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« À la récré, il y avait toujours de bonnes affaires à faire… »
Découvert sur le tard par le monde du foot pro, Gaël Angoula est loin d'avoir connu l'adolescence classique des footeux issus des centres de formation. Entre petites et grosses conneries d'ado, foot avec les potes et glandouille à la cité, le Havrais de naissance a accepté de regarder dans le rétro. Première partie d'un entretien sans langue de bois.
Après Angers, te voilà à Nîmes, dans une équipe qui a réalisé un truc incroyable la saison dernière en se maintenant haut la main malgré les huit points de pénalité. Est-ce que c’est quelque chose qui a pu jouer dans ta décision d’aller là-bas ?Oui, ça a joué car, même si, avec les joueurs d’Angers, on jouait à l’étage supérieur, on était plusieurs à suivre la Ligue 2. Du coup, on était super attentifs aux résultats de Nîmes puisqu’ils avaient subi une injustice dans le sens où ils n’étaient pas responsables des agissements de certains dirigeants. En plus, ils ont pris un mauvais départ, et personne ne donnait cher de leur peau à la trêve. Au final, ils s’en sont sortis magnifiquement, et ça, c’est quelque chose qui nous a marqués. Ça n’a peut-être pas la même valeur financière qu’une montée, mais ça a au moins la même valeur émotionnelle.
Maintenant que tu connais le groupe de l’intérieur, tu comprends mieux pourquoi ils en sont arrivés là ?Oui, carrément. Il y a un vrai état d’esprit de guerrier ici, même si le groupe est très, très jeune, puisqu’avec Fethi (Harek, ndlr), on est les deux seuls trentenaires. C’est un groupe très soudé, les mecs sont des potes et ça se voit, ils se côtoient pour la plupart depuis les catégories de jeunes. Je ne suis pas étonné de voir ce qu’il s’est passé, vu l’état d’esprit qui règne dans cette équipe.
Toi qui as connu la folie du stade Furiani et qui joues désormais aux Costières, avec un public assez chaud, est-ce que tu dirais que t’as besoin de ce genre d’ambiance pour vivre pleinement ton métier ?Oui c’est clair, moi j’en ai besoin. À Angers, c’était totalement différent de ce que j’avais connu à Bastia : c’est un public qui peut être parfois un peu attentiste, même si le groupe de supporters donne pas mal de voix. Mais à Bastia, c’est vraiment plus un public de supporters qu’un public de spectateurs. Du coup, ce que j’ai vécu là-bas, pfff, c’était un bonheur, un pur kif. Et là, à Nîmes, je vais retrouver un contexte qui me plaît bien. Ça me fait penser un peu au tempérament qui régnait à Bastia.
Ça fait quoi de jouer à Furiani sous le maillot du Sporting ?C’est impressionnant. Au début, quand le match commence, ça va, mais nous, Cahu (Cahuzac, ndlr) et moi, c’était un peu notre job de mettre le feu sur le terrain afin d’embraser tout le stade. Dès que le public ressent une injustice, une agression sur un de ses joueurs ou un truc comme ça, là ça devient taré, c’est une marmite, le truc ! Du coup, voilà, avec Cahu, notre rôle, c’était vraiment de faire monter la sauce, de créer un attroupement, lancer quelques provocations, tout ça quoi.
Ils aiment tellement ça là-bas…Ah, ils adorent ! Ils préfèrent un bon vieux tacle à la gorge qu’un petit pont. Ce sont des gens qui sont très attentifs au comportement du joueur, à son engagement sur la pelouse. Ils pardonnent tout à un joueur qui mouille le maillot, ce qui n’est pas le cas avec un mec qui fait sa starlette.
Tu devais te sentir comme un poisson dans l’eau, non ?Ah oui, c’était parfait pour moi. Je ne suis pas le joueur qui va te mettre des passements de jambes, des petits ponts ou des roulettes, hein. Après, si tu me demandes de prendre un mec, de le harceler et d’aller au charbon, je suis là, il n’y a aucun souci.
Tu te sers de ces leviers quand t’es au marquage d’un gars, les petits mots, les intimidations, histoire de bien lui montrer sur qui il est tombé ?Non, pas forcément. Après, ça peut arriver que ça chauffe naturellement. Mais c’est vrai que j’essaye de « soigner » mes premiers contacts afin de montrer au mec qu’aujourd’hui, il n’y aura rien pour lui. Après, ça dépend, t’as des joueurs qui ont aussi du tempérament et qui passent au-dessus de tout ça, mais t’en as d’autres qui vont se liquéfier.
