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« A peine sortis des vestiaires, on avait le joint au bec »
Militant anti-prohibition, libre-penseur et père de famille, Farid Ghehioueche est à l'origine des Cannabis Social Club. A travers ces associations illégales promouvant l'usage de la ganja dans un cadre privé, il se bat pour que fumer un pétard soit aussi simple que frapper dans un ballon. Entre deux volutes de fumée, ce membre des Verts parle du Paris Foot Gay, de dopage et de Daniel Cohn-Bendit.
Le Cannabis Social Club joue t-il au foot ?Oui, des copains ont fondé un club dans lequel on joue : le Dynamo de Belleville ! Ce n’était pas uniquement des gens du quartier, j’habitais le XVIIIe et on jouait sur un terrain Porte de la Chapelle. Pas loin du bowling, là où y a toute la faune de la toxicomanie parisienne. Tous les vendredis soirs, on jouait dans ce qu’on appelait « le championnat des cocotiers » . C’était un ami corse, Dumè, qui en était à l’origine. Par rapport à ses origines corses, là-bas l’usage des drogues est compliqué à avouer. C’est très discriminant.
Et ça tournait dans le vestiaire ? Dans l’équipe, que ce soit le gardien, le milieu, les défenseurs ou moi en attaque, on était tous des usagers de drogue. Certains plus sur l’alcool, mais que ce soit les ecstas, le chichon ou la cocaïne, tout circulait dans nos vestiaires et nos soirées endiablées. Notre leitmotiv, c’était « Foot, drogue et rock’n’roll » , avec un peu de sexe. Une super ambiance et presque que des pieds gauches. On était une bande de footeux intellectuels. A peine sortis des vestiaires, on avait déjà presque tous notre joint au bec, en direction du bar chez notre ami Tony. Une espèce de bar à putes, bar de nuit de la Porte de la Chapelle. On ressortait vers 5 heures du matin avec une bonne toile. A finir avec des petits shots d’armagnac, et ce qu’on avait l’habitude de faire chez nous quand il baissait le rideau. Sinon côté résultats, on était allés loin en Coupe de Paris. On avait été éliminés sur le terrain de TF1. 1-0. Là, franchement, on l’avait mauvaise. C’était une des meilleures équipes parisiennes. On les avait bien accrochés alors qu’on jouait sur leur terrain qui puait la merde. Littéralement. On avait l’impression de jouer sur un dépotoir. Mais on a résisté comme des diables. On avait des concurrents aussi, comme le Spartak Ménilmontant. Aujourd’hui, on a fusionné avec eux, ça a donné l’Etoile Rouge de Belleville… Petite anecdote, c’était marrant les rencontres avec le Paris Foot Gay : les drogués contre les pédés. On s’aimait trop ! Mais ils nous ont mis de ces branlées, ils nous ont laminés ! Ils couraient bien, super physique les gars.
C’est dopant le cannabis ?La grande question ! Officiellement pour les lois internationales « oui » . Un produit classé comme stupéfiant censé modifié le corps et l’esprit. Et concrètement, d’une certaine manière, oui, c’est dopant, ça a tendance à ouvrir les bronches. Quelqu’un qui a peu de souffle, un petit joint de beuh pur avant le match, ça lui ouvrira les bronches, il courra plus vite ou plus longtemps. Ensuite, ça peut diminuer les réflexes, ça dépend des personnes. Je pense à Barthez, on l’a pris la main dans le sac, on l’a estampillé drogué et ça ne l’a pas empêché d’être champion du monde. Chez nous, l’usage était divers. Notre pote Léo, notre meilleur buteur, c’était plutôt le joint après. Notre meneur de jeu, notre Zidane, Yoan, c’était avant, après, voire à la mi-temps. Pourtant il tripotait la balle, faisait des transversales sans souci.
