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À Moscou, Massimo Carrera a enlevé les petites roues

Par Régis Delanoë
À Moscou, Massimo Carrera a enlevé les petites roues

Vivant depuis sa fin de carrière de joueur dans l’ombre d’Antonio Conte, son maître et ami de vingt-cinq ans, Massimo Carrera s’est retrouvé propulsé par accident au poste d’entraîneur du Spartak Moscou cet été. Résultat des courses : le club au plus gros palmarès de Russie, en quête désespérée d’un titre depuis 2001, vire actuellement en tête du championnat, avec sur le banc un coach qui fait l’unanimité par ses idées comme par son attitude. Et si un nouveau grand technicien italien était né ?

Il a fallu un concours de circonstances assez incroyable pour que Massimo Carrera se retrouve sur le banc du Spartak Moscou, lui qui a été nommé très officiellement entraîneur principal de l’équipe le 17 août dernier. Voici comment les choses se sont passées. Le 21 mai, à l’issue de la trentième et dernière journée du championnat russe, le Spartak termine au cinquième rang malgré une ultime défaite et devance pour la différence d’un but l’un de ses rivaux de la capitale, le Lokomotiv. Cette cinquième place au classement est la dernière qualificative pour disputer la Ligue Europa. Son entrée en lice a lieu au stade du troisième tour qualificatif, avec pour adversaire la modeste formation chypriote de l’AEK Larnaca. Favoris des pronostics, les Russes vont pourtant se faire éliminer d’entrée en perdant le deuxième match à domicile. Une déroute qui entraîne la démission de l’entraîneur en place depuis le début de saison précédente, l’idole Dmitri Alenichev. Massimo Carrera, qui n’avait déménagé à Moscou qu’une poignée de jours auparavant, est alors propulsé à sa place, provisoirement pense-t-on alors. Ancien entraîneur assistant d’Antonio Conte à la Juve d’abord, puis en sélection italienne, il s’était retrouvé à devoir chercher un nouveau job en apprenant qu’il n’y avait pas de place pour lui dans le staff de Chelsea, le nouvel employeur de son ancien boss. Chez les Blues, Conte avait eu le droit d’amener avec lui un autre fidèle adjoint, Angelo Alessio, qu’il connaît depuis Sienne, ainsi que son frère Gianluca Conte, mais pas le troisième larron de sa « team » , Massimo Carrera, empêché de se rendre à Londres car un assistant anglais était mis dans les pattes des Italiens, Steve Holland, dans le staff de Chelsea depuis 2011. Au printemps, Carrera sait donc qu’il sera libre à l’issue de l’Euro et du court mandat de Conte à la tête de la Squadra Azzurra. En France, en plein tournoi continental, il rencontre Alenichev, lequel est à la recherche d’un adjoint pour le suppléer dans les entraînements défensifs au Spartak. Les deux hommes tombent d’accord, et c’est ainsi que l’Italien débarque en Russie, au départ bien sûr pour rester dans l’ombre, nullement pour s’asseoir sur le banc à sa place.

Confirmé faute d’accord avec l’entraîneur de Rostov

Le concours de circonstances ne s’arrête d’ailleurs pas là ! Lorsqu’Alenichev démissionne après l’élimination en Ligue Europa face aux Chypriotes, le Spartak Moscou souhaite d’abord acquérir un entraîneur de l’extérieur. Le choix du propriétaire milliardaire Leonid Fedoun est d’ailleurs déjà fait : il souhaite faire venir le sorcier Kurban Berdyev, qui vient de réussir l’exploit de faire du petit Rostov un vice-champion de Russie qualifié pour la Ligue des champions, après avoir permis précédemment au Rubin Kazan d’obtenir les deux seuls titres nationaux de son histoire. Berdyev est chaud, il démissionne même de Rostov en août pour entamer les négociations avec Fedoun. Elles n’aboutiront jamais, la faute à une incompatibilité entre les deux hommes, le technicien exigeant les pleins pouvoirs sur le sportif à l’homme d’affaires, lequel refuse catégoriquement de lui allouer de telles responsabilités. Et voici finalement comment, courant août, Carrera est officialisé comme entraîneur du Spartak, et non plus seulement entraîneur provisoire, tandis que Berdyev rentre la queue entre les jambes à Rostov. Avec quel premier bilan pour l’Italien, dont c’est la première vraie expérience comme numéro un ? C’est du quasi-parfait pour l’instant. Sur le plan comptable tout d’abord, le Spartak n’a plus quitté les deux premières places en championnat depuis le début de saison et vire même actuellement seul en tête, trois points devant le Zénith, sept devant Grozny et neuf devant le CSKA. Depuis que l’Italien est en poste, il a cumulé neuf victoires pour un nul et deux défaites, avec pour seule fausse route une élimination prématurée en Coupe contre une D2. L’objectif est désormais limpide : il n’y a plus que le championnat à jouer pour le club le plus titré du pays, mais qui n’a plus décroché un titre depuis 2001, cumulant cinq deuxièmes places depuis, mais aucun podium sur les quatre dernières saisons. Cette fois, il faut le gagner, pour ce qui serait un vingt-deuxième titre national, URSS et Russie confondues.

