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À l’école, le foot sur le banc des remplaçants
Si le football est le sport numéro 1 en France, il n’a pas la même cote d’amour auprès du corps enseignant. Rares sont les professeurs qui choisissent le ballon rond lorsqu'il s’agit de faire bouger les élèves. À l'heure de la rentrée, enquête sur le malaise entre le football et l'école française.
« En juin, on entendait un gamin qui faisait un boucan pas possible en courant… Il avait amené ses chaussures à crampons ! Ça n’a pas un grand intérêt quand on joue sur du bitume, mais dans le déguisement nécessaire pour jouer au foot, il faut les pompes, alors il les avait prises. » Instituteur dans l’Eure, Bruno Vaugelade constate année après année à quel point le football est incontournable dans la cour de son école. Et l’influence du foot a débordé du simple cadre de la partie endiablée pendant la récré. « On sent qu’ils sont imprégnés, poursuit l’enseignant. On a des panneaux de basket, mais quand ils ont un ballon, c’est pour jouer au pied. Aux beaux jours, ils portent souvent des maillots de foot. Dès qu’un but est marqué, ils font le tour de la cour en faisant l’avion. Tout le rituel du footballeur est vachement intégré. »
Même constat pour Rémi, professeur d’éducation physique et sportive au collège. « C’est l’activité la plus représentée dans leur culture. Pour la plupart, c’est le seul sport co qu’ils connaissent et qu’ils pratiquent au-delà du club. Ce sont surtout les garçons qui en parlent, qui portent des maillots, qui y jouent à la récré ou qui veulent en faire en EPS. Beaucoup me disent aussi qu’ils veulent devenir footballeur, c’est un modèle d’avenir et de réussite pour eux. » Fort de ses deux millions de licenciés en France, le sport roi s’est taillé une place à part dans la société, et en particulier chez les jeunes adolescents, beaucoup d’entre eux en ayant intégré les codes. Présent partout ou presque, il reste en revanche peu présent une fois le portail de l’école franchi. Titulaire indiscutable chez les élèves, il est ainsi cantonné à un rôle de remplaçant chez la majorité des enseignants.
Non ! On ne fera pas foot aujourd’hui #UnMétierUnePhrase
— Le Prof d’EPS (@LeProf_EPS) June 5, 2018
Portion congrue
En cours, le sport le plus pratiqué en France peine à trouver sa place, et se retrouve bien souvent relégué au rang d’activité choisie par les élèves en fin d’année, lors de séances laissées libres par les enseignants. Gwendal Guillemette est professeur d’EPS dans un collège de Seine-Saint-Denis depuis sept ans : « On n’a jamais fait de cycle de foot depuis que je suis dans mon collège, on le pratique à l’AS(Association sportive, qui propose la pratique de sports dans le cadre scolaire le mercredi après-midi, NDLR). On est contraint de faire des choix, dans le sens où il faut que les enfants aient accès à différents champs d’apprentissage liés à des activités. »
Le foot apparaît d’ailleurs très peu dans les menus proposés au bac. Le Rapport annuel de la session 2014 rapporte en effet que seulement 3% des candidats l’ont passé, contre par exemple 18% pour le volley-ball ou 13% pour le handball. « Au concours de recrutement, tu as une épreuve orale d’exposé, et chaque année il y a une liste de 10-15 sports sur lesquels tu peux tomber. Ça fait longtemps que je n’ai pas vu le foot », appuie Rémi. En 2019, une étude menée dans l’académie de Créteil montrait que le football représentait seulement 1,36% des activités programmées au collège.
