- C1
- Gr. A
- Bruges-PSG
Achraf Hakimi, latéral sans frontières
À seulement 22 ans, Achraf Hakimi, international marocain né à Madrid, a déjà joué en Espagne, en Allemagne, en Italie et vient de rejoindre la France, où il s’est immédiatement imposé comme le chaînon manquant du Paris Saint-Germain. Une expérience déjà folle pour son jeune âge et une jolie salade de drapeaux qui, combinées ensemble, ont participé à forger un joueur aussi complet que son CV le suggère.
Rabie Takassa se souviendra longtemps de son été 2018. Si ce scout de la Fédération royale marocaine de football (FRMF) en Espagne partage logiquement le plus clair de son temps des deux côtés du détroit de Gibraltar, c’est cette fois les tribunes de Russie qu’il arpente. Pour y voir les Lions de l’Atlas disputer la Coupe du monde, bien entendu, mais en particulier l’un d’eux : Achraf Hakimi. Cinq ans plus tôt, Rabie était encore employé dans une société d’informatique et tuait le temps en surveillant d’un œil amoureux les joueurs marocains qui évoluaient aux quatre coins de l’Europe. « Je les considère comme des ambassadeurs du Maroc », justifie-t-il. C’est à ce moment qu’il entend parler de ce latéral droit au pied de velours et au souffle intarissable, qui officiait alors pour les jeunes du Real Madrid. Le coup de foudre est immédiat. « J’ai décidé d’aller le rencontrer en Espagne, et je lui ai parlé de l’équipe nationale du Maroc, les U17 à l’époque. Je ne travaillais pas encore à la fédération, mais j’y avais des contacts. Alors je leur parlais d’Achraf. » Un gamin avec qui il avait fixé ses premiers rendez-vous lorsque celui-ci avec 15 piges au compteur, sans s’imaginer alors qu’ils les mèneraient jusqu’ici. « Voir un joueur que tu as commencé à suivre dès petit à la Coupe du monde, le voir défendre les couleurs de ton pays… c’est une sensation exceptionnelle. »
Marocain de sang, Espagnol du sol
À seulement 22 ans, non content d’avoir déjà disputé une Coupe du monde avec son pays, Achraf Hakimi a déjà défendu les couleurs du Real Madrid, du Borussia Dortmund, de l’Inter Milan et, depuis cet été, du Paris Saint-Germain. Un itinéraire de globe-trotter inscrit dans son ADN : Marocain de maillot, Achraf Hakimi est pourtant un véritable Espagnol du sol. Né à Madrid le 4 novembre 1998, ce qui n’en fait l’aîné de son nouveau meilleur pote Kylian Mbappé que d’une cinquantaine de jours, le petit Achraf a vécu tout le début de sa vie de l’autre côté des Pyrénées. C’est là où ses parents, tous les deux marocains, ont migré au début des années 1990. Le père est vendeur ambulant sur des marchés, la mère fait des petits travaux domestiques chez des familles espagnoles. À la maison, avec ses parents, son frère et sa sœur, le jeune Achraf bafouille un arabe qu’il a, selon Takassa, « du mal à capter ». Lui se sent plus à l’aise à causer en espagnol, surtout sur un terrain de football.