Tu supportes qui en France ?Saint-Étienne ! J’étais responsable du groupe de travail sur les drogues chez les Verts (Europe Ecologie, ndlr). Un de mes leitmotivs c’était : « Qui c’est les plus forts ? Les plus forts, évidemment c’est les Verts ! » J’ai joué avec Daniel Cohn-Bendit lors des universités d’été. Il a le sens du jeu. Ensuite, j’ai joué contre lui, il avait au moins 50 balais donc je cours deux fois plus vite que lui. Il veut se retirer de la vie politique, il va devenir commentateur pour la prochaine Coupe du monde. J’ai aussi joué et fumé avec Jean-Luc Bennahmias, élu de Marseille. Par ailleurs, je suis vraiment anti-Bordelais ! Pour moi, ça reste le club des bourgeois, des fachos, tout ça mélangé. J’ai toujours préféré Auxerre, Guy Roux même s’il peut être imbuvable à plein d’endroits. Il a formé Cantona, Laurent Blanc, de grandes figures du foot. Ce que j’aime, c’est le football à la Nantaise, les centres de formation, pas les trucs clinquants comme le PSG ou Lyon. Mais aujourd’hui, Bordeaux, même au Dynamo, je suis sûr qu’on pourrait les battre !
Et l’OM ? Là-bas, ça fume dans les tribunes…C’est vrai que ça revendique là-bas. Des drapeaux jamaïcains, avec Bob Marley. Au PSG aussi, ça fume. J’ai vu des autocollants « Bières et weed, supporters de Paris » . Bob Marley d’ailleurs, c’était sa passion, il ne pouvait pas passer une journée sans jouer au foot. Même si pour lui et son guérisseur, son cancer généralisé était rentré par le pied après cette blessure face à une équipe de journalistes à Paris. Le foot, c’était une manière de décompresser, de se libérer de la consommation de la beuh. Un moment de camaraderie, où il était un enfant. Ses fils aujourd’hui, c’est pareil, dans leurs clips, en concerts, ils organisent un match à côté. Il a tellement eu de fils qu’ils peuvent monter une équipe Marley ! Il m’est arrivé d’organiser des concerts, quand à 5h du mat’ on se retrouve à jouer dans une salle au foot, on redevient des enfants. On avait fait ça avec Tryo par exemple.
« Retrouver un cannabistrot à côté de la baraque à frites »
On dit que la méfiance à l’égard du cannabis vient entre autres du fait que c’est un produit qui vient de l’étranger. Le ressentiment de certains vis-à-vis de l’équipe de France vient de la même origine ?Ouais. Quelque part, on a du mal à assumer l’héritage colonial et les conséquences que ça peut avoir sur l’équipe de France. Ces gens à la couleur brune qui ne sont même pas capables de chanter La Marseillaise. Platini ne chantait pas, il n’a pas arrêté sa carrière. Je ne sais pas si Platini fumait, mais quand on traite la question du cannabis en France, on entend cet argument comme quoi il ne fait pas partie intégrante de la culture française. Et on insiste sur le fait que chez nous, c’est l’alcool. On parlait de Marseille, la Canebière, c’est directement lié à la culture du cannabis en France. Je ne sais pas s’il y a d’autres équipes que le Dynamo qui revendiquent l’usage de drogue dans un cadre sportif, mais ça m’amène à Yannick Noah. Un grand sportif qui reconnaissait qu’après de gros matches, il se détendait en faisant un joint.
Les instances du football qui aseptisent la Ligue 1 de plus en plus et les élus qui ne veulent pas légaliser le cannabis, c’est lié pour toi ?La société veut de manière générale tout aseptiser, tout contrôler et tout normer. C’est vrai que dans les stades, c’est devenu le cas. Mais quelques événements, comme le Heysel, ont poussé à ça. Ou Furiani, si on fait rentrer des gens dans une enceinte, qu’ils ne risquent pas leur vie. Depuis César, on le sait, les jeux focalisent l’attention, mènent à une certaine forme de fascisme : les Blancs contre les Noirs, les Rouges contre les Verts… On laisse l’esprit grégaire s’exprimer. L’enceinte du football a été porteuse d’autres valeurs que le côté populaire et familial. Une fois, je m’étais pris un gros pétard dans le dos et j’ai failli avoir le tympan explosé… J’ai fumé dans les tribunes et ce n’est pas non plus hyper agréable. Si on est entourés de fumeurs ça va, mais si on est entourés d’un papa avec son fils ou d’un grand-père, c’est comme de partout, faut savoir si on vient regarder un match et supporter une équipe ou si on est venus se défoncer et défoncer les gens qui nous déplaisent.