Dès l’école primaire, le foot peine à trouver sa place, même si les sports ne sont pas encore enseignés en tant que tels. « Quand je pratique avec mes élèves, je ne fais pas vraiment du foot, ni du basket ou du hand. Dans un cycle jeu de ballon à la main, il y aura des ateliers où il faudra passer la balle par-dessus un obstacle, l’envoyer dans une cible, etc. Dans le cadre des apprentissages, tu es plus sur le jeu, détaille de son côté Bruno Vaugelade. Ce sont plutôt des activités préparatoires, des jeux qui vont les amener à maîtriser des gestes, développer la motricité. »
La diversité sportive avant tout
À partir du collège, la probabilité pour les élèves d’avoir droit à un cycle d’enseignement du football en prend un coup. Première raison invoquée par les profs ? Sa popularité justement, qui les pousse à se tourner vers d’autres disciplines pour favoriser la découverte. « C’est l’une des raisons pour lesquelles on ne l’utilise pas comme support pour nos objectifs pédagogiques. Pour montrer autre chose aux élèves, leur permettre le développement d’une motricité un peu plus large », détaille Rémi, qui a mis en avant le basket, l’ultimate ou encore le tchoukball l’an passé. Des sports avec « un développement plus complet de la motricité » puisque mobilisant « les jambes et les bras, du coup il y a distanciation des deux segments par le tronc ».
Pire, le football serait même plus difficile à adapter à une pratique dans le cadre scolaire. « Ça fait peur à beaucoup de profs, puisque comme le foot se joue avec les pieds, ça demande de fortes qualités techniques, estime Yoann Sicre, qui enseigne en lycée. On a l’habitude d’utiliser les mains, donc un sport comme le basket est plus facile. En plus, la tête est déjà haute, on voit tout de suite où sont les partenaires et les adversaires. Le foot est difficile en raison de l’aspect technique et de la prise d’information. Le nombre de licenciés est aussi beaucoup plus important, donc dans mes groupes, je retrouve plus de gens qui ont un très bon niveau, et il y a une plus grande hétérogénéité entre ceux qui y jouent déjà et ceux qui ne jouent pas ou très peu. »
Des limites pratiques qui poussent les enseignants à faire d’autres choix, pense Williams Nuytens, sociologue à l’université d’Artois. « Certains profs sont dans une forme d’éducation physique qui doit s’éloigner d’une éducation sportive. À partir de là, toutes les activités physiques qui ont une dimension de performance vont être délaissées parce que les élèves sont hétérogènes », estime-t-il. Et particulièrement le foot, la faute aux fortes représentations qu’il véhicule. « Si tu fais du foot, tu vas être obligé de proposer une forme scolaire, poursuit le chercheur. Les gamins ne vont pas comprendre parce que cela ne correspond pas à la représentation qu’ils ont du foot, à la TV ou en club. »
N’en déplaise au ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports Jean-Michel Blanquer et son fantasme sur le rôle de l’EPS dans la réussite de certains sports collectifs aux JO de Tokyo, cette dernière n’a en effet pas pour but de former les champions de demain. « Ce n’est pas du fédéral. L’EPS n’a pas cette dimension de formation du futur footballeur, elle est là pour le plus grand nombre, martèle Rémi. On peut détecter, mais on n’est pas là pour fabriquer les champions, on est là pour développer, par le sport, la motricité du plus grand nombre ainsi que les compétences sociales et méthodologiques. C’est de l’éducation physique et sportive, pas du sport. »
« On reproche au foot d’être un sport où l’individualité s’exprime énormément »
Les « valeurs » du foot. Voilà un frein qui revient régulièrement chez les profs au moment de choisir quelle activité proposer pendant l’année. « On reproche au foot d’être un sport où l’individualité s’exprime énormément. Les jeunes le perçoivent comme une manière de faire un peu la star à cause des représentations liées au haut niveau, développe Rémi. C’est plus facile de développer des compétences sociales avec des sports moins connus qu’avec un sport qui a déjà des représentations sociales marquées aux yeux des élèves. » Même son de cloche pour Yoann Sicre : « L’esprit du footeux est un peu spécial. Ils sont là pour gagner, ils ont du mal à supporter que la personne rate sa passe ou coure moins vite… Beaucoup d’élèves ont cet état d’esprit-là. » Impossible donc de faire adhérer une classe d’ados à un projet pédagogique à travers le football ? « C’est plus facile quand les élèves n’ont aucune représentation, poursuit le prof. Si on prend le foot, chacun a déjà sa manière de voir les choses. C’est plus compliqué de construire un cadre commun à partir de là. »
