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Accord LFP-CVC : le grand aveuglement des présidents
Ce jeudi 23 novembre, une assemblée générale de la LFP doit remettre l'accord avec CVC à l'ordre du jour pour un nouveau vote. Moins de deux ans après son annonce, ce deal laisse planer une interrogation : comment les présidents ont-ils pu ne pas prendre conscience des enjeux sur le long terme ?
Après plus de dix jours de trêve internationale, les aficionados de la Ligue 1, aussi triste soit-elle ces derniers temps, trépignent d’impatience à l’idée de retrouver leur feuilleton préféré avec un alléchant PSG-Monaco. C’est pourtant la veille, le jeudi, que devrait se jouer une partie bien plus importante pour l’avenir du football français. Ce 23 novembre doit se tenir une assemblée générale de la LFP. Celle-ci devait avoir lieu le mois prochain, mais elle a été avancée par l’instance, qui a même dû modifier son ordre du jour à la suite des deux assignations du Havre devant le tribunal judiciaire de Paris en octobre. Le club doyen conteste le deal conclu avec CVC (1,5 milliard d’euros contre 13 % à vie des recettes de la société commerciale de la LFP) et demande la suspension du dispositif d’aide, dont la dernière tranche doit être versée l’année prochaine aux clubs concernés. En avril 2022, Vincent Labrune et les clubs professionnels avaient fait péter le champagne après l’annonce de l’accord (voté à l’unanimité, sauf par Nancy et Toulouse, qui s’étaient abstenus) : le foot hexagonal était sauvé, la crise Mediapro était derrière lui. Moins de deux ans plus tard, l’argent est en partie tombé dans certaines poches, mais CVC ressemble davantage à un piège qu’à un miracle. Christophe Bouchet parlait récemment d’un « accord mortifère » pour notre football, ses clubs et ses dirigeants, alors que ces derniers vont devoir à nouveau voter pour que le deal puisse être juridiquement sécurisé par la Ligue. Une question apparaît en filigrane à l’aube de ce nouveau tournant : les présidents avaient-ils bien conscience de la voie dans laquelle ils s’engageaient ?
Il serait peut-être exagéré d’écrire que le sujet est tabou, mais il est délicat à aborder avec les principaux intéressés. Plusieurs présidents de clubs de Ligue 1 contactés ont refusé de répondre, d’autres sont tout simplement restés silencieux, sans donner plus d’explications. Il se murmure d’ailleurs que Vincent Labrune aurait conseillé de ne pas aborder le cas CVC dans les médias. Il faut revenir au printemps 2022 pour comprendre comment et pourquoi ce drôle de deal a pu voir le jour. C’est une histoire de contexte, d’abord. Celui d’une crise économique inédite provoquée par le fiasco Mediapro, puis la pandémie (cette dernière a cependant été bien amortie grâce aux aides de l’État). L’heure était grave, le foot français courait à sa perte, et Labrune, président de la LFP depuis septembre 2020, avait la solution à tous les problèmes des clubs professionnels : créer une société commerciale affiliée à l’instance et s’acoquiner avec le fonds d’investissement luxembourgeois. « À l’époque, ça s’était fait dans l’urgence, il y avait un vent de panique au niveau de l’ensemble des clubs professionnels, rembobine Olivier Delcourt, président de Dijon, aujourd’hui en National. On s’est retrouvés devant le fait accompli. Quand ça se fait vite, ce n’est jamais bien. »
L’assemblée générale du 1er avril 2022 l’illustre à merveille. Alors qu’il était initialement question de plusieurs fonds d’investissement, seul CVC est présenté aux dirigeants, au cours d’une visioconférence… à 80 participants. Pas vraiment idéal pour présenter le plan de sauvetage du football français, ni pour engager un débat constructif. Il fallait voter vite, il n’y avait pas le choix, c’est en tout cas ce que laissait entendre Labrune, selon un témoin. Tout cela se faisait dans l’intérêt général du football français. Aujourd’hui, l’accord avec CVC ne semble plus si rose, et certains ont des regrets. « J’avais exprimé de façon claire mon opposition de principe à l’entrée d’un fonds, mais compte tenu de la situation catastrophique du football français, j’ai considéré qu’il n’y avait pas d’alternative. J’ai donné mon accord à regret, en prenant en compte le fait que le fiasco Mediapro avait fait beaucoup de dégâts, assume Pierre Ferracci, le boss du Paris FC. Il fallait en passer par là. Contraint et forcé, j’ai accepté l’entrée de CVC. Comme la plupart des présidents. »
Quand le milliard et demi aveugle les présidents
Comment expliquer que des patrons de clubs, entourés de multiples conseillers, aient pu passer à côté des subtilités de cet accord ? Comment ont-ils pu ne pas prendre conscience des enjeux à long terme de ce deal de base ? Ils sont plusieurs à avoir découvert plus tard que l’accord de CVC avec LaLiga (apport de 2 milliards contre 8% des recettes sur 50 ans, sans les droits du Real Madrid, du FC Barcelone et de l’Athletic Club) était bien plus avantageux que celui conclu avec la LFP (13% des parts et aucune limitation de durée). « Ils n’ont pas regardé ce pour quoi ils votaient, révèle ce même témoin, sous couvert d’anonymat. Ils n’y comprennent rien. Même si on leur filait un dossier de 50 pages, ils n’arriveraient pas à comprendre. Donc ils suivent Vincent. Il est très fort, il les fait se sentir importants, les emmène au resto, en soirée… Ils ont l’impression d’exister. Je vous garantis qu’il y a 80% des présidents qui ont voté qui ne savaient même pas de quoi on parlait. » Le pourcentage est sans doute approximatif, mais il ne semble pas farfelu.