Barthez, Lama, pourquoi les gardiens fument-ils plus que les autres ?Peut-être parce que dans le match, ils ne sont pas dans l’effort intensif, ils sont dans la concentration perpétuelle, l’observation. Ça donne cette impression d’avoir des ailes et une capacité de concentration accrue. Ensuite, au Dynamo, je peux te dire que ce n’était pas le gardien qui fumait le plus ! Quels que soient les endroits où j’ai joué ces dix dernières années, ça c’est toujours fini avec des gens qui roulent des joints. Il n’y a pas de problème avec la culture du cannabis en France ! Personne ne te regardait avec les yeux exorbités « comment ça se fait que tu roules un joint ? C’est interdit ! » . On attendait qu’on fasse tourner, on passait sa boulette.
Quel est ton meilleur souvenir de foot ?J’ai eu la chance d’aller à Porto Alegre. Je me suis offert un beau maillot du Gremio, le même que Ronaldinho. D’ailleurs, notre devise au Dynamo, c’était « Ordem e progresso » ! Dans l’équipe, on était clairement antifascistes. Et notre mascotte, c’était un pauvre rat en maillot rouge avec les chaussettes qui tombent. Donc on était les Red Devils un peu ! Et comme Barcelone, on n’avait pas de sponsor sur le maillot ! Sinon, mon meilleur souvenir sur le terrain, c’était môme. Je venais de ma campagne en vacances aux Tarterêts, à Corbeil-Essonnes. On jouait sur la dalle, on pouvait jouer jusqu’à 23h alors que j’avais 8 ans. Là j’ai joué avec le frère de Gérard Janvion, équipe de France 82 avec sa coupe afro. Un super défenseur. C’était super gratifiant. Mais c’est aussi avec lui que j’ai fumé mes premières clopes… Bon sinon, la France championne du monde, évidemment, j’en redemande. C’était une nuit de folie furieuse, j’ai joué dans la rue toute la nuit avec mon petit frère, même si à certains moments, je flippais un peu. J’exultais pour la victoire et pour la première fois, je me sentais dans la France que j’aime. Je n’avais plus ces sensations de barrières que je supporte encore aujourd’hui.
Comme soutiens médiatiques des Cannabis Social Club, d’anciens de joueurs de foot pro, ça t’intéresserait ?C’est une super bonne idée ! En anglais, on dit « unusual suspects » . Ça ferait sortir de l’ombre des gens qu’on n’attend pas sur ce terrain-là. Dominique Rocheteau qui dirait « moi mon petit joint du soir, ça me fait du bien et avec Caïazzo, il vaut mieux que j’en prenne de temps en temps, sinon je n’arriverais pas à le supporter » , ce serait une super chose. Ou au-delà de ça, que la Ligue prône une utilisation raisonnée du cannabis. Thiriez est très penché sur le pognon donc il pourrait s’y retrouver. Si dans les stades, on pouvait retrouver un cannabistrot à côté de la baraque à frites…
Pour le moment, au Parc de Princes, il y a plutôt ce slogan : « La pelouse est sacrée mais l’herbe est interdite » . C’est intéressant ! J’aimerais bien avoir le poster ! Je la mettrais bien dans la Gazette du chanvre. C’est étonnant ce symbole de la feuille barrée avec « l’herbe est interdite » . Ils me sidèrent. D’un seul coup, le mot « herbe » est associé à stupéfiant. On est vraiment dans l’hérésie totale…
Si le Cannabis Social Club était une équipe de foot, tu mettrais qui dans ton XI ?Mon pote Yohan en 10 déjà. Puis Éric Abidal. Pour supporter une greffe comme il vient de le faire, ça pourrait l’aider. Puis ça a l’air d’être un gars costaud. Lama dans les cages, Barthez sur le champ, ce serait marrant. Ensuite qui me parait sympa ? Yannick Noah, François Hollande aime bien jouer au foot aussi…
Manuel Valls aussi aime le foot…Ouais, mais il n’aime pas le cannabis. Ça ne marcherait pas. Non, je ne le mettrais pas dans mon équipe. Comme supporter à la limite, ou comme coupeur de citrons !
Propos recueillis par Thomas Andrei