Dans cette place réduite du football à l’école, se jouerait également quelque chose de l’ordre de l’identité des profs concernés. « Pour un prof d’EPS, proposer des activités incluant la notion de performance va poser des problèmes d’identité. Ils craignent de perdre leur monopole à l’école, détaille encore Williams Nuytens. Il y a là un intérêt à ne pas proposer des pratiques connotées. » L’éducation physique et sportive chercherait ainsi à s’affirmer comme discipline à part entière au sein du milieu scolaire. « L’éducation physique n’est pas considérée comme une priorité, poursuit le sociologue. Il y a cette réflexion :« Attention, on a mis longtemps à gagner notre place à l’école, ce n’est pas pour faire ce qui se fait déjà dans les clubs. » »
« La passerelle entre le club et l’école doit se faire en ligne continue »
Malgré ces réticences, une partie du corps enseignant tient toujours à mettre le football en avant, « généralement par des personnes qui font du foot à côté », estime Yoann Sicre, lui-même éducateur à l’US Gasny. « J’aime bien le faire parce qu’il faut arriver à montrer aux footeux que leur rôle est davantage d’aider les autres et de faire comprendre les choses. À partir de là, ils arriveront aussi à prendre du plaisir. Je pense que l’enseignement du foot en EPS, c’est leur faire comprendre qu’ils sont utiles pour faire progresser les autres. Donc on essaie d’aménager des situations pour y arriver. » Et Rémi d’abonder : « Je sais que des collègues utilisent le foot pour essayer de montrer que c’est un sport avec une tactique, une technique, et pas seulement le sport qui permet de devenir riche. Avec plus d’expérience, je me dis que ça pourrait permettre de déconstruire certaines choses et d’apporter un autre regard. »
Au-delà de l’EPS, Gwendal Guillemette a déjà sauté le pas en allant à la rencontre des écoles avec son club féminin de Saint-Denis : « On intervient dans les écoles primaires avec des minicycles de 4-5 séances. On va aussi créer une option foot féminin dans un collège de Saint-Denis. Les établissements sont plutôt demandeurs d’initiatives comme celles-là de la part des clubs. » Justement, l’Union sportive de l’enseignement du premier degré (USEP) œuvre au développement de passerelles entre le milieu scolaire et les clubs. « On met en place des projets pédagogiques avec un objectif particulier, celui de faire en sorte que davantage de gamins pratiquent le football, explique son directeur Benoît Lasnier. Notre travail n’est pas de faire en sorte que tous les gamins deviennent Leo Messi, mais de faire en sorte qu’ils découvrent le football et qu’ils puissent choisir. Et pour ça, on participe notamment à l’organisation du programme Foot à l’école. » Près de 6000 classes y avaient pris part pendant l’Euro 2016.
Partenaire du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports pour cette opération, la FFF a également mis en place une opération destinée aux collèges et lycées, « La quinzaine du foot » , depuis 2016. Des actions de promotion qui visent à rapprocher les clubs et les établissements scolaires. « La passerelle se fait encore en pointillé, on aimerait tendre vers une ligne continue », insiste Florian Bechon, chef de projet chargé du développement du football en milieu scolaire au sein de la DTN. En misant notamment sur des opérations de promotion avec des internationaux. « L’exemple le plus marquant, c’est Amel Majri, originaire de Vénissieux. Nous sommes retournés dans son école. Son enseignante nous expliquait qu’elle jouait avec les garçons dans la cour et qu’elle se débrouillait plutôt bien. C’est elle qui a rencontré ses parents pour leur demander s’ils ne souhaitaient pas qu’elle s’inscrive dans un club. C’est presque l’enseignante qui a initié sa venue dans un club de football. » Autant d’initiatives qui permettent à ce mal-aimé de l’école de faire son entrée en jeu dans le milieu. Même si c’est seulement pour quelques minutes.
Par Quentin Ballue et Tom Binet
Tous propos recueillis par QB et TB.
Crédit photos : FFF.