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À la Meinau, l’extase de France
Les 21 746 personnes tassées dans l'antre du Racing Club de Strasbourg ont toutes, d'une manière ou d'une autre, contribué aux seules vraies satisfactions de ce match France-Bosnie : le retour d'un beau public pour soutenir les Bleus après deux ans de restrictions sanitaires, mais surtout des déplacements en région. Alors merci, la Meinau.
99% des interviews d’un coach à chaud à la mi-temps sont inutiles. Et dans le dernier pourcent restant, 99% trouvent leur utilité grâce aux fameux aléas du direct. C’est ainsi que ce mercredi, à Strasbourg, Didier Deschamps a offert cette fameuse part des anges. « Je n’ai rien entendu, mais c’est pas plus mal », a-t-il répondu au moment où Carine Galli lui tendait son micro floqué M6. Pour éviter tout incident diplomatique avec un des diffuseurs officiels de l’équipe de France et par la même occasion avec la profession, le sélectionneur est revenu de lui-même sur cette scène dès son arrivée en conférence de presse. « Il pourrait y avoir des interprétations après ce que j’ai dit à Carine Galli à la mi-temps, donc je préfère clarifier, soufflait-il, penaud. Je ne l’entendais pas avec le public, mais je n’ai pas fini ma phrase. Il n’y avait pas l’intention de l’attaquer personnellement. » Ouf, tout le monde respire.
Pendant que le sélectionneur continue de se confondre en excuses auprès de l’intéressée sur le parking de la Meinau, les derniers supporters se cramponnent sur un muret pour apostropher les champions du monde qui grimpent dans leur bus. Dans cette histoire anecdotique, le seul mot important est « public ». Cette masse bruyante et joyeuse. Cette foule bleue qui a mouillé ses maillots de l’équipe de France et du Racing pendant plus de 90 minutes. Cette marée qui a enchaîné les encouragements quel que soit le score au tableau d’affichage. Et tant pis pour les acouphènes de Didier.
Pour toi public
Ce match nul laissera sur sa faim la plupart des observateurs, et à raison. Mais cette Meinau, elle, a kiffé sa soirée de mercredi comme rarement. « C’était magnifique. Les supporters auraient mérité certainement un meilleur match, un meilleur résultat parce qu’on a ce devoir de performance et ce devoir de résultats, reconnaissait Hugo Lloris. Malgré ça, tout le monde reste positif. Ils sont là pour soutenir les joueurs de l’équipe de France. Cette communion est importante à leurs yeux et à nos yeux. »
Il faut dire que ce moment marquait des grandes retrouvailles pour tout le monde. Déjà pour les Bleus, qui retrouvaient pour la première fois un stade aussi garni depuis un certain France-Moldavie, le 14 novembre 2019 (ère post-Covid donc). Pour la première fois, ils disputaient un match officiel ailleurs qu’au Stade de France depuis septembre 2017 et une rencontre face au Luxembourg à Toulouse (0-0), sur le chemin du Mondial russe. Et s’ils cherchent encore une première victoire à domicile dans un match officiel en province depuis un certain France-Allemagne en demi-finales de l’Euro 2016 au Vélodrome de Marseille, c’est surtout pour les Strasbourgeois que l’attente a été longue. La capitale alsacienne n’avait pas vu passer de coq depuis un France-Finlande, en amical, organisé le 29 mai 1996 avant de décoller pour l’Euro anglais. Ce soir-là, Patrice Loko et Reynald Pedros avaient plié l’affaire en 20 minutes, et Didier Deschamps, lui, était resté en tribune pour souffler.
Les matchs en province, c’est oui, trois fois oui !
Ce désir de se voir, de se toucher, de se reconnaître n’est jamais à ce point palpable dans la cathédrale de Saint-Denis. La faute à la force de l’habitude, à la démesure de l’édifice, à ce parisianisme un peu snobinard aussi. Mais ici, à Strasbourg – comme ça aurait pu l’être à Lens, Saint-Étienne, Rennes et pourquoi pas Bordeaux -, c’est une France qui s’est sentie considérée qui s’est exprimée. Cette France qui multiplie les olas à en perdre un bras, qui se remplit de knacks à la moutarde, qui se pâme quand Karim Benzema réussit une frappe à l’échauffement, qui reconnaît le rappeur Gradur dans les coursives puis lui demande un selfie, qui s’égosille sur Les Lacs du Connemara de Sardou, qui n’oublie pas ses guerres de clocher quand l’ancien Grenat Pjanić frappe un corner ou qui chante « Les Messins sont des cochons », qui sifflote Mbappé par principe, mais l’acclame lorsqu’il claque un petit pont, et qui finit par applaudir son équipe. Peut-être parce que les Strasbourgeois savent trop bien ce que veut dire supporter. Que leur club les a trop bien habitués à ne pas vivre que des périodes dorées et qu’ils savent ne pas s’en offusquer. Qu’ils savent aussi qu’ils n’auront peut-être plus le privilège de revoir en vrai cette équipe nationale de sitôt. Mais peu importe, ils auront rappelé à quel point ces matchs, loin de l’Île-de-France, sont importants pour que le terme « Équipe de France » prenne tout son sens. Les Lyonnais, qui accueilleront les Bleus mardi prochain, peuvent avoir la pression : les Alsaciens ont mis la barre très haut.
Par Mathieu Rollinger, à Strasbourg
Propos de DD et HL recueillis par MR.