- Portrait
À la rencontre du Stéphane Guy d’Alençon
Mascotte des minimes du SC Damigny, correspondant local à Orne Info et AFM Radio, plus jeune conseiller municipal de la cité des Ducs de Normandie, et président débrouillard de l'US Alençon, il n'y a pas eu que Canal + dans la vie de Stéphane Guy.
Le 18 avril 1998, à 200 kilomètres du Stade de France, la ville d’Alençon clôture avant tout le monde son Mondial 1998 après cinq jours de compétition enneigés au cours desquels 32 équipes locales se sont affrontées. Vers 15h, les moins de 13 ans du Brésil et de la France pénètrent sur la pelouse du stade Jacques-Fould pour la finale. Dans les gradins, Rai, Paul Le Guen, Joël Bats et Raymond Kopa observent la rencontre avec attention. Pas autant que Stéphane Guy, qui espère que les Bleus vont venir à bout de la Seleção. Non pas par chauvinisme, mais parce que les tricolores sont représentés par les jeunes de l’US Alençon. Après le coup de sifflet final et la victoire face aux minots de la Ferté-Macé, c’est le soulagement. L’événement a été une telle réussite que l’entraîneur de l’USA l’invite à s’investir dans le club. « Enfant, j’avais connu Alençon en 3e ou 4e divisions nationale. Puis dans les années 1990, le club a périclité et subi plusieurs dépôts de bilan. En fait, je voulais simplement que ma ville joue à un niveau correct. » Son mandat de conseiller municipal et ses obligations professionnelles à Paris le font hésiter, avant d’accepter ce défi osé par amour de sa ville.
Philippe Troussier et les zicos d’Alençon
Pour comprendre ce dévouement sans faille, il faut remonter le fil de son adolescence normande, époque à laquelle le ballon rond tient déjà une place centrale dans sa vie. En 1984, à quatorze ans, il arrête le judo pour prendre une licence au Sporting Club de Damigny, club d’une petite commune de l’agglomération alençonnaise. Plus corpulent que la moyenne, loin d’être le plus technique, mais dur au mal, il parvient quand même à se faire une place dans l’équipe une dirigée par Patrick Berthereau : « Lors de son premier match, je l’ai fait entrer en tant qu’attaquant, et on a mis un carton à l’adversaire. Il s’avère qu’après, on n’a plus perdu un seul match. C’est devenu la mascotte de l’équipe, et on l’a surnommé comme ça. » Boute-en-train du vestiaire, il ne quittera plus l’équipe et participera à la belle saison des minimes de Damigny, champions de Promotion d’honneur et défaits seulement en quarts de finale de la Coupe de Basse-Normandie par le Stade Malherbe de Caen.
Stéphane Guy avec les minimes de Damigny lors de la saison 1984/1985
Les belles performances de l’équipe attirent même l’œil des recruteurs du coin puisque son ami et coéquipier Christophe Ferron file au centre de formation du Stade lavallois en 1986… Tout l’inverse de la mascotte des Rouge et Blanc. « Il ne faut pas se mentir, ce n’était pas un très grand joueur de foot, concède Cyrille François, qui a évolué avec lui quand il était surclassé. Il a choisi la bonne carrière, car footballeur pro, il n’aurait jamais réussi. » De toute façon, le pivot dégingandé sait déjà qu’il veut faire une licence d’histoire pour devenir journaliste sportif. Déterminé, il n’attend pas d’avoir quitté Alençon pour mettre le pied à l’étrier. Après avoir aiguisé sa plume dans le journal de son lycée, il devient correspondant pour la revue de gauche Orne Info. Son tout premier article, un portrait du coureur de rallye Henri Cotentin, grand-père du rappeur alençonnais Orelsan, témoigne déjà de son intérêt pour toutes les disciplines sportives. Curieux et touche-à-tout, l’adolescent de 16 ans va également taper à la porte d’Alençon FM, radio associative lancée et animée par des zicos de la ville, dont Dominique Artois fait partie. « Un jour, il a débarqué dans les studios en disant qu’il était intéressé pour participer à l’émission sportive du dimanche soir. Petit à petit, il a passé beaucoup de temps sur le terrain, il se déplaçait avec sa mobylette pour suivre des rencontres ou faire des interviews, que ce soit lors de la course à pieds Alençon-Médavy ou du gala de boxe annuel de la ville. »
Stéphane Guy dans les locaux d’AFM Radio. (Crédits : L’Orne Hebdo)
En 1987, pour un article sur les joueurs issus de l’Orne, il se rend à Paris pour rencontrer deux d’entre eux. Fabrice Poullain, champion de France la saison précédente avec le PSG, et Philippe Troussier, qui vient d’arriver au Red Star après trois saisons remarquées sur le banc de l’USA. Si le coach audonien est le premier à le confondre avec Guy Stéphan lors du coup de fil préalable à leur rencontre, il se souvient parfaitement de cette première rencontre : « Sa posture et la manière avec laquelle il s’y était pris pour m’interviewer m’avaient impressionné. Il était jeune, mais il était très atypique, et il avait déjà du bagou. » À première vue anodine, cette rencontre sera capitale dans sa carrière journalistique puisqu’en 1998, Canal + l’envoie à Vichy pour un reportage sur l’Afrique du Sud, adversaire de l’équipe de France en ouverture du Mondial. Sur place, il retrouve Troussier, alors sélectionneur des Bafanas Bafanas, qui ne lui refuse rien, et lui permet de faire un reportage inédit. Grâce à Alençon, une nouvelle fois.
