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« À l’OM, la mauvaise réputation du centre prend le dessus sur le prestige du club »
Sociologues argentins, Diego Murzi et Federico Czesli ont rédigé un rapport pour la FIFA, le Centre internationale d'étude du sport (CIES) et l'Université de Neuchâtel sur une étude comparative entre les centres de formation d'Estudiantes la Plata et de l'OM. L'occasion d'évoquer l'image négative de la formation à Marseille, l'impact Bielsa, le cas Boutobba et les valeurs auxquelles s'identifient les jeunes joueurs d'aujourd'hui, en France et en Argentine.
Pourquoi avoir choisi l’OM pour votre étude ? Diego Murzi : On cherchait un club de première division en France avec une situation stable, un centre de formation actif et une identité définie. La magnitude de l’OM nous attirait, et en plus, le club nous a rapidement ouvert ses portes. Federico Czesli : Les caractéristiques que mentionne Diego sont le produit de la méthodologie d’analyse que l’on a utilisée (l’analyse comparative, ndlr), qui nous oblige à chercher des institutions aux caractéristiques similaires. Dans le cas de l’OM, on ne peut pas nier que la présence de Bielsa au poste d’entraîneur nous plaisait.
Connaissiez-vous la réputation du centre de formation de l’OM avant de commencer votre travail ?DM: Assez peu. Une des premières choses qui nous ont surpris a été de découvrir le consensus sur le fait que l’OM n’a pas une bonne réputation dans le processus de formation de footballeurs, y compris à l’intérieur même du centre de formation. Cette idée constitue une limite importante dans le développement du centre, puisqu’elle influe fortement au moment du choix de club de la part des parents et des conseillers des jeunes joueurs. L’OM est perçu comme un club acheteur et non formateur, ne donnant pas d’espace aux footballeurs de son centre de formation. Cela complique la tâche de la cellule de recrutement. L’OM, bien que club phare de la région PACA, constate qu’il ne peut attirer les meilleurs joueurs de la région, qui choisiront plutôt de s’intégrer à des clubs avec un projet sportif leur offrant plus de place. Sur ce point, il y a une grande différence avec l’Argentine, où le pouvoir d’attraction des grands clubs (Boca, River, Independiente, Racing) est très fort sur les jeunes joueurs, les parents et les agents. Des gamins de tout le pays voyagent à Buenos Aires pour faire des tests dans ces grands clubs, ce qui offre automatiquement à ces derniers un avantage comparatif sur la concurrence. À l’OM, la mauvaise réputation du centre prend le dessus sur le prestige du club et le prive d’une grande offre de jeunes joueurs.
Les dirigeants de centre s’en préoccupent-ils ?DM : Oui, sans pour autant que ce soit le centre des discussions. Dans les deux clubs, on a constaté qu’ils attendaient plus des joueurs qu’ils logeaient au centre. Le club espère de meilleurs rendements chez les jeunes sur lesquels il investit le plus.
Quelles sont les principales différences entre le centre de formation de l’OM et celui d’Estudiantes ?DM : Une des principales découvertes est l’existence de valeurs hégémoniques qui structurent le processus de formation dans chacun des pays : l’humilité et le sacrifice en Argentine, le mental et la culture de la gagne en France. Ce sont les valeurs les plus naturalisées et intégrées par les joueurs. Elles sont liées à des mythes, à des narrations épiques sur l’individu : l’humilité et le sacrifice font référence au caractère héroïque du sportif qui se consacre après avoir dépassé toutes les adversités de la vie. Dans le cas français, au contraire, le dépassement des obstacles à partir du mental et de l’incorporation du plaisir de gagner établissent une relation avec le mythe de l’individu capitaliste qui s’ouvre la voie grâce à l’effort et à la clarté des objectifs : en France, on affirme que l’on peut apprendre à gagner. Par ailleurs, en Argentine, la scolarité n’est pas une valeur importante au centre de formation, elle est généralement laissée à la volonté des joueurs(ce n’est pas le cas à Estudiantes, ndlr). En France, les projets sportif et scolaire sont inséparables, c’est imposé par la Fédération. FC : Le rapport à l’argent marque une différence centrale entre les deux institutions : à l’OM une bonne partie des joueurs du centre touche un salaire, échelonné selon son potentiel et les différentes catégories de la Fédération (aspirant, stagiaire ou élite). En Argentine, aucun joueur ne touche d’argent du club au centre de formation, pas seulement parce qu’il y a moins de ressources économiques à disposition, mais aussi selon l’idée que s’ils étaient payés, ils se relâcheraient.