Pierre Ferracci confirme : « Je pense que la plupart des présidents n’ont pas eu conscience qu’il s’agissait d’un prélèvement régulier. Ce n’est pas tout à fait la même chose que des dividendes liés à des actions que l’on possède. Il y a sans doute eu une ambiguïté là-dessus. De même, je ne suis pas sûr que les dirigeants de Ligue 1 aient compris qu’il allait y avoir un rattrapage des sommes dues en 2024. Donc on parle d’un premier prélèvement qui serait plutôt de l’ordre de 30% que de 13%. Ça, ça risque de faire mal. » Son homologue de Dijon, Olivier Delcourt, est honnête : « Vu la rapidité à laquelle les choses se sont faites, je n’avais pas fait attention à toutes ces choses-là. » Une situation franchement lunaire, quand on sait que ces clubs brassent des dizaines ou des centaines de millions d’euros, et que certains présidents sont des hommes d’affaires aguerris, à l’instar de Pierre Ferracci. « Pour en avoir discuté avec eux, bon nombre de présidents ont eu le même réflexe que moi : ils prennent 13% du capital, mais n’ont pas eu le sentiment que c’était un prélèvement régulier sur les droits, ce qui n’est pas la même chose que de prélever sur des bénéfices, insiste-t-il. Et puis certains n’avaient peut-être pas intégré le fait que c’était une part du capital de cette importance-là. Je reconnais qu’il y avait un tel besoin, ici et là, du milliard et demi. Y compris au PSG. » Seul le très court terme comptait, le reste n’avait pas beaucoup d’importance ou n’avait surtout pas alerté la majorité des dirigeants.
Un tout petit vent de révolte
À en croire ceux qui acceptent d’en parler, les présidents ont donc validé l’accord avec CVC dans l’empressement et sans bien comprendre, au fond, ce que cela impliquait réellement. Désormais, ils sont plusieurs à s’insurger contre la répartition des montants qui en découlent. Pour rappel, si le PSG récupère 200 millions d’euros, l’OM et l’OL engrangeront 90 millions d’euros chacun, soit un peu plus que Lille, Monaco, Rennes et Nice (80 millions d’euros) et bien davantage que le reste des écuries de l’élite (33 millions d’euros). Quant aux promus, ils doivent se contenter de quelques miettes. « Nous sommes les cocus de l’histoire », s’était insurgé Jean-Michel Roussier, le président du Havre, dans un entretien paru en juin dernier dans L’Équipe. Et pour cause : en montant en Ligue 1, le club normand a empoché 1,5 million d’euros, alors qu’il en aurait eu le double s’il était resté en Ligue 2. Début 2023, Toulouse, promu quelques mois plus tôt, avait aussi entamé des actions en justice contre la LFP, l’une d’elles concernant le montant versé par CVC (une demi-part, soit 16,5 millions d’euros). « De toute façon, aujourd’hui, ce n’est plus la Ligue 1 contre la Ligue 2. C’est le haut de la Ligue 1 d’un côté, c’est-à-dire les sept ou huit équipes qui visent l’Europe, et la deuxième partie du classement de l’autre, qui a tout intérêt à s’entendre avec les clubs de Ligue 2 », constate avec lucidité Pierre Ferracci. Au printemps dernier, avant que son DFCO ne soit rétrogradé en National, Olivier Delcourt avait souhaité évoquer cette répartition avec Vincent Labrune. « Je suis allé le rencontrer à Paris, je lui ai remis un courrier en mains propres, auquel il n’a pas répondu. Je le lui ai renvoyé via mon conseil, au mois de juin, et toujours rien. La moindre des choses, ce serait quand même d’avoir des réponses », souffle le dirigeant bourguignon, amer face à tant d’opacité.
Le petit vent de révolte insufflé par le HAC a le mérite d’exister. On l’imagine mal, cependant, souffler suffisamment fort pour renverser la table ce jeudi, à l’occasion d’une assemblée générale une nouvelle fois calée précipitamment dans le calendrier… et en visioconférence, encore. « Les visios, c’est bien beau, mais à un moment donné, ça suffit, s’agace le président Delcourt, qui boycottera justement le rendez-vous parce qu’il aura lieu en distanciel. Il y a des sujets importants pour l’avenir du foot français qui nécessitent de se réunir en présentiel, pour en parler tous ensemble. » L’homme d’affaires de 56 ans a d’ailleurs cosigné un courrier écrit par Jean-Michel Roussier. Le document, que nous avons pu consulter, appelle à un report de l’AG afin « qu’elle puisse se tenir sereinement, en présentiel, et sur la base de la version finale des documents soumis à notre approbation ». Un courrier à première vue resté lettre morte. « Visiblement, l’action du HAC a mis en avant le fait que tout cela méritait d’être consolidé sur le plan juridique, remarque pour sa part Pierre Ferracci, qui sera en déplacement à Londres avec ses féminines au moment du Zoom tant attendu. On va regarder ça de plus près, et essayer de faire passer le message selon lequel tous les problèmes d’opacité et de gouvernance doivent être traités autrement. » Le président du PFC regrette néanmoins que le collège de Ligue 2 n’ait pas pu se réunir avant cette échéance importante. « Quand chacun est livré à soi-même, avec des niveaux d’information disparates, et que les choses sont précipitées, ça ne facilite pas les choix judicieux », déplore-t-il. Au vu des événements récents, impossible de lui donner tort.
Par Raphaël Brosse et Clément Gavard
Tous propos recueillis par RB et CG, sauf mentions.