- Angleterre – JO 2012
A coups de marteaux
West Ham et Tottenham se disputent la place de résident dans le futur stade olympique de Stratford. Le but est le même, les moyens différents. Dernier délai pour dépôt de candidature, vendredi 21 janvier.
5 juillet 2005. Jacques Rogge et sa clique du CIO désignent Londres ville hôte des JO 2012. La capitale anglaise est donc dans l’obligation de construire un grand stade, avec les neuf couloirs pour Usain Bolt et Muriel Hurtis. Le site de Stratford, au nord-est de la City, est choisi. L’option d’un stade de 80 000 places, modulable en 25 000 pour l’après-JO, est validée. Une motivation, voire une promesse anime alors le comité d’organisation des Jeux. « Ce stade sera la maison de l’athlétisme britannique, pour les générations futures aussi. C’est une promesse sans équivoque de nos intentions sur le futur du sport dans notre pays » précise Tessa Jowell, Ministre fantôme en charge des JO 2012 (traduction littérale de “Shadow Minister of Olympics”) dans le Guardian. En 2001, l’IAAF (International Association of Athletics Federations) retire à Londres l’organisation des Mondiaux d’athlétisme, faute de stade prévu pour l’athlé (Wembley à la bourre dans les travaux et un projet de construction retoqué par le gouvernement). L’athlétisme anglais baisse le nez face à ce camouflet plutôt ridicule mais sèche ses larmes depuis l’annonce de Singapour.
Les Spurs veulent démolir
Le Olympic Park Legacy Company (OPLC), le consortium gérant le stade de Stratford, est actuellement en quête d’un club résident pour l’après-2012. Deux candidats sont déclarés, West Ham United et Tottenham Hotspur, avec un objectif identique : étendre leur base de supporters dans un stade grande structure et booster les sources de revenus. Les points communs s’arrêtent ici tant les projets portés sont différents. Côté West Ham, le stade restera multi-sports, multi-usages, sa capacité sera réduite à 60 000 places, la piste d’athlétisme restera intacte, il reçoit le soutien du Newham Council, de la UK Athletics (fédération anglaise) et le partenariat de Live Nation (leader mondial de la production de concerts live). Financièrement, le dossier est béton et le coût de l’opération est estimé à 80-100 millions de livres. Pour les actuels résidents de White Hart Lane, l’option est bien plus radicale. On démolit les deux-tiers du stade de Stratford pour laisser place à un stade dédié au foot uniquement. « Notre premier siège serait à huit mètres de la ligne de but. Actuellement, à Stratford, il est à 45 mètres. Notre première loge serait à vingt mètres du terrain, actuellement elle est à soixante mètres. Plus loin vous êtes, moins vous voyez, moins vous avez d’interaction avec le sport, le jeu. Une fois que vous dépassez les 190 mètres, vous ne voyez plus le ballon » justifie le chef architecte en charge du projet Spurs dans le Guardian. Et dans ce stade originellement fait pour l’athlé, cela représente presque 20% des places assises. Alors, pour tenir la promesse faite aux coureurs, lanceurs et sauteurs anglais, Tottenham propose de rénover le stade de Crystal Palace en stade d’athlétisme à 25 000 places. Financièrement, là-aussi les garanties sont très solides, le coût estimé à 250 millions de livres.
Le public Hammer va ramollir
Pour rappel, en novembre, le maire de Londres approuvait enfin le plan de redéveloppement de White Hart Lane (passer à 56 000 places). Facture : 450 millions de livres. De quoi inciter le board des Spurs à considérer sérieusement Stratford. On parle de 200 millions en jeu là ! Et s’il faut exproprier l’athlétisme de sa “maison”, faisons-le, promesse ou pas ! Et s’il faut montrer aux contribuables que deux-tiers de leurs fonds vont prendre des coups de pelleteuses et bulldozers dès la fin des Jeux, tant pis, faisons-le ! Les politiques grincent aujourd’hui des dents (quelle image donne-t-on de l’utilisation de l’argent public via cette démolition ? Développement durable, où es-tu ?), un élu de Tottenham menace d’attaquer les Spurs en justice s’ils conservent l’appellation Tottenham malgré le déménagement à Stratford et les supporters ne veulent pas bouger de White Hart Lane. Seul Glenn Hoddle comprend le point de vue des Hotspur : « J’ai joué à Monaco où il y avait la piste d’athlétisme autour de la pelouse. Cela manquait vraiment d’atmosphère » .
Charles Van Commenee, entraîneur principal des athlètes britanniques, flippe déjà d’un revival du début 2000 : « Si Londres n’a pas un stade susceptible d’accueillir des championnats majeurs d’athlétisme, ça nous positionne dans une catégorie en Europe que vous ne pouvez même pas imaginer. Même Vilnius et Tallinn peuvent le faire » . Vendredi 21 janvier, West Ham et Tottenham devaient déposer leur dossier définitif. Si tout se passe bien, l’OLPC désignera le 28 janvier la candidature qu’il soutient. Le club choisi devra effectuer un premier versement pour prouver son engagement. Fin mars, le gouvernement et le Maire de Londres, Boris Johnson, avaliseront le dossier soutenu par l’OLPC… ou ne décideront rien.
Alors que ou qui sacrifie-t-on ? Les supporters de West Ham, qui vont déchanter en quittant Upton Park pour une ambiance Louis-II ? Ou l’athlétisme et l’éthique politique au profit d’une leçon de “capitalisme ultra-pragmatique” de la part de Tottenham ?
Ronan Boscher
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