- FIFA
- Autorisation du port du voile
À voile et à Blatter
L'IFAB (International Football Association Board) vient donc d'autoriser le port du voile chez les footballeuses. Le problème ne se posera pas immédiatement à Londres où aucune des équipes a priori concernées n'y est qualifiée. Il n'empêche, une fois de plus, la grande multinationale du ballon rond prend plaisir à déstabiliser le petit monde du sport – le CIO en tête, bien que son président Jacques Rogge s’en soit publiquement félicité - en ouvrant la boîte de Pandore. D'autant qu'aujourd'hui, tous les débats concernant l'Islam semblent inévitablement sentir le soufre. Surtout en France, où la FFF doit désormais zizaguer entre le droit républicain et son allégeance internationale.
Si la décision d’autoriser timidement le vidéo arbitrage était attendue depuis longtemps au nom de la désormais primauté du spectacle télévisuel sur les valeurs « éducatives » du foot, en revanche, cette décision stylistique de l’IFAB d’autoriser le port du voile chez les footballeuses a des allures de secousses sismiques. Malgré tout, en cédant à la pression de la Confédération asiatique (AFC) – où la plupart des pays arabo-musulmans sont inscrits, comme bien sûr les Émirats – et de son président, le Prince Ali bin al-Hussein de Jordanie (un de ses six vice-présidents), la Fifa assure, sans rire, tenir uniquement compte d’une réalité « culturelle » afin de garantir au foot féminin d’être représenté et pratiqué partout. Il lui reste cependant à l’avenir, après la période d’essai annoncée notamment pour en déterminer la forme réglementaire (on aimerait tellement assister aux débats sur sa longueur et sa couleur), à éclaircir un nombre incalculable de zones d’ombre laissées en suspens par une solution a minima, et dont on se doute qu’elle signe d’abord un retour sur investissement des milliards de pétrodollars qui se déversent actuellement sur le football mondial.
Qui doute qu’il est, vu de Lausanne, logique de sacrifier des principes, du moment qu’il s’agit d’affermir l’empire et l’emprise d’une organisation agnostique, fondée par un catho de gauche et basée dans un bastion du capitalisme calviniste ? D’ailleurs, on n’y garda longtemps la tête sur les épaules et la main sur la calculette. Tant que seule la République islamique d’Iran portait la revendication de cette flexibilité vestimentaire, la FIFA paraissait beaucoup moins obsédée par l’avenir du foot féminin au Moyen-Orient. Or, désormais, parmi les joyeusetés qu’il faudra s’atteler à domestiquer dans les faits et sur les pelouses, la première, et pas la moindre, restera de mesurer où se situe la frontière entre tolérance libérale et le fait que, dans de nombreux États, nous sommes bel et bien face à une contrainte légale. Et qu’à l’inverse, en Occident, l’ostentation religieuse s’arrête généralement là où commencent les espaces publics. En France notamment, où la laïcité est devenue le nœud, parfois à fronts renversés, de la fameuse crise de l’identité nationale.
Brèche démagogique
La Fédération française de football, qui a déjà eu à se débattre avec cette problématique entre « l’affaire » du buffet hallal et les prières d’avant-match de Franck Ribéry (au passage pas plus choquantes sur le fond qu’un signe de croix en Italie ou les tee-shirts évangélistes au Brésil), marche sur des œufs, en particulier avec une nouvelle ministre de tutelle très impliquée (ou qui veut l’être) sur le sujet : « En ce qui concerne la participation des sélections nationales françaises dans des compétitions internationales, ainsi que l’organisation des compétitions nationales, la FFF rappelle son souci de respecter les principes constitutionnels et législatifs de laïcité qui prévalent dans notre pays. Dans ces conditions, elle n’autorise pas les joueuses à porter le voile. » Sauf qu’il n’y est pas vraiment précisé ce qui se déroulerait en cas de réception d’une sélection étrangère suivant les nouvelles règles de la FIFA, de l’organisation sur le territoire hexagonal d’une compétition internationale ou plus simplement d’une joueuse tricolore dérogeant à ce beau discours lors d’un match à l’extérieur (cas de figure pour le moment strictement hypothétique ; par exemple, Myriam Soumaré porte peut-être en privé le discret voile « africain » , mais jamais sur les pistes d’athlétisme).
