- 21 juin 1986
- Les 30 ans de France-Brésil 86
« À Mexico, on avait des mecs armés jusqu’aux dents avec nous »
Dès 1966, avec ses caméras et pour le plaisir, Adolphe Drhey est devenu un membre à part entière de l’équipe de France de foot. Il lance alors un premier projet de docu de foot filmé de l’intérieur et financé par Canal Plus : Dans le secret des Bleus, à l’occasion de la Coupe du monde 1986. Le point de départ de ce qui débouchera plus tard sur Les Yeux dans les Bleus de Stéphane Meunier. Interview de M. Dhrey, accompagné de l’ex-international Bruno Bellone.
Mondial 1986, Mexico. Vous accompagnez les Bleus muni de votre caméra, pour réaliser un documentaire sur l’équipe de France. Comment est né ce projet ?Adolphe Drhey : J’étais déjà là en 1978, 1982 et 1984 avec les Bleus, mais c’est en 1986 que Canal Plus, alors à ses débuts, est venu me trouver au moment de la Coupe du monde au Mexique pour que je lui fasse un petit film.
J’étais déjà avec l’équipe, j’étais un privilégié, je savais que les images iraient aussi à la Fédération. Je connaissais un peu Fernand Sastre, Jean Sadoul aussi. Après George Boulogne, quand Hidalgo est arrivé sélectionneur, on a sympathisé, et on a gardé beaucoup de liens, si bien que pour tous les stages de Font Romeu, j’étais là. De l’humain et de la passion, toujours. La passation entre Michel Hidalgo et Henri Michel, dans le bureau de Fernand Sastre, j’étais là aussi. Pourquoi ? Je ne sais pas vraiment, peut-être parce que j’étais venu récupérer des images pour l’anniversaire de mon fils…
Toute l’équipe de France vous connaissait déjà depuis longtemps ? AD : Quand les chaînes de télévision étaient là, j’étais déjà le seul à pouvoir rentrer dans les vestiaires. Je ramenais des images pour moi.Bruno Bellone : Adolphe, c’est un amour, un mec bien, qui nous suivait partout. Au début, tu te méfies un peu, tu peux dire des conneries, tu perds vite l’habitude qu’il est là, il faisait partie du décor, hein… Il a filmé ce qu’il pouvait filmer, et nous a envoyé une cassette des images à la fin. C’était notre petit souvenir. La première fois que j’ai vu le film, je trouvais même que j’y étais beaucoup !AD : Ils m’ont laissé faire parce que je ne dérangeais personne, je n’ai pas favorisé plus Platini qu’un autre, vraiment. Je posais ma caméra et je jouais aux cartes avec eux. Je ne filmais jamais quand ils fumaient par exemple.
En 1986, ça se passe comment ? AD : Platini était blessé à la cheville, Bats n’était pas bien non plus, après une grande année pourtant. Une fois au Mexique, l’altitude a aussi joué pour Giresse, à partir d’un certain moment, il le ressentait intimement. BB : On avait des bouteilles d’oxygène dans les vestiaires, aux entraînements et aux matchs. Quand je suis arrivé à Mexico la première fois, avec la pollution et la chaleur, j’ai paniqué, j’ai fait une forme de spasmophilie. Au moindre effort, on était cramés. Ce n’était pas une situation pour jouer au foot. J’imagine déjà la Coupe du monde au Qatar…AD : Moi, j’étais là pour faire un film, je connaissais l’importance des images et j’étais le seul à être avec eux.
Je ne crois pas avoir avantagé tel ou tel joueur de par ma proximité avec eux. Luis, il aimait être dans le cadre. Giresse était plus discret. Avec Rocheteau, on avait aussi un autre rapport, c’étaient les films. Le producteur René Château m’avait donné une vingtaine de VHS, que j’avais emmenées, donc les joueurs avaient la possibilité de les visionner. Jean-Pierre Papin, je ne l’interrogeais pas, j’essayais de le filmer seul, je le relançais parfois, c’étaient ses débuts. Au début, c’était peut-être pire que Ribéry, mais s’il y en a un qui s’est amélioré à l’oral, c’est bien lui. Il n’a pas joué la demi-finale, mais il s’entraînait dur. Les images parlent a posteriori.
