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À jamais les premiers, mais depuis ?
Le 26 mai 1993, l’Olympique de Marseille remportait la première Ligue des champions de l’histoire du football français. Mais ce jour qui aurait dû marquer l’avènement d’un grand d’Europe tricolore est en réalité le point de départ de 30 années de galère pour l’OM, qui n’a jamais retrouvé cette stature. Et qui vit dans le passé depuis.
Le 26 mai 1993, l’Olympique de Marseille est sur le toit de l’Europe. Sept ans après son arrivée, Bernard Tapie a tenu sa promesse, avec deux ans de retard, de remporter la Ligue des champions avec l’OM. « C’était dingue. Je souhaite à tous les supporters de France, même les pires ennemis, de vivre ça un jour, même si je suis encore heureux qu’on soit les seuls à qui c’est arrivé », se gausse Marco, membre historique du Commando Ultra 84. « On a été les premiers à le vivre, et 30 ans après, on est toujours les seuls. Si on m’avait dit que dans 30 ans, aucun autre club français n’aurait gagné la C1, je ne l’aurais pas cru. Ça montre que c’était pas si simple… » Trois décennies plus tard, c’est toute une ville qui est en fête ce vendredi 26 mai 2023, en souvenir de ses glorieux héros. Des festivités appropriées, selon Marco : « On nous renvoie parfois une sorte d’opposition entre le fait de célébrer Munich et le fait d’être ambitieux : ça n’a pas lieu d’être. On célèbre toujours le 8 mai, le 18 juin. Les grandes dates de l’histoire sont célébrées pour être meilleurs ensuite, et ambitieux. Célébrer Munich, c’est préparer la prochaine victoire. » Peut-être. En attendant, l’OM traverse depuis la pire disette de son existence, et la France attend toujours une deuxième coupe aux grandes oreilles.
Mai 1993, le début de la fin
Depuis le sacre de Munich, l’OM pèse un championnat, trois Coupes de la Ligue, deux Trophées des champions et une coupe Intertoto. Un bilan famélique, malgré les 20 saisons européennes. C’est simple : avec un titre de champion, cette période est la pire dans l’histoire de l’OM. Le triomphe de 1993, qui aurait dû être le point de départ de l’histoire moderne du club, sonne en réalité comme son apogée, avant une inexorable chute. Pourquoi ? Pour Gérard Gili, joueur puis entraîneur de l’OM (à trois reprises…), il faut reprendre depuis ce jour de printemps 1993 : « Munich n’était même pas passé que l’affaire VA-OM avait éclaté. Au-delà de l’image, il y a surtout eu des conséquences sportives dramatiques avec le titre de 1993 retiré, puis la rétrogradation en L2, et le refus de la montée en 1994-1995. Tout ce que le club avait construit en sept ans, il l’a perdu en un an. Il ne restait que le public. Et depuis, les moyens n’ont plus jamais été les mêmes. C’est ça le coup d’arrêt. » Des moyens qui sont toutefois vite revenus à la Commanderie, lorsque Robert Louis-Dreyfus a racheté le club en décembre 1996. La carte bleue du Franco-Suisse a chauffé pour bâtir une équipe taillée pour le titre et l’Europe en 1997-1998, et surtout 1998-1999, mais qui s’est manquée. « À ce moment, on a cru que l’OM allait retrouver le niveau, avoue Gili, Ces deux années-là, ils auraient dû être champions. L’équipe était très belle, la meilleure du championnat. Mais ça n’a pas marché, et sans retour sur investissement, on investit moins… »
Cette vraie fausse renaissance, symbolisée par la finale de C3 perdue face à Parme (2-0) en 1999, marque le début d’une décennie d’échecs, qui fait prendre du retard à un OM qui devient vite archaïque, notamment comparé à l’OL d’Aulas. D’après les yeux amoureux de Gérard Gili, l’OM est alors miné par des dirigeants à côté de leurs pompes : « Les dirigeants étaient-ils au niveau ? Les joueurs pouvaient-ils amener tout ça ? Pas sûr qu’il y avait les ingrédients. Est-ce que tout a été bien fait à Marseille dans le recrutement, la gestion d’équipe ? Non. » Selon le technicien qui a sorti l’OM de Ligue 2, on nageait alors en plein n’importe quoi sur le Vieux-Port : « L’OM a manqué de constance. Aujourd’hui, avec Longoria, on arrive à percevoir des objectifs sur le moyen terme, ce qu’on ne voyait pas avant. Marseille a trop longtemps avancé au coup par coup. On a eu 20 ans de Dreyfus où il n’y a rien : ça pose question, vu les moyens engagés, ça pose question sur les gens en place. Beaucoup de présidents restaient un an ou deux, on ne savait pas trop pourquoi ils étaient venus. Ils venaient encaisser le salaire comme les joueurs. Ils n’avaient aucune légitimité pour endosser ce costume, tout Marseille le savait sauf eux. »
