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Abou Tall : « Les Lions ne miaulent pas ! »
La Coupe du monde est prompte aux révélations sur les terrains comme en dehors. Avec son freestyle Les Lions ne miaulent pas, le jeune Abou Tall a touché et ambiancé les sympathisants des Lions sénégalais. Le jeune artiste de 26 ans à la double culture vient du 9e arrondissement de Paris. L’occasion de parler football, culture et société.
Quel est ton premier souvenir avec les Lions ? Coupe du monde 2002, Papa Bouba Diop. J’étais à l’école, un pote écoutait à la radio. Je crois que c’était à 13h ou 14h. J’ai appris le score à la récré. J’ai fait la roue pour te dire… (Rires.)
Si je te dis : « Les lions ne miaulent pas. » (Rires.) Les lions ne miaulent jamais ! L’idée est venue de la qualification du Sénégal pour la Coupe du monde. Ça faisait longtemps qu’on attendait ça, depuis 2002. Ma plus belle émotion dans le foot, c’est le Sénégal qui me l’a donnée. Avant cette période, c’était plus difficile d’accès. Déjà mes parents ne regardent pas le foot. En 2002, je ne sais même plus sur quelle chaîne la CAN était diffusée. Il n’y avait pas de visibilité pour le foot africain.
Sénégal-France est donc ton match de référence ? Non, c’est Sénégal-Suède en huitièmes de finale, ma plus belle émotion dans le foot. Personne ne nous attendait. J’étais jeune, en CM2. C’était le matin, on regardait ça sur une petite télé dans la chambre avec mon frère. C’est toujours une fierté quand ton pays d’origine fait un beau parcours, surtout pour sa première qualification. On n’avait pas l’habitude de voir ça. C’est historique à l’échelle de l’Afrique.
Comment t’est venue l’inspiration de cette chanson ?Je l’ai créée il y a deux semaines. Je savais que le Sénégal était sur le point d’entrer en lice. J’ai demandé à un gars de me faire une instru avec un peu de mbalax ! (Rires.) J’ai appelé ensuite toutes mes connaissances sénégalaises. J’avais vraiment envie de faire quelque chose pour leur donner de la force. Rassembler les Sénégalais est une fierté. J’ai reçu pas mal de messages à la suite de cette musique et ça fait plaisir. Je n’ai jamais eu autant de retours pour un freestyle.
Et tes parents ?Ils ne l’ont pas écouté.
Pourquoi ? Tu sais, en tant qu’Africains, on a un rapport assez pudique. (Rires.)
Ça vaut le coup tout de même.Tu as réussi à me motiver. Je pense qu’ils seront contents, mais je n’ai pas ce réflexe.
Tes liens avec le Sénégal ? Mes deux parents sont sénégalais, ils sont nés et ont grandi là-bas. Ils sont de la Casamance, la même région que Sadio Mané ! (Rires.) J’ai vécu un peu au Sénégal, car j’ai été renvoyé au bled.
Un classique.J’ai fait quelques bêtises étant jeune, ils m’ont renvoyé à 15 ans. Généralement en étant enfant d’immigrés, la plus grande menace que tu reçois quand tu es né ici et que tu fais des bêtises c’est « on va te renvoyer au bled. » (Rires.) Je suis passé par là. C’était une punition, mais ça m’a beaucoup servi. Tu es coupé de tous tes liens, tes parents, tes amis, l’environnement est complètement différent. Tu n’as pas le même confort. Là c’est le bled, ça forge, tu apprends que tout n’est pas acquis. Quand tu es en France et que tu n’as jamais vécu là-bas, tu penses que tu peux faire ce que tu veux, quand tu veux… Ça m’a vraiment construit.
Tu supportes la France aussi ? Je supporte plus le Sénégal que la France, c’est normal, parce qu’on est une plus petite équipe. En fait, ce serait plus beau de voir le Sénégal, petite équipe gagner la Coupe du monde. S’il y a une équipe que je dois supporter et qui a besoin de ma force, c’est plus le Sénégal que la France. Je peux faire 100 000 freestyles pour les Bleus, je pense que ça changerait que dalle.