Joueur du Real Madrid depuis ses années cour de récréation, il joue pour toutes les équipes de jeunes avant d’intégrer le Castilla, en 2016. « C’était le plus jeune du groupe, mais sur le terrain, on était loin d’avoir cette impression, se souvient Nikólaos Vérgos, l’un de ses camarades de promo. Quand vous êtes le plus jeune d’une équipe comme le Castilla, mais que le coach vous met comme chef d’équipe aux entraînements et qu’il vous fait jouer tous les matchs, c’est qu’il a décelé chez vous un truc en plus. » Un « truc » qui ne met pas longtemps à devenir évidence : à son poste, Achraf Hakimi est une flèche. Latéral droit depuis toujours, il est pourtant le premier fer de lance offensif de son équipe. « En étant un peu réducteur, je dirais qu’Achraf n’aime qu’attaquer, se marre son ancien sélectionneur Hervé Renard, qui s’est pris d’une grosse affection pour le garçon lors de son passage à la tête des Lions de l’Atlas. Il est capable de bien défendre, mais ce n’est pas sa priorité. Lui, ce qu’il veut, c’est attaquer, attaquer, attaquer. C’est l’esprit espagnol. »
Photos de famille, des centaines de messages et une petite bombe
Malgré l’hispanité que Renard décèle si clairement dans son attirance vers le but adverse, Achraf Hakimi tient avec l’Espagne une relation footballistique distante. Avec la sélection, d’abord, qu’il balaye d’un revers de main pour représenter son pays d’origine, même en n’y étant pas né. En juin 2013, un premier rendez-vous avec les U17 marocains est manqué, parce que Hakimi a des examens scolaires à passer au moment du rassemblement. Ce n’est finalement qu’en 2015 qu’il honore sa première sélection avec les U20 vert et rouge. « Entre 2013 et 2015, il m’envoyait des centaines de messages pour me demander « Quand est-ce qu’ils vont me convoquer ? » se souvient Rabie Takassa. Il a toujours voulu représenter le Maroc. Sa famille est marocaine, ses parents sont très attachés au Maroc et, lui, très attaché à sa famille. » Níkos Vérgos se souvient même d’un Hakimi qui « passait son temps à regarder des photos de famille dans le vestiaire, avant les entraînements ou les matchs, avant de se mettre à sourire tout seul ». Le choix est simple : c’est celui du cœur, et « son cœur est marocain », assure Rabie Takassa, même si l’Espagne a bien tenté de le rattraper avant qu’il ne soit trop tard : « Ils l’ont convoqué avec les U18, vers 2017, se souvient le scout. Il a fait un match avec eux, il m’a dit : « Juste pour essayer, voir comment ça se passe là-bas. » Mais après, on a bien discuté avec lui, avec Nasser Larguet(à l’époque directeur technique national du Maroc, NDLR), et il a décidé de continuer avec le Maroc. Dès son deuxième stage, il était capitaine des U20… L’Espagne l’a recontacté, mais il a systématiquement rejeté leurs convocations. »
En sélection, Hakimi rejette l’Espagne. Mais en club, c’est l’Espagne qui le repousse. Lorsque Hervé Renard fait appel pour la première fois à Hakimi avec les A en sélection marocaine à l’automne 2017, le gamin n’a même pas encore soufflé sa dix-neuvième bougie ni honoré sa première cape en pro avec son club formateur. Il faut dire qu’à l’époque, les postes de latéraux, s’il peut évoluer aux deux, sont squattés au Real par Carvajal et Marcelo, au sommet de leur art. « J’avais appelé Zidane au moment où il est arrivé, et il m’avait dit que malgré son potentiel, il était encore un peu trop tôt pour jouer avec eux », raconte Lucien Favre, son entraîneur au Borussia Dortmund, qui en a bien profité, puisque c’est sous ses ordres qu’Achraf Hakimi explosera lors de son prêt chez les Schwarz-Gelben entre 2018 et 2020. Avec sa vitesse de Formule 1 lancée en pleine ligne droite, le jeune et pétillant Hakimi fout rapidement au placard le vieillissant Łukasz Piszczek, taulier du poste depuis des années. « Il s’est rapidement imposé comme un joueur-clé de l’équipe, c’était incontestable pour nous de jouer avec lui, détaille Favre. Il y avait des petites choses à corriger défensivement, mais c’est normal, il avait 19 ans ! Moi, quand j’avais 18 ans, il ne fallait pas me parler de défense.(Rires.) » Le Suisse se souvient notamment d’un match particulièrement marquant contre l’Inter, en Ligue des champions. Mené 2-0 à la pause, le BvB retourne les Nerazzurri en deuxième période, notamment grâce à un doublé de son latéral droit : « C’était une bombe sur le terrain. Lui et Sancho ont fait toute la différence. Quand il est en confiance comme ça, il est inarrêtable. »
