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Abdelhak Nouri, toujours dans les cœurs ajacides
Il y a un peu moins de deux ans, Abdelhak Nouri s'effondrait sur un terrain en Autriche, foudroyé par un arrêt cardiaque lors d'un match amical de l'Ajax. La fin du conte de fées pour cet immense espoir du club néerlandais, aujourd'hui toujours cloué dans un lit d'hôpital à l'âge de 22 ans. L'Ajax n'a jamais cessé de lui rendre hommage depuis l'incident, et plus particulièrement après le sacre du club en Eredivisie mercredi soir. Au point que le 34e titre national du club devienne le « titre d'Appie ».
Cinq ans. Cinq ans que l’Ajax n’avait plus connu cette joie enfantine d’être sacré sur la scène nationale. Un bonheur familier et presque évident que le roi footballistique des Pays-Bas avait presque oublié. Après quatre saisons de régence ayant permis au PSV d’accentuer ses intrigues (24e titre) et à Feyenoord de réaliser un éphémère coup d’État (15e titre), il flottait un sentiment de retour à l’ordre établi, mercredi, lorsque l’Ajax a sécurisé son 34e sacre en Eredivisie après une ultime victoire face à De Graafschap (1-4). Une juste récompense pour la génération dorée des petits prodiges De Ligt, De Jong et Van de Beek, qui peuvent quitter le nid amstellodamois le cœur léger. Mais plutôt que de porter en triomphe ses héros qui ont refait des Lanciers des acteurs à part dans toute l’Europe, l’Ajax a préféré braquer tous les projecteurs sur un oisillon qui n’a pas pu toucher un ballon cette saison.
L’Ajax d’Appie
« Celui-ci, il est pour toi. » Quelques secondes après son premier post Instagram annonçant le titre de champion, le club rouge et blanc se fendait d’une deuxième publication centrée sur Abdelhak Nouri, son ancien grand espoir brutalement stoppé dans ses ascensions vers les sommets à cause d’un arrêt cardiaque lors d’un match amical le 8 juillet 2017. Même son de cloche sur Twitter, où l’Ajax a carrément épinglé son tweet post-sacre en hommage à « Appie » (petit singe en VF). « En fait, il a toujours été là, à nos côtés » , avançait l’entraîneur Erik ten Hag mercredi soir. « Je l’avais déjà dit, ce titre est évidemment pour lui » , soufflait de son côté Donny van de Beek, grand ami du Néerlando-Marocain dans les catégories jeunes de l’Ajax. « On aurait préféré être champions pour lui la saison dernière. Mais celui-ci est pour lui » , regrettait presque Joël Veltman. À croire que sans jouer, Abdelhak Nouri a bel et bien gagné ce 34e sacre au même titre que Dušan Tadić et compagnie. Comme si ce jeune homme de 22 ans symbolisait le mieux le succès de l’Ajax 2018-2019.
Pour comprendre l’importance de l’ex-milieu polyvalent au sein de la maison ajacide, il suffit de se pencher sur l’importance qu’Appie lui-même attribuait à son club. Comme pour tous les enfants d’Amsterdam, rejoindre le centre de formation des Lanciers et porter les couleurs de l’équipe première représente en soi un aboutissement. Mais Appie, lui, a toujours vu plus haut pour son club.
« Aller loin en Ligue des champions avec l’Ajax, c’est mon rêve » , fantasmait-il dans une interview datant d’avant son accident et qui a refait surface fin avril. « Toucher du ballon, bien jouer au foot, prendre du plaisir… Je ne me rappelle pas la dernière fois que l’Ajax est allé loin en C1, mais c’était il y a longtemps, et je veux qu’on le refasse à notre époque. » Les bases sont posées. Mais le symbole qui a sûrement le plus marqué les supporters de l’Ajax, c’est le n°34 qu’Appie arborait fièrement dans son dos. Là où l’immense majorité des joueurs choisissent leur numéro par signification personnelle, Appie acceptait de renoncer à une part de son identité de joueur pour graver en lui l’ambition de son club. « 34, comme le nombre de titres d’Eredivisie qu’on doit avoir à la fin de la saison » , expliquait-il en septembre 2016. « Et je vais tout faire pour y apporter ma contribution. » Dans un club où peu d’Amstellodamois pur jus intègrent l’équipe première (Nouri est né dans un quartier de la capitale et a rejoint l’Ajax à l’âge de 7 ans), l’idole Appie était née.
