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À la recherche de Toni Kroos, entre Redondo et Di María
Les cheveux soigneusement peignés. Les joues fermement rasées. Le col précieusement boutonné. Le regard et la posture de celui qui est toujours calme. Chez Toni Kroos, du plus léger des appuis à la plus lourde des frappes envoyées comme un projectile vers la lucarne adverse, tout est contrôlé. Pas un seul tir en déséquilibre, pas un seul cheveu qui dépasse, pas une seule passe en retard. Et pourtant, Toni ne contrôle pas un élément essentiel : sa position sur le terrain. Alors qu'il aurait pu devenir le Frank Lampard de la prochaine décennie en Premier League, Kroos a quand même choisi Madrid. Au prix de devoir à nouveau défendre pour les autres ? Contre Séville, Kroos a joué tout seul devant la défense, en numéro 6, très loin du but. D'où plusieurs interrogations : Madrid peut-elle se passer de Xabi Alonso et Di María ? Quel est le vrai poste de Kroos ? Et enfin, peut-on vraiment devenir numéro 6 ?
Un blond aux pieds malins atterrit à Madrid, et Chamartín se remet à rêver de Fernando Redondo. Dans ce club schizophrène dont l’ADN est marqué par la victoire plus que par le jeu, le combat idéologique est éternel : il y a les pro-Redondo et il y a les pro-Makelele. Les rêveurs veulent un maximum de joueurs « qui respectent le ballon » , les réalistes ne veulent pas oublier de protéger leur défense. Et la question du positionnement de Kroos s’insère déjà naturellement dans la tradition du club. En raison d’erreurs sportives ou de succès marketing, le Real Madrid des galactiques s’est toujours imposé des contraintes supplémentaires.
En clair, avoir des attaquants qui défendent peu, et que l’on encourage peu à défendre : des Benzema et Cristiano plutôt que des Lewandowski et Ribéry. La loi d’un club où, lorsque Raúl défendait comme un chien, on le soupçonnait de démagogie. Même Carlo Ancelotti a plus ou moins accepté cette tradition, déclarant en novembre : « Je n’aime pas donner beaucoup de travail défensif à des joueurs comme Cristiano et Bale. Nous avons besoin de leur énergie pour autre chose. » Une tendance qui mène naturellement vers un football d’équilibriste, accumulant les attaquants et réduisant le peu de milieux à devoir défendre plutôt que savoir construire. Des équipes qui foncent très haut vers l’avant en s’appuyant sur une seule jambe. Celle de Makelele, Gravesen, puis les deux Diarra. L’arrivée de Toni Kroos est-elle le signe d’une volonté d’un retour à un football joué dès le milieu ?
Dans les bottes de Xabi Alonso ?
Contre Séville, Kroos a joué seul devant la défense, aidé par Modrić et James, puis Illarramendi et Isco. En clair, Kroos pour remplacer Alonso à l’organisation, et James pour Di María à l’explosion. Mais si cette première option permet d’intégrer les deux recrues, elle est accompagnée de deux gros défauts. D’une part, le Real ne tire pas le meilleur de l’Allemand. Autrefois destiné à devenir le milieu relayeur du futur alignant les lucarnes une par une, Kroos se voit une nouvelle fois contraint à mettre en ordre son milieu quand il sait lui-même si bien désorganiser le rival. Parce Kroos est un joueur qui profite du mouvement, à l’aise quand cela va vite, comme l’a montré sa maîtrise des transitions contre le Brésil au Mondial. Est-il venu à Madrid pour organiser la possession et couvrir les montées de son latéral gauche, c’est-à-dire ce qui l’avait poussé à quitter Munich ? C’est le symptôme d’un joueur peut-être trop complet, qu’on peut faire jouer partout, et qui finit par se sacrifier pour les autres.
D’autre part, l’institution blanche perd alors Xabi Alonso, l’homme qui préside son jeu depuis cinq saisons intenses. Sans la lecture du jeu d’Alonso, le Real n’aurait jamais piégé le Bayern. Sans Alonso, le Real a sombré collectivement contre l’Atlético. Alonso était l’unique « entraîneur sur le terrain » d’Ancelotti. En 1994, Jorge Valdano avait fait le trajet Tenerife-Madrid avec Fernando Redondo dans ses valises. Voilà les mots qu’il avait employés pour décrire l’envergure de l’influence du blond argentin sur ses hommes : « Quand le gardien adverse dégageait, Redondo était le premier à se jeter dans le combat aérien pour le ballon. Quand l’adversaire nous débordait sur les côtés, il prenait la position du défenseur central pour que ce dernier puisse sortir sur l’aile. Quand on récupérait le ballon, il proposait les chemins. À chaque fois qu’il faisait une passe, c’était comme s’il disait à son coéquipier :« Essaye, et si tu n’y arrives pas, redonne-moi la balle. » C’était la clé de voûte de l’équipe. » L’élégance est fondamentale, mais Kroos a-t-il les épaules pour porter une telle responsabilité ? À Cardiff, Xabi Alonso était suspendu. Et lors des deux rencontres suivantes contre l’Atlético, Ancelotti a remis le Basque au centre de son équipe.
