Quels souvenirs de football gardez-vous de votre enfance et de votre jeunesse à Salé, commune populaire jouxtant la capitale, Rabbat ?
Dans mon enfance, au début des années 80, tout le monde autour de moi jouait au football. Presque tous les garçons. Même moi qui étais si peu doué et dont souvent on se moquait volontiers. J’étais un enfant efféminé, et cela m’attirait pas mal d’ennuis. Mais, malgré cela, je voulais moi aussi m’y adonner, marquer des buts, me lancer dans des slaloms sophistiqués sur le terrain. J’ai même fait partie de l’équipe de mon quartier, le Bloc 14. Cela n’a pas duré longtemps : on m’a vite remplacé… Mes souvenirs footballistiques sont marqués de passions et d’humiliations. Je voulais faire partie de ce monde, mais je n’étais pas fort. Et puis il y avait le héros du quartier : Hassan. Il était, lui, très très doué, et tout le monde disait qu’on ferait bientôt appel à lui. On le voyait aller loin. Tout le quartier le poussait, priait pour lui. Y compris moi, bien sûr…
Selon vous, quelle place et quel rôle occupent le football au Maroc ?
Le foot est de plus en plus aimé au Maroc. Il y a même aujourd’hui une passion folle – presque dangereuse – pour ce sport. Je pense qu’il est devenu plus qu’une religion. Les fins de matchs, surtout à Casablanca, donnent souvent lieu à des manifestations, des perturbations qui, de mon point de vue, ont d’abord et avant tout un sens politique. C’est une façon d’exprimer, à travers cet amour fou et bordélique pour le foot, des idées de contestation, de ras le bol… Le Maroc devient de plus en plus un pays libéral qui laisse sur la touche – sans jeu de mot – beaucoup de monde…
De tous les clubs marocains, l’un d’entre eux a-t-il malgré tout gagné votre affection ?
Celui de ma ville, Salé. C’est un club qui évoluait souvent en deuxième division. Il n’avait pas beaucoup de chance…
Et en France, une équipe de cœur ou de raison ?
J’étais brièvement amoureux d’un garçon qui vénérait le PSG. J’ai partagé sa passion durant deux mois. Et depuis, je suis un fan du PSG. Malgré moi.
Quels sont les joueurs que vous trouvez le plus séduisant quel que soit le sens de cet adjectif ?
Depuis le dernier Mondial (j’ai vu tous les matchs, bien sûr), je fonds devant le joueur colombien James Rodríguez. En plus d’être excellent sur le terrain, il est très touchant et très beau. Il a une fougue et une jeunesse qui font du bien à regarder, à admirer. Il est sexy et il le sait. Je crois aussi qu’il a de l’humour. Il a lancé une ligne de slips : j’en ai acheté deux… James Rodríguez peut être sans problème le héros d’un roman. Il l’est déjà d’une certaine façon… Je dois aussi avouer qu’il y a quelque chose de mystérieux chez l’Uruguayen Luis Suárez qui m’attire énormément.
Justement, vos livres abordent la question de l’émigration, de l’immigration et de l’altérité. Comment percevez-vous toutes ces questions dans le champ du football, notamment la vision des joueurs originaires du Maghreb ?
On a l’impression que ces joueurs sont bien intégrés dans les équipes où ils évoluent mais, régulièrement, des actes et des commentaires racistes à leur encontre surgissent et nous sidèrent absolument tous. On pose alors dans les médias des questions fausses sur tout cela. Et très vite, on oublie. On passe à autre chose. Et les questions demeurent suspendues… Le problème n’est jamais sérieusement traité.
Existe-t-il un grand roman ou un écrivain qui a réussi à vous toucher en parlant de foot ?
Albert Camus est, pour moi, un immense écrivain en qui je me reconnais complètement. Dans sa fidélité à ses origines pauvres comme dans la simplicité qu’il avait pour exprimer des choses très complexes, très abstraites parfois. Entre Pasolini et Camus, je choisirai toujours le deuxième pour jouer au football. Je conseille à tous vos lecteurs de lire son livre posthume, Le Premier Homme. Un chef-d’œuvre d’inspiration autobiographique bouleversant. Bouleversant
Que pensez-vous de la décision du Maroc au sujet de la CAN ?
J’étais contre cette décision. Les Marocains étaient très divisés.
Et pourquoi vous y opposiez-vous ?
Parce que les arguments avancés par l’État marocain, pour justifier ce refus, ne m’ont pas du tout convaincu. J’avais l’impression qu’il y avait d’autres secrets – inavouables – derrière cette décision. Comme beaucoup de Marocains, j’étais très déçu.
Sur un autre plan, vous évoquez publiquement et dans vos récits votre homosexualité, le sujet reste encore pour le moins tabou dans le football. Est-il plus dur d’être gay pour un footballeur chrétien que pour un écrivain musulman ?
Pour le coup, qu’on soit chrétien, juif, musulman ou sans religion, il me semble qu’il est encore très difficile d’être un joueur de football ouvertement homosexuel. Et c’est triste. Très triste.
–> À lire : Un Pays pour mourir de Abdellah Taïa, aux éditions Seuil
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