L’école Conte, les buts et les faux maillots
En Allemagne, deux saisons durant, Achraf Hakimi se plie à la rigueur défensive d’une équipe teutonne qui évolue le plus souvent dans un système à quatre défenseurs. Puis, quand arrive la fin de son prêt et que le Real souhaite capitaliser sur son crack, un monde d’opportunités s’ouvre à lui. Et surtout celle de travailler avec un homme. « Il m’avait demandé si l’Inter Milan était un bon choix, replace Hervé Renard. Je lui ai dit : « Travailler avec Antonio Conte, c’est fabuleux pour toi, il va te faire progresser sur des petites choses que tu ne maîtrises pas encore à la perfection. » Je pense qu’un an à l’école Conte, ça lui a fait du bien. » Le technicien italien et son amour des pistons vont refaire d’Achraf Hakimi une arme offensive redoutable, sur un côté droit qu’il connaît comme sa poche. « Il a, selon moi, réalisé sa meilleure saison l’an dernier à l’Inter et cette faculté à devenir un attaquant supplémentaire pour son équipe a fait une grosse différence dans son évolution et pour le regard de son coach, analyse son pote grec Nikólaos Vérgos. Sa faculté à marquer des buts, ça a changé sa carrière. » D’ailleurs, c’est un truc qu’il n’a jamais caché travailler. Hervé Renard se souvient avec un grand sourire : « À la fin des entraînements, quand les attaquants travaillent devant le but, il venait toujours et il disait : « Moi, je suis un attaquant, moi ! » (Rires.) « Attaquante », avec son accent espagnol ! Il est là, et en toute sincérité, il marque autant que les attaquants. »
Lorsqu’il va le chercher pour 60 millions d’euros à l’intersaison, le Paris Saint-Germain sait qu’il tient en Achraf Hakimi une denrée rare. Déjà parce que les latéraux droits de classe mondiale ne courent pas les rues. Ensuite, et surtout, parce que celui-ci est un gamin qui, à 22 ans, parle déjà tous les footballs couramment, pour s’être nourri d’expériences très diverses de l’Espagne au Maroc, de l’Italie à Allemagne. « Sa vitesse lui fait rattraper beaucoup de coups défensifs, mais il va falloir qu’il soit encore un peu plus rigoureux, estime Renard. Il a été très bon en attaquant dans un système avec trois défenseurs centraux, alors s’il arrive à maîtriser avec seulement deux centraux à couvrir son flanc droit, comme il le fait actuellement en Ligue 1, il va devenir, s’il ne l’est pas déjà, le meilleur latéral droit du monde. Il va encore franchir une étape en touchant au très, très haut niveau, au contact des meilleurs joueurs du monde. »
Finalement, Achraf Hakimi semble autant permettre au PSG de franchir un palier que l’inverse. Et ce, à tous les niveaux. « Au Maroc, c’est devenu une star mondiale, pose Rabie Takassa. J’y ai passé deux mois cet été, depuis sa signature avec le PSG, tous les jours j’ai vu des dizaines de gamins avec le maillot de Hakimi. Bon, ce sont des faux(rires), mais je n’ai jamais vu autant de Marocains avec le maillot d’un joueur marocain. » Malgré tout l’engouement qu’il provoque, l’enthousiasme des Parisiens qui s’extasient à chacune de ses percées côté droit, chacun de ses centres millimétrés ou à la moindre célébration personnalisée avec Mbappé, lui reste calme. « Le connaissant, le business et tout le reste, il n’en a rien à faire, il est venu jouer au football, progresser et vivre sa meilleure vie, lâche Nikólaos Vérgos. Le reste, très peu pour lui. Quand je le regarde, j’ai l’impression de voir un mec de quartier, qui joue au football avec ses potes. » Hervé Renard confirme : « Lui, il est tranquille, sûr de sa force. Il ne laisse paraître aucun doute. La pression glisse complètement sur lui. C’est la force des plus grands, ne pas se laisser annihiler par les événements, et se sublimer avec. Lui, je pense qu’il aurait envie de jouer un match de Ligue des champions toutes les semaines. » Ça tombe bien, au PSG, c’est un peu tout ce qui compte.
Par Alexandre Aflalo et Adel Bentaha