Bosman et les finales maudites
S’il ne les nomme pas, Gérard Gili dessine les portraits des prédécesseurs de Pape Diouf, le premier à avoir réellement remis de l’ordre dans la maison OM. Arrivé deux ans après le départ du Sénégalais, et surtout le mandat très dépensier (et riche en succès) de Jean-Claude Dassier, Vincent Labrune récupère alors un club « qui n’a aucune ambition européenne particulière, car nous n’avions pas les moyens financiers d’être compétitifs en C1. Notre objectif était d’assurer la pérennité du club, pas de dépenser de l’argent que nous n’avions (malheureusement) pas ». Selon celui qui est depuis devenu le président de la LFP, le problème de l’OM se situe ailleurs, et concerne en vérité tout le football français : « Il faut être d’une mauvaise foi redoutable pour comparer des pommes et des carottes et 1993 à 2013… Ce n’est pas le même contexte, pas les mêmes enjeux et, surtout, pas la même concurrence », estime Labrune, selon lequel l’arrêt Bosman est le responsable : « Cette période des années 1990 était “l’âge d’or” du football français de clubs, avec nos 2 seules victoires… Le football français occupait la deuxième position au classement UEFA à cette époque, position plus jamais atteinte… Et depuis Bosman, nous n’avons plus rien gagné. »
Selon celui qui a présidé l’OM de 2011 à 2016, c’est donc l’ouverture des clubs à plus de trois joueurs internationaux, la fuite des talents nationaux, et l’explosion des droits TV à l’étranger qui expliquent le fossé qui s’est creusé entre la France et ses voisins européens : « La Ligue 1 n’a plus jamais été un championnat dominant, en raison d’une vision autocentrée sur les droits domestiques et qui s’est coupée des recettes européennes ou internationales. Si vous ajoutez à cela les contraintes fiscales qui sont celles de la France sur les salaires de joueurs, et le manque de surface financière des propriétaires de clubs français comparativement à leurs homologues européens, vous avez je pense la majeure partie de l’explication. » Et Labrune de conclure : « L’OM n’a donc jamais pu retrouver sa stature d’avant Bosman car, comme les autres clubs français, il n’a jamais eu les moyens financiers de pouvoir être compétitif en C1. L’OM a depuis davantage un budget pour être compétitif en Ligue Europa, ce qui s’est d’ailleurs traduit par trois finales, ce qui n’est pas un hasard. » De là à dire que l’OM doit maintenant viser la C3 plutôt que la C1, il n’y a qu’un pas que beaucoup franchissent. Un ex-dirigeant olympien met ainsi les deux pieds dans le plat, sous couvert d’anonymat : « L’OM vit dans son passé glorieux et refuse de voir la vérité en face. À jamais les premiers, c’est le passé. Aujourd’hui, l’OM doit devenir à jamais les premiers en Ligue Europa. C’est ça la réalité du club, comme tous les autres clubs du pays, en dehors du PSG. »
Avec trois finales de C3 disputées depuis 1993, l’OM, qui pèse aujourd’hui un tiers des 15 finales européennes du foot français, a effectivement trouvé son terrain de jeu. Et cela ne doit pas être vu comme un recul, selon Marco : « Je n’établis pas de hiérarchie entre les Coupes d’Europe, même la Ligue Europa Conférence, c’est une ligne au palmarès. Regarde la Roma comme ils étaient heureux de la gagner ! Il faut viser l’Europe, peu importe laquelle. En 2018, on a vécu les mêmes émotions qu’en 1993, on était dans le même état à Lyon qu’à Munich. Voir ton maillot remporter une finale, ça n’a pas de prix. » Le problème étant que, depuis 1993, l’OM a pris la fâcheuse habitude de perdre ses finales : trois de C3 donc, mais aussi trois en Coupe de France (2006, 2007, 2016), sans parler des éliminations rocambolesques comme face à Annecy cette année. « C’est un problème. On n’arrive plus à gagner une finale, mais au moins on en joue régulièrement, nous… En fait, Munich reste comme une anomalie au milieu de beaucoup de défaites. (Rires.) » De nature positive, Gérard Gili préfère voir le verre à moitié plein : « Cette constance en finale, c’est plutôt bon signe. Quand on perd, on grandit. Et l’OM, aujourd’hui, grandit. Ça travaille bien, sur le moyen terme. On est de plus en plus ambitieux sur le mercato, le club fait plus d’actions en ville aussi. L’OM reprend petit à petit sa place dans la ville. On n’est pas à l’abri d’une année ratée, ou d’une épopée et d’un titre, ça arrive, mais les bases sont posées pour retrouver ce genre de soirée… » Le genre de soirée qui sera fêtée dans 30 ans à la mairie ?
Par Adrien Hémard-Dohain
Tous propos recueillis par AHD.