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Abbiati, le dernier rempart
Une vie en rouge et noir et une pige à la Juve. Après avoir fait ses adieux à son public samedi dernier, Christian Abbiati vivra une ultime apparition sur une feuille de match ce soir. Cette fois c'est la bonne, le grand Milan a salué tous ses illustres protagonistes.
« Quand vous fermez les yeux, quelles images retenez-vous de votre carrière ? » « La parade contre l’Inter en demi-finale de Ligue des champions, mais quand je ferme les yeux, je pense surtout à un autre Milan, ce qui me met en colère, et c’est aussi pour cela que j’ai décidé d’arrêter. » 2006, Andreï Shevchenko quitte le club lombard. 2016, Christian Abbiati raccroche les crampons. En une décennie, c’est une génération entière qui a été démantelée, principalement pour une limite d’âge expirée. Difficile, voire impossible, de leur trouver des successeurs. Le portier italien n’en était pas l’élément le plus représentatif, mais il fut sans aucun doute un excellent interprète sur le plan moral et sportif. À l’aise aussi bien dans l’ombre qu’à la lumière, il était le dernier sénateur du club. Ne restent désormais que des conseils municipaux.
Boulanger, troisième gardien et titulaire inattendu
Dans la langue d’Aldo, gardien d’immeuble se dit « portiere » , la profession qu’exerçaient le père et la mère d’Abbiati. Joli clin d’œil du destin. Plus grand que les mômes de son âge, le fiston se porte volontaire pour finir dans les cages et n’en sort plus. Et on ne parle pas d’un prédestiné façon Gigi Donnarumma, non, Christian enchaîne les petits clubs de la banlieue milanaise avant de se retrouver à Monza à l’âge de 17 ans. Et puisqu’il n’est pas certain de percer dans le foot professionnel, il sort du lit tous les matins à quatre heures du mat’ pour aller bosser dans une boulangerie. Nous sommes en 1994, des débuts pros en Serie C1, un prêt chez les amateurs de Borgosesia et un retour à la maison mère. À l’époque, Monza est plus ou moins l’équipe réserve du Milan qui y envoie ses jeunes et vante un droit de regard sur les meilleurs éléments du club. Les performances d’Abbiati convainquent les émissaires rossoneri qui le suivent depuis déjà quelques saisons, une promotion en Serie B, une belle année à ce niveau et un contrat signé au Milan en 1998 en tant que troisième gardien derrière Jens Lehmann et Sebastiano Rossi. C’est le Milan de Zaccheroni, du 3-4-3 ou 3-4-1-2, de la revanche des sénateurs Albertini, Maldini, Costacurta et Boban que beaucoup estimaient cramés, des coups de casques du duo Weah-Bierhoff devant et des coups de poings de SuperSeba derrière. Déjà, le portier allemand avait rapidement perdu ses galons de titulaire après des prestations catastrophiques, et comme souvent, on avait fait appel à ce bon vieux Rossi aux performances et à l’humeur oscillante. Lors de la dernière journée de la phase aller face à Perugia, il craque et colle une droite à Bucchi, cinq matchs de suspension, et promotion pour le jeune Abbiati qui avait déjà grappillé une place dans la hiérarchie suite au départ de Lehmann. Un demi-championnat plus tard, à Pérouse donc, il va chercher une frappe de ce même Bucchi qui aurait pu coûter le scudetto. Le Milan est sacré champion contre toute attente et pense détenir son nouveau portier pour la prochaine décennie.
Vice Dida, vice-Buffon
Il se ravisera vite devant les prestations irrégulières de l’Italien, Dida débarque à Milanello et sans sa suspension pour une histoire de faux passeport, il se serait emparé du rôle de titulaire un peu plus tôt. Débute alors une sympathique concurrence entre deux bonhommes qui se respectent. Sans broncher, Abbiati retrouve le banc de touche et en sort pour dégainer une parade décisive sur Mohamed Kallon lors de la fratricide demi-finale retour contre l’Inter en Ligue des champions. Un pied de Kaká qui traîne l’envoie chez l’ennemi juventino en guise de dédommagement, Buffon s’étant esquinté l’épaule sur cette action. Gigi accueille son pote avec enthousiasme, l’estime est sincère comme il l’a déclaré dernièrement sur Mediaset : « Il a toujours été un gars très apprécié du vestiaire. Il a des qualités morales et dit toujours des choses intelligentes et justes. » Ses sympathies fascistes ouvertement déclarées ( « le sens de l’ordre, le catholicisme et la patrie, et non les lois raciales et l’alliance avec Hitler » , dans une interview à Sportweek en 2008) ne changent rien au topo, il est de la trempe de Maldini, Nesta, Seedorf, Ambrosini et consorts. Voyant Dida battre de l’aile, le Milan n’ose jamais se séparer définitivement d’un portier et d’un homme qu’il apprécie. C’est donc un retour au bercail après une escapade de trois ans chez les deux clubs turinois, plus une pige à l’Atlético de Madrid. L’Abbiati bis, une sale blessure au genou, un Scudetto 2011 dont il est un des principaux protagonistes. Le physique est fragile, mais le cœur est solide. Un à un, il voit s’éclipser les membres de la garde prétorienne d’Ancelotti et se retrouve esseulé, cerné par une bande de jeunes (et moins jeunes) qui n’ont que faire d’entretenir l’élégante image que le club s’est construit. Vestige d’une institution qui n’est plus, gardien de but ayant porté le plus de fois le maillot rossonero (380 fois), quand son pote Brocchi lui propose d’entrer en jeu lors du dernier match de la saison face à la Roma, il refuse, par respect pour les supporters. Le Milan perd 3-1, les pédales, et ce n’est pas le moment de passer en mode jubilé. Va donc pour un salut sobre après le coup de sifflet final : « Je ne m’attendais pas à ce qu’autant de personnes restent me saluer malgré la défaite » , confiera-t-il. Les applaudissements sont nourris et sincères, le portier de 39 ans répond en embrassant l’écusson, effectue une révérence, tapote amicalement son poteau, puis il se dirige vers Gigi Donnarumma qu’il présente au public comme pour ratifier une intronisation définitive. Un dernier geste de classe à défaut d’une dernière parade. Sa grande carcasse nonchalante manquera, c’est certain.
Par Valentin Pauluzzi