Celles de Luis Fernandez qui toréait une vachette par exemple ?AD : Henri Michel, il a vite vu que j’étais proche de Platini et Tigana, ça l’agaçait un peu qu’on joue aux cartes, et puis il y a les images, oui. Luis, il parlait couramment espagnol, donc au Mexique, il sympathisait avec les gens du village. Quelqu’un lui a proposé de toréer une vachette, bon… Il a voulu faire le beau, mais il aurait pu se blesser. BB : Moi, ça ne me plaisait pas de voir mourir un taureau, mais en revanche, je me souviens qu’on avait fait du cheval sur la plage.AD :
Henri Michel pensait que ces idées venaient de moi, idem avec les images de Joël Bats à l’église. Je ne sais pas comment c’est revenu à ses oreilles, mais quand on est revenu de la corrida avec Luis, Henri Michel m’a mis un gros coup de poing dans le bras, sèchement. Il m’en voulait. Mais c’est devenu un très bon ami plus tard, il m’a invité plus tard à faire le tour du Maroc lorsqu’il était sélectionneur. Formidable.
On voit beaucoup les militaires dans le film…BB : En Espagne, en 1982, il y avait déjà des militaires partout avec nous. À Mexico, on avait reçu des menaces de mort sur Michel Platini, du coup, on avait des mecs armés jusqu’aux dents. Trois mecs dans le bus, deux devant et derrière genre Starsky et Hutch. Pour moi, c’était un problème, j’étais pas tranquille, on ne comprenait pas bien.
Ça ne vous a pas empêché de faire un beau parcours… BB : Nous, les jeunes, à l’entraînement, on voulait montrer qu’on était en forme. Bon, je m’étais fait un blocage du dos, ça me faisait comme un claquage, si bien que je n’ai pas joué avant le Brésil en quarts de finale et l’Allemagne en demi-finales, mais je n’étais pas à 100% au début. AD : Lors des causeries avec Henri Michel, Platini n’intervenait pas, mais presque systématiquement, juste avant la fin, il allait discuter un moment avec le sélectionneur, avec Gérard Banide aussi. Après l’Italie, je me souviens que Platini voyait bien l’équipe gagner. Moi, je n’y pensais pas, mais j’étais content pour eux, il y avait une telle équipe, entre les anciens et les jeunes, Stopyra, Vercruysse, Ferreri… Je leur avais promis que si on allait au bout, je me raserais la barbe.
Après la victoire contre le Brésil, c’est la fête, on voit cette scène de Platini qui danse en slip… AD : Cette scène, c’est un miracle, la panique totale. Faut voir ce que c’était que cette caméra. L’éclair 16 a deux objectifs, et je devais en choisir un, tourner, puis tirer. Le son tournait avec les enregistreurs, mais quand Tigana m’appelle et que je prends ma caméra, je m’aperçois que je n’ai pas bien fixé les objectifs. Je serre donc très fort la caméra contre mon épaule pour qu’il n’y ait pas d’écart avec l’objectif. On le voit, elles ne sont pas très nettes, ces images. Je maintiens, crispé, et je fais le tour de vestiaire en les filmant comme je peux.BB :
Il galérait avec son truc, on le voyait en souffrance parfois, c’était marrant ! Après le match contre le Brésil, c’était génial, on a fêté l’anniversaire de Platini, Tigana et Luis. Le pâtissier nous avait fait un gâteau en forme de stade de foot. Ça lui avait pris l’après-midi, mais ça a fini sur la gueule de tout le monde en cinq minutes. On faisait les cons avec les chaises autour des tables, n’importe quoi… AD : C’était peut-être un peu exagéré, je ne sais pas, il s’est passé quelque chose avec ces anniversaires à fêter aussi, les femmes étaient présentes. Et puis l’Allemagne au bout avec cette idée de revanche.
Le film a connu une deuxième vie ensuite…AD : Oui, en 1998, Charles Biétry a accepté d’actualiser mon film de 1986 avec des inserts d’entretiens avec Zidane, Djorkaeff, Barthez… Je leur proposais de visionner le film chez eux et ils en parlaient. De toute façon, dans mes films, il n’y a jamais eu de commentaires. J’ai un peu honte de le dire, mais je suis incapable de raconter. Ma priorité, ça a toujours été laisser les images raconter. Après, les silences de Zidane ont une grande valeur. J’ai été pressenti pour suivre l’équipe en 1998, mais j’étais un peu trop âgé. J’avais vu Stéphane Meunier, je lui avais raconté comment je voyais la chose. Pas des conseils, je ne me serais pas permis, hein, juste des échanges…
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Propos recueillis par Brieux Férot