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Abdelkrim Branine : « Benzema était presque devenu le symbole de l’anti-France »

Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov
Abdelkrim Branine : « Benzema était presque devenu le symbole de l’anti-France »

Journaliste, ancien rédacteur en chef de Beur FM notamment, Abdelkrim Branine publie Le Petit Sultan. Un roman qui, de fait, traite de l’impact politique du football aujourd’hui en France, à travers le destin d’un jeune footballeur franco-algérien. Un récit qui résonne étrangement juste, à quelques semaines du premier tour de la présidentielle.

Ton roman raconte l’histoire d’un enfant de l’immigration qui, à travers le football, espère une ascension et une reconnaissance sociale qui lui est finalement déniée, et qui le pousse presque au repli communautaire. On y retrouve beaucoup de Karim Benzema, mais aussi de Kylian Mbappé. Est-ce que ces deux joueurs t’ont servi de modèles ?Oui, les deux. Pour Karim Benzema, je me suis inspiré de la campagne virulente qu’il a subie pendant sa mise à l’écart des Bleus. Il était presque devenu le symbole de l’anti-France après avoir été le chouchou du public. Je me souviens notamment de la manière dont Alain Delon, qui n’est pas vraiment un adepte du « wokisme », avait insisté pour avoir un court tête-à-tête avec lui après une émission. En ce qui concerne Mbappé, ça a été particulier, car il a pris une dimension supérieure pendant l’écriture du livre. Au fur et à mesure, je voyais des convergences entre son attitude et celle du personnage de mon roman. La réalité est venue en quelque sorte rattraper la fiction. J’espère d’ailleurs avoir l’occasion de leur faire découvrir ce livre, à tous les deux !

Je voulais raconter (une affaire comme celle de Knysna) du point de vue d’un jeune footballeur héritier de l’immigration. Décrire le processus qui aboutit à un tel fiasco, la vague d’indignation que ce garçon doit affronter, puis les conséquences sur sa vie.

Les questions d’immigration, d’intégration, d’identité sont centrales dans le roman. Le football est-il devenu le meilleur « sujet » pour les aborder aujourd’hui, y compris par la fiction ?On entend régulièrement dire que le football est un miroir grossissant de la société. Ce sport s’est presque imposé à moi comme une toile de fond lorsque j’ai voulu aborder ces questions sensibles. La grève de Knysna et ses répercussions politiques m’ont beaucoup inspiré. J’ai donc inventé une affaire du même genre dans le livre. Je voulais raconter ça de l’intérieur, du point de vue d’un jeune footballeur héritier de l’immigration. Décrire le processus qui aboutit à un tel fiasco, la vague d’indignation que ce garçon doit affronter, puis les conséquences sur sa vie professionnelle et même sa vie tout court.

Ton personnage est tiraillé et ballotté au gré de ce que lui offre le football. Avec le sentiment final que tout le ramène à son statut d’immigré algérien ?Oui, alors qu’il est un Français de deuxième génération. Il ne s’était jamais posé la question de sa « francité » et, à la suite de sa mise à l’écart, il se rend compte qu’il peut être perçu comme un corps étranger dans son propre pays, voire comme un genre d’ennemi de la nation. Il commence donc à vaciller et entamer sa quête identitaire. Plusieurs modèles s’offrent à lui : les personnes qu’il rencontre dans le milieu du football, un père lui-même un peu en crise, un grand-père algérien qui a combattu son pays à lui, la France, ou encore un génie brésilien, Sócrates, qu’il connaît surtout à travers des vieilles vidéos et des figurines Panini, dans un premier temps.

L’un des pivots de ses choix est celui de la sélection nationale entre la France et l’Algérie. On sait aujourd’hui à quel point cela peut conduire à des surinterprétations, surtout au regard de l’histoire entre les deux pays. Quel serait le chemin de l’apaisement ?Solder le passé colonial constituerait évidemment un pas décisif. Mais les deux pays n’arrivent pas à se mettre d’accord et instrumentalisent souvent cette question. L’Algérie souhaite une reconnaissance des crimes coloniaux alors qu’en France, une partie de la classe politique exerce une forte pression afin d’en finir avec la « repentance » , un terme religieux qui n’est d’ailleurs jamais utilisé de l’autre côté de la Méditerranée. C’est aussi pour cela que j’ai voulu mettre mon personnage face à ce dilemme. On ne se rend pas compte des conséquences qu’un Franco-Algérien doit affronter dans un tel cas de figure, quel que soit son choix. C’est parfois explosif, surtout pour un jeune joueur qui souhaite seulement jouer au football, pas s’impliquer dans une crise diplomatique.

Pour s’engager, il faut incarner une cause, comme a pu le faire Sócrates à son époque. L’âme de ce joueur, que j’admire énormément, plane un peu au-dessus de lui pendant toute la durée du roman.

L’engagement des footballeurs est aussi abordé de diverses manières à la fois comme un devoir, mais aussi comme un piège.Le personnage principal s’engage tel un militant politique, pour des raisons plus ou moins légitimes, et en paye ensuite le prix fort. Ce n’est qu’en rencontrant les dirigeants de son nouveau club qu’il va prendre conscience que s’engager, ce n’est pas seulement participer à un happening, faire un tweet ou liker un post qui dénonce les violences policières. Il faut incarner une cause, comme a pu le faire Sócrates à son époque. L’âme de ce joueur, que j’admire énormément, plane un peu au-dessus de lui pendant toute la durée du roman. Le Petit Sultan et lui ont un point commun : ils viennent de la classe moyenne. Ce qui change leur rapport au football professionnel. Dans la biographie de Sócrates écrite par Andrew Downie, un entraîneur dit au Brésilien, alors jeune étudiant : « Dommage, si tu étais né pauvre, tu serais devenu le meilleur footballeur du monde. » Pour lui comme pour le personnage de mon roman, le combat est ailleurs.

Le football peut-il constituer une réponse aux questions qui se posent avant la présidentielle et qui dominent le débat politique ?Une réponse, je ne sais pas, mais en tout cas, il peut poser les bonnes questions, dessiner les défis auxquels il faudra répondre à l’avenir. Les footballeurs viennent majoritairement de milieux modestes. Si un jour ils parviennent à acquérir une certaine forme d’autonomie comme c’est le cas dans le livre, je suis persuadé qu’ils se saisiront de questions majeures, notamment liées aux quartiers populaires. Et avec l’audience qu’ils ont auprès des jeunes, ils auraient alors un poids politique qui pourraient leur conférer un tout autre rôle que celui qu’ils ont actuellement.

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Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov

À lire : Abdelkrim Branine, Le Petit Sultan, Zellige, 2022.

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