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À Furiani, suicide assisté
Alors que le Sporting jouait un match capital pour le maintien face à Lyon, des échauffourées ont d’abord jeté une sale ambiance sur la partie, avant de la mettre sur « pause » à la mi-temps. Un sale dimanche pour le football corse.
Ça devait être une belle journée. Pour la première fois depuis des mois, les supporters bastiais y croyaient. Après une victoire au courage à Dijon, sur un but du capitaine Cahuzac, la formation corse recevait un Lyon bis, concentré sur la Ligue Europa. Alors qu’Enzo Crivelli avait appelé à la mobilisation des supporters, une victoire contre un OL sans Lacazette, Tolisso et Morel, les Turchini pouvaient simplement sortir de la zone rouge en cas de victoire par deux buts d’écart. À la place, le club est ce soir plongé dans la tourmente comme jamais depuis sa remontée en Ligue 1.
Ballon dans la poitrine et idiotie des foules
Les images sont absurdes. Irréelles. Côté tribune Est, avant même que la rencontre ne démarre, une trentaine de personnes se poussent, tentent de mettre des coups, réussissent parfois. Dans cette orgie de haine et de confusion, le deuxième gardien lyonnais, Mathieu Gorgelin, est touché. Dans les trois autres tribunes, l’indignation, l’incompréhension et le dépit dominent. En sud, Sébastien, 27 ans, raconte : « On voit Lopes et Ghezzal qui se retournent vers la tribune. Une personne rentre, il fait un peu le chaud, mais pas grand-chose. Puis plein d’autres rentrent. Là on n’a rien compris. Le speaker criait de retourner en tribunes, mais c’est tout. On comprenait pas pourquoi ils faisaient ça. Pour nous, sur le coup, ils sont indéfendables. »
Mais côté Est, près des évènements, les fans vivent la situation de manière bien différente. Un peu avant la mi-temps, la page Facebook de l’émission en ligne Minenfootu diffuse une vidéo qui ne justifie pas, mais donne un début d’explication sur les violences d’avant la rencontre. Un enfant aurait été touché par un tir lyonnais. Lunettes rectangulaires, barbe noire et mine déconfite, le père relate : « On a un joueur, Ghezzal, qui, pendant les matchs, cadre 80% de ses frappes. Et qui, comme par hasard, lors de l’échauffement, visait le public bastiais. À la troisième reprise, il a touché mon fils qui va avoir huit ans. Au niveau de la poitrine. Un autre supporter l’a pris dans la tête et l’autre au niveau de la hanche. Il nous narguait.[…]Il n’est même pas venu s’excuser auprès du petit. C’est ce qui a été demandé par certains membres d’un groupe de supporters.[…]Il a continué à viser les supporters. Ça part de là. Ghezzal et d’autres aussi. Je pense que c’était fait exprès. » Bon…
Après la provocation présumée, le reste appartient aux comportements des foules, que Gustave Le Bon décrivait comme suit en 1895 : « L’individu en foule se rapproche des êtres primitifs.[…]Les foules vont tout de suite aux extrêmes.[…]Un commencement d’antipathie ou de désapprobation, qui, chez l’individu isolé, ne s’accentuerait pas, devient aussitôt haine féroce chez l’individu en foule. » Les foules sont donc parfois un peu débiles, oui. Pourtant, malgré des Lyonnais pas très chauds pour retourner sur la pelouse, les autorités décident de lancer le match.
Avec cinquante minutes de retard. Presque comme si de rien n’était, la Est donne de la voix et encourage les joueurs dans le tunnel. Jean-Louis Leca parle à l’oreille de Cahuzac, qui feint un sourire et embrasse le gamin qui lui tient la main. Nombre de supporters du reste du stade sifflent leurs camarades tribune Est. Ces derniers répliquent par un « Vous étiez où en National ? » , en référence aux saisons où seuls ces supporters de la Est auraient soutenu le club. Forcément, la partie en souffre un peu. Dans une ambiance moyenne, avec un rythme étrange, de la tension, mais pas d’agressivité flagrante, Bastia cadre deux frappes, notamment par Allan Saint-Maximin, pas vraiment perturbé. Les deux équipes rejoignent les vestiaires à 0-0. Seuls Crivelli, pour un excès d’engagement et Mostefa, sur une perte de balle suivi d’un tacle en retard, sont avertis. Mais alors qu’Adbelhamid El Kaoutari s’apprête à répondre aux questions de Pierre-Yves André, de nouveaux cris se font entendre. Le chaos fait son retour.
Anthony Lopes vs Anthony Agostini
Alors que tout fan de football devant son écran de télé déplore la stupidité ultime de ce regain de violence, certains supportes présents au stade ressentent plutôt un sentiment de révolte. De fait, au retour des vestiaires, Anthony Lopes toise la tribune Est d’un regard plein de défiance. Sur les images de Minenfootu, Anthony Agostini, le directeur de la sécurité du club corse, s’approche de lui, les bras écartés, visiblement pour tenter de le calmer, ou de s’expliquer. Lopes, visiblement agacé, le repousse. En une fraction de seconde, c’est le bordel. Joueurs bastiais, lyonnais, membres des staffs, supporters, tous se lancent dans une nouvelle altercation navrante. Un stadier bastiais tente même de frapper un Lyonnais. Après de nouvelles hésitations, le match est définitivement reporté. Une décision qui aurait peut-être dû être prise plus tôt.
Toujours emprunt de la nostalgie du Furiani bouillant du XXe siècle, le club bastiais, à travers une poignée de supporters, vient de commettre ce qui s’apparente à une tentative de suicide. Mais, outre la violence, la réaction des fautifs est absurde pour de simples raisons sportives. Depuis les cris racistes face à Nice, Bastia encourt en effet un retrait d’un point. Un point énorme, lorsque l’on est dernier de Ligue 1. On voit mal la LFP ne pas appliquer la sanction, si ce n’est plus. Pour rappel, lors d’évènements similaires, l’OGC Nice avait seulement vu une de ses tribunes suspendues. Mais quelle que soit la sanction, le Sporting va devoir apprendre à se conformer au football moderne. Un football dans lequel on ne frappe pas les joueurs adverses, par exemple. Pour ce faire, Bastia doit appuyer sur « reset » , repartir à zéro. Ou peut-être de Ligue 2.
Par Thomas Andrei