Des hommages, partout
Mais cet ancien artiste du ballon représente en réalité beaucoup plus qu’une simple coqueluche locale. Au-delà de l’Ajax, Appie, qui ne peut pas parler, mais arrive à communiquer en levant un sourcil, était unanimement considéré comme le plus grand espoir des Pays-Bas. « Si Frenkie de Jong est le plus grand talent que j’ai jamais vu ? Je pense immédiatement à Abdelhak Nouri » , tranchait la semaine dernière son ancien formateur à l’Ajax Wim Jonk auprès du Telegraaf. « Il faisait des choses que les autres ne pouvaient pas faire. Lors des rencontres de Youth League, c’est en partie grâce à lui que 3000-4000 personnes assistaient aux matchs. » Enfant de la maison Ajax, plus jeune meilleur joueur élu de D2 néerlandaise et star des catégories de jeunes des Oranje, Appie s’était forgé une petite réputation qui dépassait largement les frontières du pays. Nombre de joueurs, a priori sans lien avec Appie, lui ont ainsi rendu hommage cette saison, de son ami Ousmane Dembélé (rencontré lors d’un Euro U19) à Kevin-Prince Boateng en passant par Cristiano Ronaldo avant le quart de finale de C1 face à la Juve.
Appie birthday
Dans des temps troublés pour l’Ajax et la sélection des Pays-Bas, Appie était ainsi le porteur des espoirs de tout un peuple : celui qui incarnait grâce à son talent et son style – que beaucoup comparaient à celui de Johann Cruijff – l’esprit de liberté du football ajacide et néerlandais, et sans doute le seul à pouvoir ramener les Oranje sur le devant de la scène. Que l’Ajax s’approprie et ressuscite par ses hommages un joyau représentatif d’une certaine idée du football n’a donc rien d’un hasard. Même après une saison 2017-2018 rythmée par les manifestations en mémoire d’Appie, les hommages ont continué de pulluler cette saison, entre les « Appie » scandés par les fans de l’Ajax à la 34e minute de la finale de Coupe des Pays-Bas, le tweet en réaction au but de Donny van de Beek marqué à la 34e minute de Juventus-Ajax (1-2) et les maillots à l’effigie du joueur portés à l’issue du titre en Eredivisie.
In 2017, Abdelhak Nouri was forced to retire after suffering permanent brain damage at the age of just 21. Yesterday, Ajax won their 34th league title and dedicated the title to Nouri, who wore the number 34 shirt. More than a game. ❤ pic.twitter.com/T3LejHybPI
— Football Tweet (@Football__Tweet) 16 mai 2019
Au-delà du nécessaire devoir de mémoire et de l’irrésistible envie de célébrer la virtuosité d’un génie du ballon rond, des motivations un peu plus troubles peuvent aussi s’ajouter à ce déluge d’hommages. Celles de l’Ajax notamment, le club ayant été imputé responsable des mauvais traitements reçus par Nouri après son arrêt cardiaque (alors que les lésions cérébrales auraient pu être évitées). Faut-il voir dans cette cascade d’hommages une certaine volonté de se rattraper, d’atténuer sa culpabilité ? Une culpabilité que peuvent aussi ressentir inconsciemment certains joueurs, presque gênés de se retrouver à la place d’un gamin qui méritait tellement de s’y trouver. Quoi qu’il en soit, Abdelhak restera l’un des rares jeunes talents à avoir l’amour d’un club chevillé au corps et c’est surtout cette flamme que l’Ajax veut continuer d’entretenir.
Par Douglas de Graaf