Comment les jeunes joueurs s’identifient-ils à l’institution ?DM : Quand on les a interrogés sur leurs rêves, aucun n’a répondu vouloir être champion avec sa catégorie, ce qui signifie qu’ils ne pensent pas à court terme. Ils rêvent de succès et de reconnaissance dans des termes individuels et non collectifs. Ils ne disaient pas non plus se sentir représentants de la ville et du club, ni à Marseille, ni à La Plata. Et ce, malgré le travail des clubs, qui cherchent à transmettre leur identité à leurs joueurs.FC : Les jeunes désirent avant tout reproduire les trajectoires des stars qu’ils admirent : jouer dans les mêmes clubs qu’eux, par exemple. Cela expose aussi la forte influence des médias (télé, Instagram, jeux vidéos) dans la construction de leurs souhaits de devenir professionnels et implique une perte d’identification au club. Je pense que c’est aussi la conséquence de l’idée, défendue dans les clubs, qu’ils sont pros depuis leur entrée au centre de formation. Ainsi, leur mission est d’arriver en première division, au-delà du club dans lequel ils évoluent. Ils adoreraient jouer sous les couleurs de leur club, mais s’ils n’y arrivent pas, que ce soit n’importe où.
Lors de son passage, Bielsa a changé les habitudes en intégrant en équipe première plusieurs joueurs du centre. Cela a-t-il eu un impact sur les jeunes du club ?DM : La figure de Bielsa a été très importante, car dans la perception des joueurs et membres du staff du centre de formation, son arrivée a remis les catégories inférieures au centre du jeu. D’après les témoignages récoltés, la distance entre le centre de formation et les pros était historiquement très grande à l’OM. Il s’agissait de deux mondes à part, quasiment déconnectés. Avec Bielsa, cette distance s’est raccourcie et l’équipe pro est devenue plus accessible pour les jeunes du club.
Avez-vous parlé du club avec Bielsa ?DM : Nous ne l’avons pas interviewé pour notre travail, on a simplement discuté avec lui. Il a évoqué les supporters, précisant que l’ambiance du Vélodrome était une des plus belles qu’il avait connues.
Une preuve supplémentaire des difficultés du centre de formation marseillais : le refus récent de Boutobba de signer un contrat pro à l’OM. Vous l’avez interrogé pendant votre travail ?DM : Il appartenait au groupe que l’on observait, mais, pendant notre travail, il s’entraînait déjà avec les pros. Lors de notre premier passage (janvier/février 2015, ndlr), de nombreux membres du staff nous disait qu’il s’agissait d’un des meilleurs joueurs qu’ils aient entraînés. C’était la star du centre de formation, l’exemple à suivre, tant sur le terrain que dans sa façon de vivre le football. Pour ses anciens coéquipiers, il représentait le rêve réalisé : jouer au Vélodrome du jour au lendemain. Lors de notre second passage (octobre 2015, ndlr), la perception sur lui avait changé au centre. On nous disait qu’il était plus préoccupé par l’extrasportif que par le football. Quoi qu’il en soit, le départ de Boutobba représente une grosse perte pour le club, tant matérielle que symbolique. Matérielle parce que l’investissement sur lui pour le former n’aura rien rapporté, symbolique parce que c’est un message négatif pour le reste des jeunes du centre. FC : Moi, je ne serais pas catégorique pour affirmer qu’il s’agit d’une faille du club. Pendant notre travail, on a rencontré des jeunes à l’OM qui nous disaient rêver de jouer à Manchester City ou à Chelsea. Il y a quinze ans, cela aurait été inimaginable qu’un jeune français de quinze ans souhaite jouer dans ces clubs. Leurs souhaits auraient sans doute été plus « localisés » . La mondialisation et la supranationalisation de la télévision sont des conditions qui expliquent ce phénomène aujourd’hui, en relation bien sûr avec ce que l’on disait précédemment sur l’idée du succès perçu en termes individuels et lié à l’argent.
Dans votre comparaison entre Estudiantes et l’OM, vous semblez dire qu’à Marseille, devenir pro n’est qu’une alternative parmi d’autres pour les jeunes du centre, à la différence de leurs compères argentins. Y a-t-il un manque d’ambition ou de motivation en France ?FC : On pourrait plutôt se demander si le fait que le football ne soit qu’une alternative pour les jeunes joueurs français n’est pas positif, car ils évoluent avec moins de stress. On a vu des gamins en Argentine qui se blessent par excès d’effort physique, car ils veulent trop se montrer, ou qui se démoralisent s’ils ratent un penalty, par peur de ne pas arriver à devenir professionnel et donc de ne pas pourvoir aider leurs familles économiquement. Ces situations baissent leur rendement.DM : En Argentine, être joueur de foot professionnel offre un statut social tellement grand qu’il ne peut être comparé à aucune autre activité professionnelle. Résultat : un gamin de quinze ans du centre ne peut même pas s’imaginer faire autre chose.
Propos recueillis par Léo Ruiz