Alain Lambert et les moulins à légumes
Quelques semaines après un Mondial qui lui a permis de faire son trou à Canal, Stéphane Guy prend officiellement les rênes de l’USA. Sans école de football, très peu d’équipes de jeunes et un embryon de pôle d’éducateurs, l’association digère encore mal son retour dans les méandres du football local. Heureusement, Lair et Guy font venir des éducateurs de qualité pour poursuivre le bon travail de formation entamé. La preuve, Arnold Mvuemba, 13 ans, vient de rejoindre le centre de formation du Stade rennais, et un autre jeune du club, Jérôme Hiaumet, a remporté le championnat d’Europe des moins de 19 ans un an plus tôt. Malgré ça, le club reste encore un problème pour la municipalité. Ça tombe bien, le jeune journaliste est également élu au conseil municipal de la ville d’Alençon depuis 1995 et la victoire d’Alain Lambert, dont les souvenirs sont intacts. « Nous nous connaissions bien sur le plan personnel et familial, donc je lui ai proposé de rejoindre ma liste sans que ça représente pour lui un engagement politique au sens partisan du terme, rembobine l’ancien maire de la cité des Ducs. Je m’intéressais à la politique d’engagement, lui s’y intéressait de manière scientifique ou intellectuelle, donc nous parlions très souvent de politique, mais au sens des grands engagements. »
Titulaire d’un master en sciences politiques et fan inconditionnel du général de Gaulle, le jeune journaliste s’intéresse à toute la vie publique. Pour autant, le sport occupe bon nombre de ses missions, dont celle que le maire UDF de la ville lui confie à l’été 2000. « Alençon est jumelé à la ville malienne de Koutiala, qui considérait qu’on faisait toujours beaucoup pour eux, et qui avaient le sentiment de ne pas faire assez en retour. Je leur ai donc demandé s’il pouvait nous prêter trois footballeurs », se remémore Lambert. Accompagné de François Omam-Biyik, Stéphane Guy part au Mali avant d’accueillir en Normandie Makan Camara, Ba Youssouf et Jacques Dembélé. Les jeunes Maliens de l’EF Koutiala se lient rapidement d’amitié avec le président, intègrent le groupe de l’équipe première et participent à ses bons résultats, à commencer par la remontée au plus haut niveau régional en 2002. C’est à cette date qu’il laisse peu à peu les clés du minibus à Christian Lair, tout en restant dans un rôle de vice-président.
Ouest France, 1er septembre 2000
Très pris par ses obligations professionnelles, il s’éloigne également de la vie publique, même s’il fait l’aller-retour tous les lundis soir entre Paris et la Normandie, accompagné d’Alain Lambert, dont la voiture sénatoriale l’attend à la sortie du conseil municipal vers 22h30. À l’approche des élections de 2001, il décide de ne pas être sur la liste de son mentor, mais quitte la politique locale de manière engageante. « Il a créé un club de supporters avec la compagne d’un des dirigeants historiques d’Alençon-Médavy, et un ancien avocat, avant de recueillir 201 signatures. J’ai été élu avec 60% des voix, ce qui est le meilleur de mes scores aux municipales. » Ce cadeau va presque être empoisonné car le troisième et dernier mandat d’Alain Lambert est marqué d’entrée par la fermeture de l’usine Moulinex, berceau historique de la marque depuis 1937 et l’invention du moulin à légumes. Racheté par Brandt, le numéro 1 français du petit électroménager délocalise une partie des activités de l’usine dans la Sarthe et au Mexique. Un coup dur pour la préfecture de l’Orne, qui va peiner à s’en relever, au point de se transformer en une ville désindustrialisée.
