- Violences policières aux États-Unis
À l’instar de la NBA, un boycott de la L1 serait-il possible ?
Phénomène difficilement imaginable chez nous, la NBA vient de voir se multiplier une série de boycotts conduisant au report de nombreux matchs, à la suite de la énième bavure policière envers un Afro-Américain. Cette prise de conscience collective au sein du sport le plus riche et parmi une élite plus que nantie pose en retour une question dérangeante pour le football tricolore : pourquoi une telle mobilisation s'avère-t-elle donc à ce point impensable en France où, pourtant, la passion politique occupe une place si importante ?
Pour prendre la mesure de ce dont nous parlons, il suffit de transposer à Paris la séquence que les États-Unis sont en train de vivre : des rencontres, et pas des moindres, reportées à la suite du boycott des joueurs ou d’équipes entières, et parmi elles par exemple le tant attendu PSG-OM, à la suite de la mort d’une personne noire ou d’origine maghrébine lors d’un contrôle de police. Posée en ces termes, l’hypothèse paraît irréaliste. Les raisons sont nombreuses. Naturellement, l’histoire des USA et celle de la France ne se ressemblent guère, et même la façon dont la problématique du racisme et de la « race » y a été digérée, recrachée, assimilée et gérée dans la société ne peut se comparer.
Sport et lutte pour les droits civiques
Chez nous, les autorités maintiennent toujours le discours officiel et rassurant d’une République qui ne reconnaît que l’égalité entre les citoyens et les citoyennes, quels qu’ils soient. Au pays de l’Oncle Sam, la discrimination a été inscrite dans les lois, et il a parfois fallu l’armée pour faire rentrer des petites filles dans des écoles. Le discours actuel du président Trump, par exemple sur les statues du général Lee ou les manifestations Black Lives Matter, témoigne de la persistance de cette culture du mépris et de la force d’un racisme institutionnalisé. Par ailleurs, les sportifs, et le sport en particulier, comme l’a très bien montré l’historien Nicolas Martin Breteau dans son dernier livre, ont joué un rôle non négligeable dans les luttes des Afro-Américains, sous toutes leurs formes et à toutes les époques, pour leurs droits ou pour contester le maintien d’un racisme structurel à leur égard. Ce qui se produit ne se révèle donc en rien surprenant : le basket a pris le relais du baseball ou de l’athlétisme. Et ce, même si les play-offs vont reprendre, après deux jours de boycott.
Le cas du football en France s’inscrit dans un tout autre contexte et une tout autre chronologie. Il n’a cessé, au cours de son histoire, de se fondre, voire de servir d’illustration, à un récit assimilationniste ou de l’intégration réussie, dont les Bleus de 1998 constituèrent l’aboutissement, ainsi que la démonstration de ses limites. De Raymond Kopa à Zinédine Zidane, la réussite du footballeur issue de l’immigration servait à illustrer les vertus d’un pays qui sait ne regarder que la qualités des hommes, du moment que ces derniers ne s’entêtent pas trop à souligner leur singularité (par une barbe qui sait). Les footballeurs pros se firent en outre toujours plus que discrets lors des grandes mobilisations ou phases politiques qui purent secouer la nation, sans jamais prendre le risque d’arrêter la machine ou le ballon de leur propre initiative.
Et en 2020, France-USA même combat
Toutefois, nous sommes désormais en 2020. La place des individus dits « racisés » s’invite de plus en plus dans les débats. Les tabous sur l’existence d’un racisme d’État, non plus seulement le fait de quelques fonctionnaires dans l’erreur, tombent petit à petit. Cette nouvelle réalité du débat public, juxtaposée à la critique de l’attitude des forces de l’ordre envers certaines parties de la population, bousculent partis, syndicats, associations antiracistes traditionnelles et forcément footballeurs pros, souvent concernés au premier chef. Il demeure néanmoins que l’absence d’une prise de conscience sur le long terme parmi les footballeurs, l’inexistence de précédents historiques (Tommie Smith aux JO de Mexico en 1968), sans parler de la forte pression du milieu (agents, clubs, FFF, LFP, etc.) pour aseptiser les prises de parole des stars à crampons, rendent impossible une configuration similaire au cas US. Hormis quelques contre-exemples qui viennent se montrer lors d’une manifestation devant le ministère de la Justice, nous restons bien loin d’un positionnement collectif. Le ballon rond demeure chez nous une fabrique à consensus, alors que peut-être plus que jamais, nous aurions besoin qu’il s’exprime pour réveiller un pays et une classe politique qui, de leur côté, ne se sont jamais privés de lui reprocher ses turpitudes. Malheureusement, la Covid-19 annulera plus de rencontres que le refus des joueurs d’accepter une bavure de trop.
Par Nicolas Kssis Martov