrive à énormément de joueurs masculins depuis des années, mais on n’insulte pas quelqu’un gratuitement comme ça, quel qu’il soit. Les réseaux sociaux étaient censés permettre de rapprocher les athlètes de leur public, et on finit par toutes et tous se faire violemment insulter pour des jeux vidéo ou parce que l’on a loupé un but. Je tiens cependant à dire que j’ai eu beaucoup de messages sympas, et que je pense bénéficier d’une certaine bienveillance malgré les périodes difficiles que j’ai pu traverser. C’était vraiment la première fois que je voyais une vague d’insultes m’arriver dessus. Tout n’est pas à jeter non plus.

Dans le documentaire Nothing Stops Us produit par le club de Chelsea, on entend Fran Kirby expliquer qu’elle garde un pull sur elle car on la traite de « grosse » sur les réseaux sociaux. Il y a aussi un vrai phénomène de body shaming et une phobie des glucides chez certaines joueuses à cause de ce type de harcèlement. Que penses-tu de tout ça ?

On pourrait en parler des heures. C’est un sujet très difficile, on l’a toutes plus ou moins vécu à des degrés différents. Nos corps sont différents, on fonctionne différemment. Il y a eu pendant un temps cette phobie de la masse grasse où il fallait être le plus fit possible, or une femme doit être entre 17 et 19% de masse grasse minimum pour être équilibrée et pouvoir performer. C’est beaucoup plus qu’un homme, mais c’est nécessaire pour nous, sinon notre corps se met en mode survie et le risque de blessure explose. Je pense que la femme, psychologiquement et physiologiquement, n’est pas encore bien comprise dans la société actuelle. Alors la femme sportive… Cela mettra du temps à changer, mais si c’est déjà le cas dans la prise en charge des athlètes féminines, que nos entraînements et notre encadrement sont adaptés à notre physiologie particulière, cela sera déjà pas mal. Pour les réseaux et l’opinion publique, il faudra attendre un peu malheureusement.

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Propos recueillis par Bruno Ahoyo

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