Paul Le Guen et les municipales 2020
S’il quitte la vie publique par manque de temps, il reste encore quelques années aux côtés de Christian Lair à la tête de l’USA. « On voyait moins souvent Stéphane puisqu’il était sur Paris. Mais pour le club et pour nous, même si ça ne nous affectait pas, ça nous rapportait forcément un peu de notoriété », se souvient Cyrille François, capitaine de l’équipe première de l’époque. Moins présent dans les couloirs du stade Jacques Fould, il demeure néanmoins proche du noyau A et n’hésite jamais à faire un tour dans les vestiaires. « Je crois que Stéphane exerçait sur les joueurs une sorte de fascination parce qu’ils savaient déjà qu’il côtoyait les plus grands joueurs de foot, rejoue Alain Lambert. Il m’emmenait dans les vestiaires, et je voyais comment il vivait avec eux la préparation du match, il était presque en transe avec les joueurs et ça m’impressionnait beaucoup. » En 2005, après quatre ans comme rédacteur en chef de l’émission équestre La Grande Course, il devient un vice-président comblé quand l’USA est championne de Division d’honneur, synonyme de montée en CFA 2. Et encore plus la saison suivante lorsque le club se hisse en 32es de finale de Coupe de France, avant d’être éliminé par l’US Roye, pensionnaire de CFA.
Ce sera le dernier coup d’éclat de son US Alençon. Car en 2007, alors que Canal + acquiert les droits de la Premier League, il devient le commentateur numéro un du football anglais. Un an plus tard, à l’été 2008, il donne sa démission à Christian Lair et quitte officiellement le club vert et blanc. Une nouvelle fois par manque de temps, même si la presse locale de l’époque croit savoir que c’est le retour sur le banc de Christophe Ferron, démis de ses fonctions deux ans plus tôt par son ancien ami d’enfance, qui explique son départ. Qu’importe, car depuis cette date, Stéphane Guy ne s’est pas éloigné totalement du club. Quand il n’est pas dans les travées du stade Jacques-Fould, il n’hésite jamais à faire une référence à Alençon en direct sur Canal +. « Ça, c’est sa passion du foot, et sa passion citoyenne au sens de l’identité ornaise. C’est un vrai paysan au sens du socle et du terroir, il a une vraie identité et il la revendique », tente d’expliquer Philippe Troussier, qui est resté proche de Stéphane Guy.
Il n’y a pas qu’à l’antenne qu’il continue de montrer son amour pour sa ville. Le 15 juin 2018, à la veille de l’entrée en lice de l’équipe de France lors du Mondial russe, il organise une soirée événement au parc-expo d’Alençon. Sur scène, devant près de 2800 personnes, il invite Lilian Thuram, Roger Lemerre, Habib Beye, Gilles Grimandi, Arnold Mvuemba et Julien Cazarre. Il réalise même un duplex avec Guy Stéphan, qui révèle en avant-première le onze qu’alignera Didier Deschamps le lendemain contre l’Australie. Comme en 1998, l’événement est un succès, et prouve à nouveau son attachement indéfectible à sa ville. Suffisant pour qu’en mars 2019, un an avant les élections municipales, et alors qu’aucun candidat de centre-droit n’a annoncé conduire une liste, L’Orne Hebdo affirme qu’il pourrait faire son retour dans la politique locale. « J’ai tout fait pour qu’il se présente aux élections municipales il y a maintenant presque un an, je l’ai présenté à un certain nombre de gens de toutes sensibilités politiques, avoue Alain Lambert. Puis ça ne s’est pas fait pour des raisons de temps. Il ne voit pas comment il peut concilier sa vie professionnelle et des engagements politiques. » Pourtant, nombreux pensent qu’il fera un jour ou l’autre son retour dans la vie publique alençonnaise. Comme maire ? « C’est la grande blague de Paul Le Guen, ça. Mais j’ai une vie trop occupée pour m’engager. Puis siéger au conseil municipal, ça n’a d’intérêt que si c’est utile pour ma ville », rétorque-t-il. En attendant, il revient dans la Cité des Ducs à chaque fois que son emploi du temps le lui permet. Et avec le même plaisir qu’il y a vingt ans, quand les jeunes de l’US Alençon remportaient « sa » Coupe du monde 1998.
Par Maxime Renaudet
Tous propos recueillis par MR.