Les conséquences du départ de Di María
Le départ de Di María métamorphose l’arrivée de Kroos à Madrid. De nouvelle arme exquise venant simplement compléter l’armada du milieu, l’Allemand devient un joueur sous pression. Le Real a peut-être acheté les deux joueurs les plus « en vue » du dernier Mondial, mais il a surtout perdu le joueur le plus déterminant de sa dernière saison. Celui qui incarnait la polyvalence d’un milieu capable de contre-attaques vertigineuses et de rares conservations de balle. Celui des 11 buts et 24 passes décisives. Et surtout celui qui permettait au Real de passer aisément du 4-3-3 en phase offensive au 4-4-2 en phase défensive.
Si Ancelotti souhaite conserver sa paire Alonso-Modrić et donner le troisième poste du milieu à Kroos, il va ainsi rencontrer trois problèmes : les variantes offensives de Kroos ne sont pas assez différentes de celles de Modrić et Alonso pour briser une défense organisée, James et Isco vont avoir des difficultés pour s’insérer dans le schéma, et Ancelotti ne pourra plus défendre en 4-4-2. Et comme il le disait en novembre : « C’est plus difficile de défendre avec trois milieux de terrain qu’avec le 4-4-2, qui te permet de couvrir toute la largeur du terrain. » Modrić et Kroos ont des profils similaires et un besoin commun : être au cœur du jeu. Une équipe qui vit de la contre-attaque et de la verticalité peut-elle se permettre de jouer avec deux cœurs ? En admettant qu’Alonso, Kroos et Modrić peuvent tourner sur les deux postes centraux, peuvent-il défendre comme Di María dans le 4-4-2 ?
Et si Toni Kroos n’était pas qu’un autre galactique ?
Sinon, il faut changer. C’est finalement la seule façon de percevoir ce mercato madrilène comme une réussite pour Ancelotti : que le club souhaite prendre le temps de donner la priorité au jeu, avec une star allemande qui s’épanouit grâce aux mouvements de ses coéquipiers. Sans les mourinhesques Di María et Özil, et malgré James et Isco, le Real a indéniablement perdu en verticalité. Mais avec Kroos et Modrić, Florentino suscite les applaudissements de Cruijff, donne l’espoir de voir triompher la virtuosité collective, redonne du sens à Illarramendi et suit les conseils de César Luis Menotti, qui déclarait en 2011 : « La contre-attaque, c’est comme l’amour, elle se trouve. Tu ne peux pas la planifier. Planifier une contre-attaque est une connerie, parce que la contre-attaque apparaît, elle surgit, elle ne se prévoit pas. Dans n’importe quel jeu, la surprise est fondamentale. Le piège, et la contre-attaque, c’est ça : de la surprise. Donc une équipe fondée uniquement sur la contre-attaque ne peut exister. »
L’arrivée de Kroos et le départ de Di María forment une véritable épreuve pour le madridisme : l’autre Madrid, celui du jeu, de Redondo, Valdano, Raúl et Guti, existe-t-il vraiment ? Ou alors n’est-il devenu que le fantasme d’un soi-disant « vrai » Madrid, authentique, espagnol et vertueux ? Carletto a beau répéter qu’ « avec un tel effectif, c’est impossible qu’il y ait un seul onze fixe, nous allons utiliser tous les joueurs » , Madrid a besoin de noms, d’une hiérarchie, de rois et de valets, et du sang qui va avec. Dimanche, Xabi Alonso a rendu hommage à Di María à travers ces lignes : « Nous n’oublierons jamais ton zigzag de la prolongation à Lisbonne… » Maintenant que Florentino a gagné la Decima, à Ancelotti de faire zigzaguer Kroos entre les pas de Redondo et l’ombre de Di María, pour s’attaquer à l’immense mission qu’est la quête du jeu.
Par Markus Kaufmann
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