Dans ton freestyle, tu dis que tous les Africains sont derrière le Sénégal. Mythe ou réalité ? Il y a un rassemblement de l’Afrique, pas nécessairement derrière le Sénégal, même si pour cette Coupe du monde, c’est le cas. Par exemple, le Ghana en 2010, toute l’Afrique était derrière eux. Nous en tant qu’Africains, on n’a jamais gagné de Coupe du monde. J’espère de tout mon cœur que de mon vivant, je verrai une équipe du continent gagner la Coupe du monde. Ce rassemblement est légitime et normal.
Ce rassemblement se fait-il également avec les équipes du Maghreb ? Oui, je l’ai vu lors du premier match du Sénégal. Tu vois bien qu’il y a un rebeu dans mon clip. J’étais réellement pour le Maroc et pour l’Égypte quand ils jouaient. C’était vraiment un rassemblement panafricain. Il n’y avait pas le clivage Maghreb Afrique que l’on peut voir dans d’autres situations. Le foot nous rassemble.
Pourquoi ? L’Afrique est un grand continent. C’est normal qu’il y ait des divergences culturelles. Il y a des contextes dans lesquels on est unis et d’autres où on a des divergences. Avec les Rebeus, on n’a pas la même couleur, la même apparence, mais on vient tous du Tiers Monde, on est tous issus de l’immigration. Certaines choses nous unissent, d’autres nous divisent. Le foot, on l’aime tous. Ça serait une fierté commune de la remporter. Pour aller plus loin, c’est normal qu’il y ait des divergences, moi je suis sénégalais par exemple. Le Sénégal est plus proche du Maroc que du Mozambique niveau distance. Culturellement, je suis également plus proche d’un Marocain que d’un Mozambicain, de par la religion et d’autres choses.
Parfois, les fils ou petits-fils d’immigrés estiment qu’ils sont considérés comme Français au Sénégal et Sénégalais en France.Dans les deux pays, je me sens bien et chez moi. Je vois plus de choses positives quand je vais au Sénégal que de trucs négatifs. Si on me considère comme un petit toubab quand je vais là-bas, je laisse faire, ça ne m’atteint pas. Si ça se trouve, le mec qui te dit ça aurait bien aimé être à ta place. Petit, tu peux jouir d’un certain privilège quand tu vas au Sénégal en ayant ce statut de mec qui vient de France. Les gens sont la plupart du temps plus gentils avec toi.
Des joueurs sénégalais t’ont marqué ? Henri Camara, il a marqué plein de buts dont un doublé contre la Suède qui m’a apporté le plus de joie dans ma vie. C’est toute cette génération en fait. De Tony Silva jusqu’à Henri Camara. Tu avais des hommes, des guerriers, en état de grâce à chaque match et ils se battaient. Il y avait bien sûr l’incontournable El Hadji Diouf. Aujourd’hui, j’aime beaucoup M’Baye Niang depuis son passage à l’AC Milan et puis il y a Sadio Mané. Beaucoup de Sénégalais ne sont pas d’accord avec moi, mais je le considère comme le meilleur joueur de l’histoire du Sénégal. C’est le premier à aller en finale de Ligue des champions si je ne me trompe pas, et puis on vient de la même région, on est de la même génération. C’est une immense fierté. On a une équipe solide, même derrière avec Sané, Koulibaly, Kouyaté… on est vraiment crédibles.
La plus forte entre les équipes de 2002 et de 2018 ? La compétition le dira.
Tu ne veux pas te mettre les vieux tontons à dos ? (Rires.) Je dirais celle de 2002. Ils sont allés en finale de la CAN, ils ont fait quarts de finale de la Coupe du monde et il faut respecter les anciens.
Jusqu’où peut aller l’équipe actuelle ? Je signe tout de suite pour une troisième place, d’ailleurs, je me tâte à aller en Russie à partir des huitièmes.
Propos recueillis par Flavien Bories