Pour revenir à toi, dans quel environnement familial et social as-tu grandi au Havre ?J’ai vécu dans un quartier. Mes deux parents travaillaient et nous éloignaient de tous les soucis du quotidien. J’ai vécu comme un petit garçon normal, j’allais à l’école avec des affaires propres, avec mon petit cartable et toutes les fournitures de rentrée. On n’était pas au courant du système D et de tout ça. Je me souviens que ma mère rentrait du boulot assez tard et qu’elle me ramenait des pipas. Tu sais, les petites graines de tournesol ? J’étais un gros fan des pipas (rires) et elle me ramenait mon petit paquet tous les soirs. Je croyais que tout était beau, que tout était rose, quoi. Je n’ai jamais manqué de rien, mais en grandissant, tu ouvres un peu les yeux et tu te rends compte que tout ne va pas forcément si bien que ça.
T’es toujours fan des pipas ?Ah ouais, mais laisse tomber ! Je surkiffe, c’est mon gros pêché mignon, mon domaine. Quand j’étais gamin, on avait des petits paquets à vingt centimes, mais maintenant c’est mort, je les achète en gros !
T’avais des rêves quand t’étais môme ?Non, pas plus que ça. Il y avait forcément le foot. J’allais souvent à la salle d’animation où des éducateurs nous proposaient un paquet de sorties, un coup au cinéma, un coup une balade à vélo, et moi, mon grand truc, c’était le foot en salle les mardis et jeudis soir. Après, je ne rêvais pas forcément d’être professionnel, ni de rien de bien précis d’ailleurs. Je profitais de l’instant présent avec mes potes, c’est tout.
Je crois savoir que t’as aussi fait quelques conneries avec les jeunes du quartier. Ça se résumait à quoi ? Les petites conneries que l’on fait tous, ou alors tu poussais un peu plus loin ?Disons que j’ai involontairement créé des soucis à mon entourage, aux gens que j’aime, en faisant des bêtises. J’étais un de ces gamins de quartier, solidaire du groupe et assez influençable. Dès qu’il y avait une connerie à faire, qu’elle soit petite ou grosse, voire très grosse, bah j’étais de la partie. Dès qu’il en manquait un et qu’on me sollicitait, j’y allais sans rechigner. Avec le recul, je me dis que ça me permettait aussi d’être intégré et respecté.
Faute avouée étant à moitié pardonnée, tu ne nous avouerais pas une de tes petites conneries du passé. Il y a prescription…Une petite, une petite… (Il réfléchit) Qu’est-ce que t’entends par petite ?
Ce que tu veux, on est entre nous, hein.Je ne sais pas… Allez, j’ai déjà participé à des vols de jantes chez les concessionnaires ou chez les particuliers. Après, c’est monté crescendo. Même si je n’étais pas adepte de ça, tu te retrouves dans des équipes qui volent des voitures et ainsi de suite… C’était compliqué pour mes parents, car ils n’ont rien raté dans notre éducation. Mais bon, heureusement qu’ils étaient là, car ça m’a empêché de plus mal tourner encore.
Dans ces cas-là, est-ce qu’on se dit : « Merde, qu’est-ce que je suis en train de leur faire, les pauvres… » ? Oui, c’est ça. Je me souviens d’un jour où mon père a craqué, il m’a descendu en bas de l’immeuble devant tout le monde et il m’a dit : « Tu penses que t’es un bonhomme ? Ben viens, maintenant on va se battre comme des hommes. » Il a voulu me mettre une rouste, c’était un peu le « dawa » en bas de l’immeuble, ma mère et mon frère qui descendent, etc. Je ne faisais pas le malin, je ne voulais pas du tout me battre avec mon père, donc là t’es… Disons qu’il faut remballer sa fierté ! Tu remontes à la maison, tu te poses et tu te dis : « Putain, merde, pour en arriver là, c’est vraiment que je suis en train de déraper. » Sur le coup, ça calme. Mais bon, deux jours après, c’est reparti. Chassez le naturel…
Si le Gaël d’aujourd’hui croisait la route de celui de l’époque, il lui dirait quoi ?J’essaierais de lui parler, mais c’est sûr que le Gaël de l’époque n’écouterait rien. C’est dur de trouver la bonne recette dans ces cas-là. Mon père a tout fait pour me faire comprendre les choses et ça n’a pas marché… En tout cas, à l’avenir, j’essaierai de me servir de tout ça pour bien éduquer mes enfants et leur éviter de suivre le chemin de leur papa quand il était gosse.