Un derby victorieux pour achever de convaincre

Plus que sur le plan comptable, c’est encore sur le plan moral et populaire que ce changement d’entraîneur par défaut est le plus réussi. Avec Carrera, les Rouge et Blanc de Moscou sont transfigurés, enthousiastes et en confiance, avec un public qui adore et se régale. Ce n’est pas le plus petit des objectifs d’ailleurs que de contenter le meilleur public de Russie, mais aussi le plus exigeant, avec ses 32 000 spectateurs de moyenne à l’Otkrytie Arena, loin, très loin devant les moins de 18 000 spectateurs du Zénith ou les 14 000 soutiens du CSKA… Face au CSKA justement, à l’occasion du derby disputé à l’Otkytie Arena le 29 octobre, le Spartak a confirmé dans une ambiance folle – et rare en Russie – en l’emportant 3-1. Sans trembler. À cette occasion, Carrera a montré qu’il était de plus en plus à l’aise dans son nouveau rôle, avec une activité incessante depuis le bord de touche qui lui est réservé, s’agitant énormément pour garder son équipe sous pression et lui dicter ses directives, tout comme un certain Antonio Conte. Il n’a pas seulement copié l’attitude de son ancien patron, il lui a aussi visiblement piqué quelques leçons de tableau noir, avec déjà une belle maturité tactique pour son profil inexpérimenté. S’il privilégie la défense à quatre, il n’a pas hésité à opter pour le positionnement en 3-5-2 mi-octobre pour se défaire de la coriace formation de Rostov. Une équipe type de joueurs qui adhèrent totalement à son discours se dessine, avec la pépite hollandaise Quincy Promes et le Cap-Verdien Zé Luis en atouts offensifs principaux, la révélation Zobnin, Glushakov et la recrue Fernando dans l’entrejeu, ou encore le néo-international Kutepov en défense.

Une carrière de joueur pro bouclée à quarante-quatre ans

Ce n’est pas un mince exploit pour Carrera de vite avoir fait oublier son prédécesseur Alenichev, vraie légende au Spartak depuis qu’il avait contribué à la conquête de quatre titres de rang en quatre saisons au club dans les années 90. Il reste maintenant à l’Italien à durer, à un poste en forme de siège éjectable depuis pas mal de saisons, avec de prestigieux entraîneurs qui ont échoué avant lui dans leur mission de repositionner le club tout en haut en Russie : Michael Laudrup, Unai Emery, Valery Karpine ou encore Murat Yakın. Encore largement méconnu sur la scène internationale, Carrera est le deuxième Italien sur le banc du Spartak. Avant lui, Nevio Scala s’était vite fait virer par l’impatient Leonid Fedoun, quelques mois seulement après son rachat du club. Joueur pro pendant vingt-six ans et jusqu’à ses quarante-quatre ans en 2008, Massimo l’élégant avait ensuite fait ses gammes à la Juve, qu’il avait rejointe en tant que joueur en 1991 (en même temps que Conte) et où il a commencé sa nouvelle carrière comme entraîneur des jeunes en 2009. Propulsé entraîneur principal très provisoire en 2012 (pendant les suspensions de Conte et de son adjoint Alessio à la suite des condamnations du Calcioscommesse). Il était ensuite resté au poste d’assistant de l’équipe première, à Turin d’abord et puis donc en sélection de 2014 à 2016. Avant, cette année, d’enfin enlever les petites roues, à cinquante-deux ans. Lors de sa nomination en août à Moscou, il avait été aussi bref que clair : « Nous n’avons qu’un seul but : gagner. Je vais travailler jour et nuit, tout donner pour cette équipe et faire en sorte qu’elle revienne tout en haut. » Un entraîneur est né.

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Par Régis Delanoë

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