Rajoutons surtout que Noël Le Graët, qui n’avait pas besoin de cela après l’Euro, sait pertinemment que, de nos jours, la moindre équation-polémique intégrant l’Islam dans son calcul ouvre une brèche démagogique très dure à refermer par la suite, ce dont quelques seconds couteaux de l’UMP, et bien sûr Marine Le Pen, se sont empressés de profiter. Tout en se démarquant des tons de Cassandre néo-FN de la droite, le député européen du Modem Jean-Luc Bennahmias ne dit finalement pas autre chose : « En autorisant le port du voile islamique dans les compétitions féminines, le board de la FIFA ouvre une brèche dans le principe de neutralité. C’est consternant, car il est clair que nous n’avons rien à gagner à rentrer dans cette surenchère, d’autant plus que les tensions culturo-religieuses sont chaque jour plus aigues dans le monde. »
Les coptes exemptés ?
Les arguments qui se font face sont aussi limpides que contradictoires, et pas forcément antinomiques. C’est là que réside tout l’humour noir de cette bataille des symboles. D’un coté, donc avant tout dans les bureaux de la communication de la FIFA, on défend une conquête en faveur de l’élargissement du champ des possibles du foot féminin, en effaçant un obstacle brandi régulièrement par certains pays musulmans (dont ceux du Golfe, « oubliant » en outre d’envoyer des femmes aux JO) qui appliquent une vision stricte des Sourates XXIV (verset 31) et XXXIII (verset 59) du Coran. L’efficacité en demeure pourtant douteuse, tant un prétexte chasse toujours l’autre pour maintenir ce genre de discrimination. En face, certaines féministes (par exemple, Femix’sports et la Coordination française pour le lobby européen des femmes (Clef) qui se sont adressés directement à Sepp Blatter) s’inquiètent surtout du message envoyé – toutes, cependant, ne partagent pas ce point de vue.
Elles peuvent d’autant plus se sentir désarçonnées qu’en retour, le CIO a enfin supprimé la contrainte du bikini pour les joueuses de beach-volley, vieille revendication contre l’érotisation du sport féminin à seule finalité médiatique. La journaliste Fabienne Broucaret, auteur du Sport féminin (Michalon), craint que « dès lors, les athlètes musulmanes subissent une pression énorme, comme au Maghreb où jusqu’à présent elles ne le faisaient pas, pour s’y conformer » . Les joueuses algériennes ou marocaines, souvent présentées, à leur corps défendants peut-être, comme des pionnières de la cause du droit des femmes, se verront-elles intimer l’ordre politique ou sociétal de témoigner leur respect de l’Islam par ce biais ? En Égypte, les Frères musulmans accorderont-ils alors éventuellement une exemption à une joueuse copte ?
Engrenage
Cette décision s’immisce en effet dans un contexte assez complexe et compliqué au sein du vaste et fort divers ensemble que constitue le monde arabo-musulman, dont le destin ne se résume pas à choisir entre l’occidentalisation ou l’afghanisation. L’indéniable montée en puissance des courants et partis islamistes – aussi variés soient-ils – dans la foulée du « Printemps arabe » amène souvent la question de la « décence » de la femme musulmane au cœur de leur discours, ce qui s’avère plus facile que de promettre une généralisation de l’éducation ou la fin de la corruption. Ce concept de « décence » , qui englobe aussi l’attitude des hommes en crampons, rappelle qu’au-delà du problème du voile, c’est celui de la tenue dans son ensemble qui se trouve mis en jeu : le jogging contre short et maillot.
Surtout, il suppose de savoir, notamment selon l’interprétation des hadiths du Prophète, si le « second sexe » peut s’adonner au sport et dans quelle catégorie (interdit, blâmable, permis, recommandé ou obligatoire) cette pratique se retrouve-t-elle casée. De fait, en signant sa reconnaissance de dettes envers ses bailleurs de fonds du Golfe, la FIFA vient sûrement de mettre le doigt dans un engrenage bien plus vicieux que la répartition des qualifiés à la phase finale de la Coupe du monde par confédérations. Rendez-vous bientôt au Tribunal Arbitral du Sport, quand un sélectionneur refusera d’aligner une joueuse qui porte ou qui refuse de porter le hijab ?
Nicolas Kssis-Martov