À cette époque-là, t’es déjà un gros fan de sport ?Oui, à fond. Je pratiquais la boxe thaï à raison de deux entraînements par semaine, j’essayais vraiment d’être assidu… Quand je n’avais rien d’autres à faire, hein ! (Rires) Je devais avoir seize ou dix-sept ans, je suivais les grands du quartier et on allait à la boxe, on y retrouvait aussi les videurs de boîtes. En fait, en réfléchissant bien, ça allait aussi avec les à-côtés, avec les conneries, les trucs illicites qu’on faisait. C’était un peu en mode : « Tu dois régler tes problèmes par tes propres moyens. » Les sports de combat allaient parfaitement avec la vie de branleurs qu’on menait !
Comment tu jugerais ton niveau de l’époque. T’as mis plus de branlées que t’en a prises, ou c’est plutôt l’inverse ?Bon jeu de jambes, mais des lacunes en boxe anglaise. Après, des roustes, j’en ai mis et j’en ai pris. Un peu comme dans la vie, comme dans les bagarres au quartier.
Justement, ça t’a servi dans les bastons « hors cadre » ? Ouais, ça a pu me servir. Quand il fallait aller au charbon, tu te sentais un peu plus fort et un peu plus entraîné que les autres. C’est-à-dire qu’un mec qui bouffe des kebabs toute l’année, même s’il est plus imposant que toi, tu sais que tu peux faire la différence. Après c’est aussi un état d’esprit. J’ai envie de dire que la muscu – même si je ne suis pas un adepte – ou les sports de combat, ce n’est pas ça qui va te faire pousser les couilles, entre guillemets. Même si les sports de combat peuvent t’aider à prendre confiance en toi.
Et à l’école, comment ça se passait pour toi ?Je n’aimais pas forcément l’école, mais à la récréation, il y avait toujours des bonnes affaires à faire, puisque tu fréquentais des gars d’autres quartiers ! (Rires) Du coup, je n’y allais pas non plus à reculons. En revanche, j’avais du mal à aller dans une salle de cours… Pourtant, j’avais des facilités, surtout au niveau de la mémoire auditive. Mais bon, je me mettais souvent au fond de la classe et soit je faisais le pitre, soit je ne faisais rien. Après, je ne voulais pas non plus lâcher, parce que je savais que c’était important pour mes parents et il fallait que j’essaye de bien travailler pour adoucir la peine que je leur causais.
Et tu es allé jusqu’où ?J’ai eu mon bac de français, mais c’était dans une situation un peu particulière, puisque je l’ai passé en prison. Après ça, j’ai décroché mon bac STT option gestion. Là, je dois avouer que ça a été un réel soulagement vis-à-vis de mes parents.
Tu le disais, tu es passé par la case prison. Comment t’en es arrivé là ?Bah, tu joues, tu joues, tu joues et puis… C’est le jeu du chat et de la souris et, un jour, tu perds. Ou plutôt, on contribue à ce que tu perdes parce que, dans mon cas, c’était de la délation. Voilà, tu te retrouves du jour au lendemain dans un environnement que tu ne connais pas et ça fait bizarre. Même si, au début, tu te dis que ça ne va pas être si dur que ça. En fait, mon premier choc, la première fois que j’ai vraiment ressenti la sensation de privation de liberté, c’est quand j’ai reçu ma première lettre. C’était mon frère, Aldo, qui m’écrivait, et cette lettre m’a marqué, elle me marquera toute ma vie. Après, bon, voilà, je n’ai pas envie de m’attarder là-dessus, je ne veux pas faire la promotion de ça, de ce style de vie. D’autant que pour mes parents, ça reste une blessure. Dans les autres interviews que j’ai faites, je faisais plutôt la promotion de la seconde chance, j’appuie vraiment sur le fait qu’il faut accorder une seconde chance à tous les gens qui passent par ce genre d’établissements. Après, ils la saisissent, ils ne la saisissent pas…
Du coup, après ça, tu vas rencontrer ton « sauveur » , Jacky Colinet, qui va te tendre la main. Je le connaissais d’avant, à Fécamp, quand j’ai été envoyé à l’internat à cause de mes conneries. Là, il m’a pris dans son équipe et on s’est retrouvés plus tard à Bois-Guillaume. Il a toujours été très dur avec moi, il avait très peu de mots gentils, mais il était très droit et il a été primordial pour moi dans ma vie d’homme. C’est lui qui m’a aidé à me sortir du milieu carcéral, puisqu’il m’a fait une promesse d’embauche au club de Bois-Guillaume et c’est un peu là que tout a commencé. Le club venait de monter en CFA, et moi, je me demandais ce que je foutais là. La première année, j’ai participé aux entraînements pour faire une remise à niveau, voire une mise à niveau tout court. Comme je ne jouais pas, mon quotidien était rythmé par la vie du club. J’arrivais là-bas dès 9h du matin et je repartais le soir vers 18h. Je m’occupais des licences des jeunes, je gérais les appels du secrétariat, je faisais de l’intendance, je traçais les lignes, j’entraînais les gamins le mercredi, etc. Ça m’a changé de retrouver une vie normale, tu dors sur tes deux oreilles, tu gagnes ta vie honnêtement.
