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À Oklahoma, le Rayo perd de son Vallecano
Premier club espagnol à croire au rêve américain, le Rayo Vallecano est devenu l’actionnaire principal de la franchise d’Oklahoma City. Un saut vers l’inconnu qui excite le président Presa mais qui ne passe pas auprès des supporters et des habitants de Vallecas, qui y voient une « trahison ».
« Manuel, arrête de tirer partout ! De toute façon, il faudra que tu ailles aux États-Unis pour apprendre à jouer. » Entre l’ironie et le dégoût, Vicente a choisi son camp. Attablé à une terrasse accolée au marché de Numancia, à deux pas du Nuevo Estadio de Vallecas, ce cinquantenaire au chômage taquine son petit-fils. Entre deux jongles ratés et un échange impromptu avec une voiture de son rejeton, ce supporter du Rayo Vallecano prend, après deux gorgées de caña, le temps d’étaler sa colère. Et de poser une question devenue redondante dans le barrio depuis le début de semaine : « Pourquoi le club a le projet d’ouvrir une franchise aux États-Unis ? » Légitime, l’interrogation n’en reste pas moins surprenante venant d’un aficionado du seul club de quartier de Liga. Elle prend même de court tout bon Vallecano. Et pour cause, à la surprise générale, le président rayista présentait ce mardi un accord inédit en Espagne. En devenant l’actionnaire majoritaire de la franchise d’Oklahoma City – pensionnaire de la NASL, soit la seconde division américaine -, Raúl Martín Presa donne naissance au Rayo Oklahoma City. Et chagrine tout un peuple rojiblanco.
Du championnat ouvrier à une ligue fermée, il y a plus qu’un océan…
De couleur rouge et de convictions de gauche, le barrio de Vallecas attire autant qu’il agace. Intrigant de par sa composition et son histoire, il raconte à sa façon la répression républicaine orchestrée par les forces franquistes ainsi que les différentes vagues d’immigration, d’abord andalouse puis sud-américaine, de la capitale espagnole. Pour tout bon Vallecaño, le Rayo en est l’étendard. Jorge, compagnon de terrasse de Vicente, acquiesce : « Sans tomber dans le pathos, les gens d’ici vivent de peu, souvent avec le strict nécessaire. La galère fait partie du quotidien. Et le Rayo nous permet, une fois par semaine, de mettre entre parenthèse tous les problèmes. » À une centaine de mètres de là, le Nuevo Estadio de Vallecas, enceinte faite de bric, de broc et de trois tribunes, se veut l’épicentre du Rayismo. Un sentiment où le football ne se limite pas au rectangle vert. « À sa création en 1924, le club évoluait dans le championnat ouvrier, et Vallecas n’était pas Madrid » , rembobine Vicente, avant de s’insurger : « D’une compétition prolétaire, le Rayo en est aujourd’hui rendu à évoluer dans une ligue fermée et américaine… »
La traîtrise du président actuel n’en est qu’encore plus grande aux yeux de nombreux supporters. D’autant plus que l’officialisation de l’achat de la franchise d’Oklahoma City prend à revers presse, lecteur et acteur du ballon rond. Mis à part quelques articles du quotidien As, annonçant en août le vif intérêt du señor Presa pour le pensionnaire de la prochaine édition de la North American Soccer League, « aucun bruit de couloir ne nous laissait présager d’une telle mauvaise surprise dès cet automne » , dixit Juan, soutien plus que membre actif des Bukaneros. Justement, les ultras du Rayo sont les premiers à réagir à la naissance du Rayo Oklahoma City. Dès ce mercredi, ils affichent deux banderoles au même message sans équivoque autour du stade rayista : « Le futur du Rayo se trouve dans sa cantera, pas à Oklahoma. » Un acte de défiance qui s’inscrit comme un énième épisode du conflit entre les aficionados les plus calientes du Nuevo Estadio et leur président. Depuis sa prise de contrôle du club en mai 2011, les divergences qui l’opposent aux Bukaneros ne font que s’accentuer au point, aujourd’hui, d’atteindre le point de non-retour.
« À Oklahoma, ils ne votent pas pour les mêmes Républicains »
Plus que l’augmentation du prix des places, l’obligation faite aux Bukaneros de s’enregistrer comme peña officielle ou les modifications apportées à l’écusson et au nom du Rayo, cet achat met à mal la raison d’être de ce club. « Le plus grave dans tout cela, c’est que le président prétend le faire en adéquation avec les valeurs du Rayo Vallecano. Ces valeurs, il y est étranger. Ces valeurs, il les vend au plus offrant. Il vend une identité et des couleurs qui sont le fruit de la lutte de ce quartier » , reprend de volée un communiqué des ultras de Vallecas. Pour le principal intéressé, l’internationalisation à la sauce américaine du Rayo est pressée par le manque de visibilité du club et la nécessité de diversifier ses revenus. Pis, il jure que « le Rayo Oklahoma City montrera l’ADN qu’a le Rayo Vallecano » . Une promesse politicienne qui ulcère Juan : « Vallecas n’a aucun rapport avec cette ville américaine. Rien de rien. Ils votent pour des Républicains, mais ce ne sont pas vraiment les mêmes qu’à Vallecas. » Pour sûr, la bannière étoilée ne flottera jamais dans les tribunes de l’enceinte rayista, à l’instar du drapeau chinois.
Car, avant même ces prémices du rêve américain de Martin Presa, le Rayo s’acoquine, à l’été dernier, avec une autre super-puissance. Avec un contrat juteux à la clé, la direction engage alors un partenariat avec l’entreprise chinoise Qbao. En retour, le club est dans l’obligation de recruter un joueur de l’Empire du Milieu, en l’occurrence le toujours anonyme Zhang Chengdong. Une recrue marketing qui fait disjoncter Paco Jémez : « Depuis que je suis ici, c’est sûrement la pire décision de la direction. On ne peut pas permettre à un sponsor d’imposer le fait de ramener un joueur. » Grâce à cette présence inédite sur les territoires américain et chinois, Raúl Martín Presa espère faire de son Rayo une marque globale, un pionnier dans l’internationalisation du football et une place forte du foot business. Une mission qu’il sait pertinemment en contradiction avec le Rayo Vallecano, mais qui pourrait lui rapporter gros. « Si même le Rayo commence à pourrir de l’intérieur, c’est que nous marchons sur la tête, regrette un Vicente désabusé. J’espère seulement que ce projet se casse la gueule et que Presa parte d’ici. Et qu’importe si nous descendons, nous resterons à Vallecas. »
Par Robin Delorme, à Vallecas