Ça a été un déclic pour toi ?Pas vraiment. Le réel tournant pour moi, c’est durant la deuxième saison, lorsque je suis parti faire un essai à Auxerre. Là, tout à coup, tu côtoies le milieu professionnel et tu te dis : « Pourquoi pas moi ? » J’ai passé une semaine là-bas et je ne me suis pas trouvé ridicule. Quand je regardais les matchs des pros à la télé, je m’en faisais tout un pataquès alors qu’en fait, ce n’est pas si inaccessible que ça. Je trouvais que je m’en sortais bien, je pensais que l’essai allait être concluant, mais la sanction est tombée et j’ai pris 18 matchs de suspension (après avoir cassé la jambe d’un joueur du Red Star lorsqu’il évoluait à Auxerre, ndlr).
Est-ce qu’après l’incident contre le Red Star, tu t’es dit que tout était fini avant même d’avoir commencé ?Non, même pas. Ça ne m’a fait ni chaud ni froid en fait. Je ne vois pas ça comme une fatalité. Je me dis que je vais retourner à Bois-Guillaume, j’ai mon emploi-jeune, je vais reprendre avec la CFA et, au final, je pars sur une troisième saison là-bas sans rechigner.
Et par rapport au joueur dont tu as cassé la jambe, ça a trotté dans ta tête ?Oui, ça m’a fait quelque chose. Pourtant, ça arrive sur un truc anodin. Dieu sait que, parfois, j’ai mis des tacles limite-limite, mais là, c’est vraiment sur un contact anodin. Et après ça, inconsciemment, ça a joué, je n’osais plus mettre le pied dans les duels.
T’as essayé de prendre des nouvelles de ce joueur ?Oui, mais le Red Star a refusé de me donner son numéro. En fait, les seules nouvelles que j’ai eues, c’est lorsque j’ai été convoqué au commissariat : on m’a dit qu’il avait porté plainte. Un jour, je reçois une convocation et je me dis : « Merde, qu’est-ce que j’ai encore fait ? » J’ai cru que c’était un truc en rapport avec mon passé. Sur le coup, je ne faisais pas le fier, j’arrive au commissariat, je m’assois, et là, le mec me parle de foot. Je lui dis : « Donc ce qui s’est passé sur le terrain, ça arrive jusqu’au commissariat ? » et il me répond que oui. Un truc hallucinant.
Ta réaction à ce moment précis ?Ça reste un fait de jeu, mais le mec a voulu gratter de l’argent à foison. À foison ! Je crois qu’en fait, c’était un ancien espoir du PSG – il était sur le banc lors de la demi-finale entre le PSG et Barcelone, celle où Guérin marque un but –, qui s’est ensuite retrouvé en Angleterre, puis a fini au chômage. Du coup, il jouait au Red Star en attendant de trouver mieux, et c’est là qu’on s’est croisés. Soit disant que ce que je lui avais fait avait mis un terme à sa carrière, et il m’attaquait parce qu’il avait un manque à gagner. Je me suis retrouvé dans un truc… Le bordel total.
Et ça s’est fini comment cette histoire ?J’ai pris un avocat et j’ai fait couvrir les frais par l’assurance que j’avais en tant que licencié amateur. Après, le mec s’est retrouvé en procès avec Generali, avec la caisse d’assurance maladie, avec tout le monde. Et moi, je me suis retrouvé convoqué à la chambre de « je ne sais pas quoi » à Paris… Qu’est-ce qu’ils me racontent les mecs ? Pour un match de foot ?
Tu l’as revu depuis ?Non. Pour être franc, je ne sais même pas à quoi il ressemble.
Propos recueillis par Aymeric Le Gall